Tiger Woods ne s’est pas qualifié pour les deux dernières rondes du Championnat de la PGA, le week-end dernier. Sa présence aurait rehaussé le spectacle. Bravo à Brooks Koepka, qui a mené le tournoi de bout en bout. Mais sur le plan du suspense, on n’a pas été gâtés, sauf lorsqu’il a connu des ennuis en deuxième moitié de parcours dimanche.

Cela dit, ne comptez pas sur moi pour pleurer les insuccès de Tiger à Bethpage. Il me faudra un peu de temps avant de l’applaudir de nouveau. Le voir courir à la Maison-Blanche après sa victoire au Tournoi des Maîtres m’a déplu. Que voulez-vous, je suis incapable d’appuyer un athlète, même aussi légendaire que Tiger, qui est si à l’aise en compagnie de Donald Trump.

Le diviseur en chef s’est collé à ses succès en lui remettant la «Médaille présidentielle de la liberté», un immense honneur habituellement réservé à des gens plus vieux en hommage à l’ensemble de leur vie professionnelle. Mais Trump n’allait pas rater si belle occasion de profiter des succès de Tiger. Comme l’a rappelé le New York Times, les deux hommes sont des partenaires d’affaires: Tiger est l’architecte d’un terrain de golf que l’entreprise de Trump construit à Dubaï.

Depuis l’élection de Trump, des athlètes de premier plan – et des équipes entières – ont refusé d’être célébrés à la Maison-Blanche après avoir remporté un championnat. Au début du mois, par exemple, Mookie Betts et David Price n’y ont pas accompagné leurs coéquipiers à la suite de la dernière victoire des Red Sox de Boston en Série mondiale. Alex Cora, le gérant de l’équipe, a aussi repoussé l’invitation. Aucun d’eux ne voulait cautionner de sa présence ce président qui divise les Américains, débite des faussetés à propos de tout, insulte les gens ne pensant pas comme lui et s’entend bien avec des leaders de régimes autoritaires.

Ah, j’entends déjà l’indignation de plusieurs lecteurs: «Il ne faut pas mêler la politique et le sport.» En tout respect, cette affirmation ne tient pas la route. Comme si le sport vivait dans sa bulle, comme si on pouvait le dissocier de la politique. Désolé, les choses ne fonctionnent plus ainsi depuis longtemps. Et encore moins à l’ère de Trump.

À une certaine époque, recevoir les félicitations du président des États-Unis était un évènement apolitique. Ce qui n’a pas empêché le gardien Tim Thomas de faire l’impasse sur la visite des Bruins de Boston à la Maison-Blanche de Barack Obama après leur conquête de la Coupe Stanley en 2011. C’était son privilège. Mais il s’agissait d’une décision rare.

Aujourd’hui, lorsque des athlètes gagnent des championnats, ils ont à peine vidé une bouteille de champagne qu’on leur pose la question: accepterez-vous une invitation de Trump? Pour plusieurs d’entre eux, c’est comme si on leur demandait de marcher sur leurs principes pour recevoir un hommage officiel. Ils répondent «non» haut et fort. 

Quand le diviseur en chef constate que son party n’attirera pas assez de membres d’une équipe, il annule tout simplement l’invitation. Comme il l’a fait avec les Warriors de Golden State de la NBA.

En août dernier, Woods a expliqué la nature de ses liens avec Trump dans des propos qui ont fait le tour de l’Amérique. «Il est le président des États-Unis. Vous devez respecter l’institution. Peu importe qui est le président, vous pouvez aimer ou non sa personnalité ou ses politiques, nous devons tous respecter l’institution.»

Woods a certainement le droit de penser ainsi. Mais à mon avis, les athlètes qui refusent l’invitation de cette Maison-Blanche occupée par Trump respectent encore mieux l’institution de la présidence. Parce qu’ils en ont une conception élevée que le président actuel n’incarne pas.

Bien sûr, contrairement à Woods, on ne leur propose pas la Médaille présidentielle de la liberté. La décision est sûrement plus facile. Mais refuser une invitation de ce président est tout de même un geste fort et admirable.

***

Le sport et la politique, voilà un sujet délicat, j’en conviens. Mais les deux sont intimement liés à tellement d’égards.

Les boycottages des Jeux olympiques en fournissent un exemple éloquent: pays africains en 1976, pays de l’Ouest en 1980, pays de l’Est en 1984. À chaque occasion, le sport n’a rien eu à voir avec ces décisions.

Plus rarement, les Jeux sont aussi une occasion de rapprochement. On l’a vu en 2018, lorsque ceux de PyeongChang ont conduit à un accord porteur d’espoir entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. Leurs athlètes ont participé à la cérémonie d’ouverture derrière un drapeau unifié et formé une équipe commune de hockey féminin. Ce fut un moment magique et plein d’émotion.

Sur un plan individuel, Muhammad Ali a mené une lutte courageuse en s’opposant à la guerre du Viêtnam. Et Jackie Robinson a brisé une barrière historique en devenant le premier Afro-Américain à jouer dans les ligues majeures de baseball.

Au-delà de ces faits marquants, la politique est au cœur d’enjeux «sportifs» de manière quotidienne ou presque. À Montréal, l’Impact lie un éventuel agrandissement du stade Saputo à des ajustements en matière de taxes foncières. Stephen Bronfman a rencontré François Legault et Valérie Plante dans le cadre de son projet du retour des Expos, sachant fort bien qu’un dossier de cette ampleur n’est pas réalisable sans leur appui. À Québec, les élus ont pompé près de 400 millions dans un nouvel amphithéâtre afin de retrouver un jour les Nordiques.

Dans l’ensemble du Canada, les subventions à nos athlètes d’élite sont aussi un sujet politique. Tout comme la place du français, toujours à défendre dans nos structures nationales. Aujourd’hui comme hier, la vigilance s’impose.

***

Comme tous les amateurs, j’ai été emporté par le jeu fulgurant de Tiger au dernier Tournoi des Maîtres. Par cette manière dont il a écrasé psychologiquement ses adversaires, qui se sont écroulés un par un lorsqu’il a enclenché la cinquième vitesse dans la dernière ronde. Du grand spectacle!

J’ai aussi du respect pour les bienfaits engendrés par sa fondation qui a récolté et investi des dizaines de millions pour aider des jeunes à atteindre leur plein potentiel. Et je souhaite, à nous tous amateurs de golf, qu’il amorce une nouvelle poussée irrésistible dans un prochain tournoi majeur.

Peut-être que la magie du moment me fera alors oublier ses liens serrés avec Trump. Mais le week-end dernier, je n’en étais clairement pas là.