Son record ne sera peut-être jamais battu. Hale Irwin détient 47 victoires sur le circuit des Champions. Et à 66 ans, il aimerait gagner un dernier titre cette fin de semaine au Fontainebleau. Discussion sur les leçons du football, les entraîneurs qui tuent l'instinct et la motivation qui s'effrite avec le temps.

«On va faire cela aussi rapidement que possible», dit Hale Irwin à l'autre bout du fil. Il termine son déjeuner avec sa femme dans leur maison de l'Arizona et il a mieux à faire que ressasser des anecdotes sur le passé ou répondre à des questions sur son âge.

Il est réputé solitaire. Du genre à enlever rapidement ses chaussures au vestiaire avant de déguerpir. Ça ne change pas avec le temps. Mais il se montrera néanmoins affable avec nous. Ses réponses restent toujours concises et pertinentes, avec un dédain marqué pour la langue de bois.

Il ne le formule pas ainsi, mais la nouvelle génération de pros américains semble l'exaspérer. Certains engagent un entraîneur pour leur élan, un autre pour leur jeu court, sans oublier l'entraîneur physique, un psychologue sportif et un nutritionniste. «J'ai rencontré une jeune pro récemment près de chez nous, raconte Irwin. Elle cherchait un conseil avant d'essayer de se qualifier sur la LPGA. Je lui ai dit: débarrasse-toi de tout ce qui est inutile dans ton entourage. Tu n'as pas besoin de payer quelqu'un pour te dire quoi manger ou quoi penser.»

Selon lui, les jeunes analysent trop leur élan. Ils s'entêtent à corriger chaque faiblesse au lieu de construire à partir de leurs forces. «Comparez les élans dans les terrains d'exercice de notre circuit et du circuit régulier, lance-t-il. Vous verrez beaucoup d'élans singuliers et très différents chez nous. Ceux des plus jeunes se ressemblent tous, surtout parmi les Américains. Oui, leur niveau technique est impressionnant. Ils frappent comme des machines. J'ai par contre l'impression qu'ils essaient de créer quelque chose de parfait, de travailler contre leur mouvement naturel. Cela risque de s'écrouler sous pression. Ça doit expliquer au moins en partie pourquoi on ne trouve plus d'Américains dans le top 3 mondial.»

Irwin contraste cette approche avec celle de Seve Ballesteros, décédé récemment. «Lui, il faisait le contraire. Il frappait simplement la balle avec instinct, il ne pensait qu'à la mettre dans le trou.»

C'est un peu cela, le style Irwin, mais avec moins de flamboyance. Un style simple et efficace, comme son élan naturel qui vieillit si bien. «Même si des morceaux bloquent parfois», ricane-t-il.

Le football avant le Massacre

Durant la Grande Dépression, le père d'Hale Irwin bourlinguait en train d'un État à l'autre, à la recherche d'un boulot. Une décennie plus tard, il réussissait à élever modestement sa famille au Kansas puis au Colorado.

Le jeune Hale s'initie au golf avec des chaussures de femme sur des verts sablonneux. Il teste aussi sa virilité au football. Une sorte de précurseur de Bo Jackson. «J'étais le plus petit joueur sur le terrain. Peut-être aussi le moins talentueux, mais le plus combatif», raconte-t-il modestement. En fait, ce demi de coin de 6 pieds et 180 livres a été repêché par l'Université du Colorado. Il paiera ainsi ses études universitaires en marketing. À deux reprises, on le sélectionne dans l'équipe d'étoiles de sa conférence. Il figure aussi sur l'équipe d'étoiles de l'histoire de son université.

Mais il excelle encore plus au golf. En 1967, il mène son équipe au championnat de la NCAA. Même si quelques équipes de la NFL le courtisent, il opte pour une carrière de golfeur. «Le football m'a beaucoup aidé, estime-t-il. Ça m'a donné une certaine force de caractère. J'ai appris à me battre.»

C'est peut-être pour cela qu'il souriait un jeudi matin en juin 1974 en voyant les conditions masochistes du parcours Winged Foot, à l'Omnium des États-Unis. C'est dans cette adversité - l'Omnium a été baptisé tout simplement «le Massacre» - qu'il gagne son premier majeur.

Mais une décennie plus tard, l'envie de se battre disparaît lentement. Au début de la quarantaine, Irwin fonde une firme d'architectes de terrains de golf. Son jeu en souffre. Un peu découragé, à la fin des années 80, il prend une feuille et commence à écrire tous les souvenirs associés à ses victoires. «C'était assez simple. Il pouvait s'agir d'un exercice sur les verts, du rythme le matin ou d'une bonne approche sous pression.»

La feuille se noircit rapidement et il laisse ces images l'habiter. La confiance revient. En 1990, à 45 ans, il gagne son troisième Omnium des États-Unis. Il enchaîne la semaine suivante avec une autre victoire. Il en gagnera une 20e et dernière sur le circuit régulier en 1994, à 48 ans.

Irwin ne sera jamais aussi dominant que sur le circuit des Champions. Il remportera 45 titres chez les seniors - son dernier remonte à 2007. On a souvent dit que c'est dans la cinquantaine qu'Irwin a joué le meilleur golf de sa carrière. Il acquiesce. Pourquoi? «Honnêtement, je ne sais pas vraiment, répond-il. Ce sont des choses qu'on sent plus qu'on comprend.»

Il comprend toutefois pourquoi il ne joue plus aussi bien. Il y a le corps qui ne suit plus. Et la tête qui désire un peu moins. «Le plus difficile depuis quelques années, c'est l'aspect mental, confirme-t-il. Soyons honnêtes. Vient un temps où les priorités changent. Aujourd'hui, ce qui compte pour moi, c'est ma santé et ma famille. Je veux passer un peu de temps avec mes petits-enfants. Mais ça ne m'empêche pas non plus de vouloir gagner. Je l'ai démontré au Championnat de la SPGA (en mai, où il a mené avant de finalement terminer quatrième). Il me semble que je suis mûr.»