Le Tigergate, c'est la mort d'un robot. Ou plutôt la mort d'une image de robot, construite minutieusement depuis plus d'une décennie par une armée de relationnistes. Il n'aura fallu qu'un message téléphonique de 31 secondes pour la détruire.

Potinage de vedette? Évidemment. Si on en parle tant, c'est bien sûr parce que Tiger est l'athlète le plus médiatisé et le plus riche au monde. Mais c'est aussi à cause du décalage. Car Tiger donnait l'illusion d'être parfait. Pour comprendre pourquoi, il faut comprendre son sport.

Le golfeur peut tricher à chaque trou. Mais il ne le fait presque jamais. La plupart du temps, il se décerne lui-même une pénalité. Si le footballeur Thierry Henry jouait au golf, il aurait lui-même demandé à l'arbitre d'annuler son but. Ajoutons à cela le respect d'autrui. Au lieu de sortir le genou, le golfeur sort la main pour complimenter son adversaire. Et ce, parfois même au milieu d'un match.

C'est la mythologie du golf. Et les commanditaires y carburent. Habituellement, les annonceurs s'associent à la fougue et l'irrévérence d'un athlète (voir Georges Laraque et Octane). Au golf, ils s'associent plutôt à leur prestige et à leur vertu. Quels logos portent les pros de la PGA? Des logos de fonds mutuel, de banques et de montres suisses. Pas très rock'n' roll...

Tiger baignait déjà dans cette culture sportive avant même de pouvoir épeler g-o-l-f. Et depuis ses débuts professionnels, il en est devenu l'emblème. On a cimenté son image dans ce moule candide. Résultat: Tiger = rêve mouillé de commanditaire.

Il symbolise la perfection. Autant sur le parcours qu'à l'extérieur. Au golf, sa domination était et reste totale. Les performances fascinent, la méthode pour y arriver aussi. Un mélange inouï de talent et de sueur, avec son entraînement spartiate qui commence chaque jour à 5h du matin.

Et sa vie privée? Il y a Tiger le philanthrope, dont la fondation amasse des millions chaque année pour les oeuvres de charité. Il y a Tiger le patriote apolitique, autant à l'aise avec les républicains que les démocrates. Et il y a Tiger l'homme de famille. Avec une femme iconique - Elin, Suédoise et ancienne babysitter de son ami. On imaginait ainsi sa journée typique: suer au gym, manger ses protéines, embrasser ses deux enfants et faire l'amour à sa femme, tendrement.

Mais c'était la façade. Tiger a toujours affiché une discrétion maniaque. Comme d'autres collègues, dans les conférences de presse, je n'avais jamais l'impression de savoir ce qui se cachait derrière la façade. Comme diraient les béhavioristes, sa tête ressemblait à une boîte noire. Impossible d'en connaître le contenu. Impossible jusqu'à cet accident de voiture survenu à 2h25 du matin vendredi dernier. Depuis, on découvre un peu le contenu de la boîte noire. Surprise: c'est un homme.

En août dernier au Championnat de la PGA, la victoire choquante de Y.E. Yang avait détruit l'image du golfeur infaillible. Ses aventures détruisent maintenant l'image du citoyen parfait.

Dans trois semaines, Tiger n'aura plus l'âge de Jésus. À l'aube de ses 34 ans, il prouve que contrairement à ce que lui répétait son père, il n'est pas un deuxième messie. Quelqu'un, quelque part, s'en étonne peut-être.