«Mon premier souvenir, c'est mon père qui colle un bâton de golf en plastique sur ma main avec de la Crazy Glue. (...) Il disait que je devais devenir un golfeur professionnel, sinon ma mère et lui crèveraient de faim.» Ainsi parlait un faux Tiger Woods (Tim Meadows) dans un sketch de Saturday Night Live en 1997.

Le gag n'est pas trop loin de la réalité dans le cas de Sean O'Hair, vainqueur dimanche dernier du prestigieux Championnat Quail Hollow.

C'est le genre d'histoire que les psychanalystes aimeront. Même s'il l'a souvent racontée, le pro de 26 ans préfère ne plus revenir le sujet. Faisons-le donc à sa place. En 2002, l'émission 60 minutes a présenté un dossier sur les parents un peu trop zélés. On parlait de l'effet Tiger. «Je considère Sean comme mon fils. Je le considère aussi comme ma business. Il aime ça», racontait son père, Marc O'Hair.

Quelques mois plus tard, il assistait au mariage de son fils. Ils ne se sont pas parlé depuis. Le silence dure depuis maintenant sept ans.

Les dérapages ont commencé en 1997. Marc O'Hair a reconnu le potentiel de son fils. Il a vendu pour environ 2,75 millions ses parts dans l'entreprise familiale de rideaux. Le Texan a utilisé l'argent pour déménager la famille en Floride, où Sean a été inscrit à l'Académie David Leadbetter - propriété de la boîte IMG qui y recrute ses futures vedettes. Le plan a fonctionné. Il est devenu le junior numéro 2 au pays.

À 17 ans, son père lui a fait signer un contrat. Sean devait lui verser 10% de ses futurs gains professionnels. Il n'a pas ménagé son investissement. Dans un reportage publié en 2005, Golf World racontait l'anecdote suivante. À la deuxième ronde d'un tournoi junior national, Sean a dû caler un roulé de quatre pieds pour jouer la normale. Son père le surveillait. «Si tu rates, on retourne à la maison.» Il a raté. Pas de ronde finale pour lui, même s'il était qualifié.

Son père le forçait aussi à jogger un mille pour chaque boguey. Lui-même raconte qu'après une ronde de 80, il a déjà fait courir son ado de 16 ans sous un soleil de 33°C, presque jusqu'à l'évanouissement (source: ESPN).

Après l'Académie Leadbetter, Sean a quitté l'école. Le 9 septembre 2009, à seulement 17 ans, il est devenu pro. Marc l'a soumis à une discipline encore plus stricte. Réveil à 5h pour jogger. Arrivée à 7h30 au parcours. Départ à 16h30, en route pour le gym. Sur la route, il est devenu aussi son cadet et son nutritionniste, avec une petite cuisine portative qu'il traînait dans les hôtels. «J'ai été longtemps en affaires. Je sais comment faire des profits. Les principes restent les mêmes: du matériel, du travail et de la gestion», expliquait-il à CBS en 2002.

Mais les résultats ont déçu. Sean en a arraché sur les circuits satellites. Peut-être la pression. Peut-être le ras-le-bol. À 20 ans, il n'avait jamais eu de rendez-vous avec une fille. Il a alors rencontré une certaine Jackie. Le mariage a été rapide. Sean a quitté la maison et a dit adieu à son père.

Une autre galère a commencé. Fauché, le couple a parcouru le pays en voiture, d'un circuit satellite à l'autre. En 2004, Sean comptait cinq échecs consécutifs aux épreuves de qualification de la PGA. Il ne lui restait que 2000$. Même pas assez pour s'inscrire aux tournois de l'été. «On jouait pour se payer un repas», s'est-il souvenu en entrevue à ESPN.

À l'automne, il a enfin gagné sa carte de membre de la PGA. L'ascension n'a pas cessé. Recrue de l'année en 2005, O'Hair compte maintenant trois victoires. Il se classe 12e au monde. La semaine dernière, il a gagné sans caler un seul roulé de plus de 10 pieds.

Le vécu s'accumule aussi rapidement au compteur. À 26 ans, il attend déjà son troisième enfant.

Il n'y a pas vraiment de fin à cette histoire toute en gris. Le père a tué sa jeunesse, mais il l'a quand même aidé à bâtir un des meilleurs élans au monde. «Que devais-je faire? Dire, Oh, Seanny boy, tu n'as pas besoin de te réveiller tôt aujourd'hui? ironisait Marc O'Hair à Golf World, en 2005. Je ne vais pas le poursuivre pour ravoir mon argent, ajoutait-il. Dès qu'il deviendra célèbre, je vais plutôt montrer au monde ce qu'il m'a fait. Je vais le crucifier sur la place publique, car ce qu'il m'a fait n'est pas correct.»