Amorcé par une opération policière consécutive à un vol, le scandale de dopage de l'Université de Waterloo a levé le voile sur une réalité du sport universitaire canadien que les responsables auraient préféré passer sous silence.

L'ampleur du problème découvert à Waterloo - «le cas de dopage le plus important de notre histoire», selon la présidente de Sport interuniversitaire canadien (SIC), Marg McGregor - laisse toutefois croire que le dopage est répandu dans les équipes de football.

En annonçant la semaine dernière les derniers résultats des tests effectués à Waterloo, avec notamment le premier cas positif à l'hormone de croissance humaine (hGH) en Amérique du Nord, le président du Centre canadien pour l'éthique dans le sport, Paul Melia, a insisté sur la gravité de la situation.

«Nous avons découvert à Waterloo des athlètes qui n'ont pas hésité à se doper sciemment, à contourner le système en prenant des raccourcis faciles pour réussir à tout prix, a-t-il dit. La nature des produits en cause démontre également le niveau de sophistication du dopage. On est loin des cas isolés et ce serait dangereux de ne pas prendre cette situation très au sérieux.»

Dans la suite du scandale de Waterloo, le SIC a procédé dans 22 de ses 27 universités à une soixantaine de tests inopinés hors campus et hors compétition. Ils ont permis de détecter trois autres cas positifs aux stéroïdes, à Acadia, Windsor et dans une troisième université à confirmer.

Difficile à cerner

L'un des premiers joueurs mis en cause à Waterloo, le plaqueur Joe Surgenor, a estimé en conférence de presse: «Une personne qui doute qu'il y ait de sept à 13 joueurs dopés dans chaque équipe se trompe complètement. Il y en a au moins autant et je ne suis pas sûr que le SIC souhaite vraiment découvrir ce qui se passe parmi les équipes.»

Lancée ainsi sans aucune preuve à l'appui, l'affirmation de Surgenor a été accueillie avec beaucoup de réserve dans les milieux universitaires. À Laval, le directeur des sports Gilles Lépine a réagi: «Rien ne dit qu'il y ait un problème de dopage au football universitaire. On ne souhaite à personne de vivre ce qui s'est passé à Waterloo, et c'est certain que nous avons renforcé notre vigilance. Mais je crois qu'il s'agit d'un cas isolé, peu susceptible de se reproduire ailleurs.»

Les autres directeurs des sports des universités québécoises doutent eux aussi qu'un de leurs programmes puisse être aux prises avec les mêmes problèmes qu'à Waterloo (voir autres textes en page 5). Christian Gagnon, de Sherbrooke, qui est très impliqué aux niveaux provincial et national, côtoie régulièrement ses collègues. «Nous avions la réunion annuelle canadienne des directeurs des sports quelques semaines après le début de l'affaire de Waterloo, a raconté M. Gagnon. Tout le monde ne parlait que de cela.

«L'ampleur de ce qui s'est passé là-bas est incroyable, mais il ne faut pas oublier qu'un seul cas positif peut avoir des effets désastreux pour un programme sportif et pour toute une université. En ce sens, il faut vraiment être vigilant.»

Impossible d'être sûr à 100%

Les joueurs restent évasifs quand on aborde la question, les entraîneurs préfèrent souvent laisser la parole à leurs supérieurs (et sont souvent obligés de le faire...).

André Bolduc, entraîneur-chef du Vert et Or, a été auparavant joueur étoile à Concordia et a joué dans la Ligue canadienne de football. Il a donc été soumis aux mêmes pressions qui s'exercent sur ses joueurs.

«Avec mes adjoints, nous sommes en première ligne du système de dépistage, a-t-il expliqué. C'est sûr qu'on en voit des gars qui gagnent soudainement 40 livres en quelques mois. On les rencontre, on leur parle et on règle la situation. Mais ce n'est pas toujours évident. Au fond, il n'y a qu'une façon d'être sûr à 100% qu'il n'y a pas de dopage: tester tous les joueurs, de toutes les équipes. C'est impossible, alors on fait de notre mieux.»

Avec des hommes comme Bolduc, Marc Santerre (Montréal), Sonny Wolfe (McGill) ou Glen Constantin (Laval) à la barre des équipes, on sait que les joueurs sont continuellement mis en garde contre les méfaits du dopage, aussi bien pour eux-mêmes que pour leur équipe et l'établissement qu'ils représentent.

On sait aussi que ces entraîneurs de métier n'hésitent pas à diriger les cas problèmes vers le personnel de soutien capable de les aider à trouver des solutions. Chaque année, les alignements des formations universitaires évoluent, avec des arrivées et des départs, pour mille et une raisons, y compris des cas de dopage.

Cette «première ligne» n'est évidemment pas infranchissable, bien au contraire. Il est évident que le programme de détection doit être amélioré.

Des tests mieux ciblés

Lors de l'année scolaire 1992-93, pas moins de 425 tests antidopage ont été supervisés par le SIC, dont 391 au football. L'année dernière, le total était descendu à 202 tests et pas même la moitié (89) avaient été effectués au football. Pendant des années, on a procédé à des tests aléatoires, prenant au hasard les joueurs disponibles lors d'une visite annoncée à l'avance. On devine que plusieurs botteurs ont ainsi été testés...

Le SIC a déjà annoncé un renforcement significatif de sa stratégie de tests. Désormais, au moins 15% des joueurs seront testés, soit au moins 10 athlètes par équipe, et ils seront sélectionnés en priorité parmi les 24 partants. De plus, les tests seront effectués tout au long de l'année, parfois hors campus et hors compétition, et tiendront compte de toutes les informations obtenues par le SIC.

De plus, la LCF a déjà annoncé un partenariat avec le SIC qui permettra de tester - aux frais du circuit professionnel - les 80 joueurs identifiés comme étant les plus susceptibles d'être repêchés.

Ce programme sera évidemment plus coûteux, en raison notamment des tests sanguins nécessaires pour détecter la présence de l'hGH.

Reste à voir si cela suffira à décourager les tricheurs. Comme l'ont démontré les nombreux cas positifs de cet été, plusieurs joueurs croient actuellement pouvoir échapper impunément aux contrôles.