Jacques Dussault a été le premier francophone à briser bien des barrières et son statut de pionnier sera reconnu. Jeudi, le Temple de la renommée du football canadien a annoncé qu’il y sera intronisé le 15 septembre prochain.

Dussault mènera une délégation de sept nouveaux membres, comprenant quatre autres ex-Alouettes John Bowman, Josh Bourke, Lloyd Fairbanks et Larry Smith. Le secondeur Solomon Elimimian et le demi défensif Larry Crawford s’ajouteront à ce groupe.

Dussault l’a appris de la bouche de Wally Buono, légendaire entraîneur québécois, qui a appelé Dussault pour le lui annoncer.

Et quiconque connaissant « le coach » ne sera pas surpris de sa réaction. « C’est le genre de chose qui ne m’allume pas plus que ça. Ce qui m’a fait plaisir, c’est d’avoir parlé avec Wally parce que j’ai coaché trois ans avec lui. »

Ma réaction, c’est : “Qu’est-ce que je fais là ?” Je ne m’attendais pas à ça. Ce n’était pas mon but.

Jacques Dussault

Dussault minimise ce qu’il a accompli, mais à l’époque, c’était tout sauf banal. Après avoir fait ses classes comme entraîneur dans les écoles secondaires et à l’Université de Trois-Rivières, il a été embauché en 1981 par Albany State, dans les rangs universitaires américains.

« Mon but, c’était que si un autre entraîneur arrivait avec un nom bizarre – parce que je ne me suis pas souvent fait appeler Jacques Dussault ! –, que la porte soit ouverte pour lui. Pour moi, c’était très, très important que si un autre voulait vivre ce genre d’expérience, qu’il ne commence pas avec une prise contre lui, parce qu’il y en avait eu un avant lui et qu’il n’avait pas impressionné qui que ce soit. »

Dussault allait ensuite devenir, en 1982, le tout premier entraîneur francophone de l’histoire de la LCF lorsque les Alouettes l’ont embauché comme adjoint en défense.

« C’est sûr que ça me fait un petit velours d’avoir été le premier francophone à atteindre différents niveaux, comme la LCF, parce que mon anglais n’était pas le plus fantastique, admet-il. Je l’ai appris à 20, 21 ans en jouant à McGill. Ça me fait un petit velours parce que le football n’était pas un sport pour les francophones. C’était le hockey pour plein de raisons. Les barrières ont été brisées. »

Sur le terrain aussi

Dussault poursuivra ensuite une carrière bien remplie, qui le mènera entre autres dans les universités des Maritimes (Acadia et Mount Allison), dans l’éphémère Ligue mondiale de football (la Machine), dans la Ligue canadienne (les Alouettes) et dans le réseau universitaire québécois, en tant que tout premier entraîneur-chef de l’histoire des Carabins.

« Je ne peux pas parler pour les autres, mais moi, je voulais être Jacques Dussault, a raconté le directeur général des Alouettes, Danny Maciocia, mercredi. Il avait coaché la Machine, les Concordes, les Alouettes. J’étais jeune, donc je passais beaucoup de temps avec lui pour voir comment un jeune entraîneur peut gagner sa vie. »

En parallèle à sa carrière, c’est tout le football québécois qui a pris son essor. Mal à l’aise de parler de son propre parcours, Dussault s’emballe, d’ailleurs, lorsqu’il décrit cette croissance du football d’ici.

« Il faut féliciter le programme du Rouge et Or, parce que ça a amené de l’enthousiasme pour le football dans une partie du Québec où c’était plus ou moins populaire, note-t-il. Je viens de Sainte-Foy. Dans mon temps, quand tu parlais de football, tu te faisais regarder drôlement ! »

Il faut dire que Dussault y a contribué en poussant pour des talents d’ici. Danny Maciocia, par exemple, raconte que Dussault l’a recruté avec Équipe Québec, en 1993, pour la Coupe Canada.

« Ensuite, en 1996, quand les Alouettes sont revenus, c’est lui qui a appelé Bob Price [entraîneur-chef à l’époque] pour lui dire qu’un jeune souhaitait faire du bénévolat, pour savoir s’il voulait me rencontrer. J’ai eu l’entrevue et c’est là que j’ai commencé ma carrière dans la LCF. C’est tout grâce à Jacques. »

Dussault a ensuite pu suivre la croissance du football québécois de près, à différents échelons. « J’ai coaché quatre ans avec les Estacades [NDLR : au niveau juvénile AAA]. Tu peux être deux ans sans voir un match à ce niveau, et tu reviens et les joueurs sont plus gros, plus forts !

« À mes débuts avec les Alouettes, au début des années 1980, on faisait le repêchage des joueurs canadiens, et après cinq ou six noms au premier tour, ça s’arrêtait là. Le calibre n’était pas de niveau. Ensuite, ça a explosé. Là, on a trois universités francophones qui ont des programmes de football. Dans le temps, il n’y en avait aucune ! »

Encore passionné

Dussault est officiellement à la retraite depuis 2017, mais il demeure à l’affût. Maciocia raconte qu’il parle à Dussault « tous les 10 jours ». « Et pendant la saison, c’est chaque semaine. On se parle toujours 24 ou 48 heures avant un match », dévoile le DG.

Coordonnateur des unités spéciales des Alouettes, Byron Archambault raconte n’avoir jamais « eu la chance » d’être dirigé par Dussault. Mais le football québécois est un petit monde, donc ils ont souvent interagi, notamment lorsque Archambault faisait partie du personnel d’entraîneurs des Carabins, de 2017 à 2019.

« Une fois, il m’appelle : “J’ai vu que tu fais quelque chose de différent sur les placements, de la façon dont tu places les pieds des gars. Peux-tu m’expliquer pourquoi tu fais ça ? Ce n’est pas conventionnel.” »

« Je suis là, un jeune coach, ça m’a pris une seconde ou deux. J’ai fait : “Wow.” »

« Chaque fois que tu lui parles, c’est un plaisir. Il est très brillant. On dit que les gens qui sont “football smart” voient le jeu au ralenti. Lui, c’est comme ça, et il est capable d’expliquer sa manière de voir le football, comment le ralentir. C’est une très grande qualité chez un coach. »

Larry Smith, le pionnier

Larry Smith a pratiquement tout fait et tout vu.

Le natif d’Hudson au Québec a touché à tout dans la LCF. Vainqueur de deux titres de la Coupe Grey à titre de joueur avec les Alouettes de Montréal, il revient dans le monde du football 12 ans après sa retraite, cette fois comme commissaire de la ligue. Sous son règne, la LCF tente de s’établir aux États-Unis, mais l’expérience ne dure que quelques saisons avant que la Ligue revienne à un format entièrement canadien.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Larry Smith

« L’argent des cinq équipes américaines est allé aux clubs canadiens. Ce fut utile pour nous », note à ce jour Larry Smith.

Après avoir démissionné de son poste de commissaire, Larry Smith devient immédiatement président des Alouettes de 1997 à 2001, puis de 2004 à 2010. C’est sous sa direction que le club déménage au stade Percival-Molson puis gagne ses deux derniers titres de la Coupe Grey, en 2009 et en 2010.

« Quand on a commencé à Montréal, c’était le bordel », se souvient-il. Force est d’admettre qu’il a laissé le club dans une bien meilleure posture. Les Alouettes ont réalisé une séquence de 100 matchs à guichets fermés alors qu’il était à la tête de l’équipe. Depuis son départ, le club a non seulement été incapable de gagner une autre Coupe Grey, mais il n’a plus atteint la finale.

Depuis 2010, Larry Smith est sénateur et profite de la vie avec son chien. Il est admis au Temple de la renommée pour l’ensemble de son œuvre et obtient le titre de « bâtisseur ». L’homme de 71 ans est fier de toutes ses réalisations. Cependant, les commotions cérébrales, si fréquentes à son époque, l’empêchent de se remémorer, notamment, sa carrière de joueur.

Larry Smith a pratiquement tout fait et tout vu. Mais si ses souvenirs ne lui appartiennent plus, ils seront protégés pour toujours au Temple de la renommée.

L’homme du peuple, John Bowman

John Bowman ne jouait pas au football quand il était tout petit, comme plusieurs. Il ne rêvait certainement pas d’y faire carrière comme ses amis. En fait, il a commencé à jouer au football dans l’objectif de se trouver une accompagnatrice pour le bal des finissants. Et voilà qu’il fait son entrée au Temple de la renommée.

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John Bowman

Celui qui occupe le 7échelon du classement de la LCF pour le nombre de sacs du quart a participé à 14 saisons dans le circuit et elles ont toutes été dans l’uniforme des Alouettes. En réaction à son accession au Temple à sa première année d’admissibilité, Bowman a tout simplement répondu que les votants ont « déraisonné ».

Une seule raison explique pourquoi Bowman est désormais dans cette position aujourd’hui : son éthique de travail. Il admet lui-même ne jamais avoir été le joueur le plus talentueux, le plus rapide, ni même le plus fort. Mais il était « le plus travaillant » et cette ardeur permettait, selon lui, aux partisans de s’attacher à sa personne. « Je ne cours pas 40 verges en 4,4 secondes. Les gens ne peuvent pas s’identifier à ça. Par contre, j’ai toujours travaillé très fort. Et ça, les gens peuvent se reconnaître là-dedans. »

C’est également une histoire de résilience et de longévité. « Certains coachs voulaient me retrancher de l’équipe. Mais d’être resté aussi longtemps dans l’équipe témoigne de tout le chemin parcouru. Je ne changerais ça pour rien au monde, car ça a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui. »

Même si l’Américain a confié ne pas savoir où était le Canada avant d’arriver au Québec, il affirme être tombé amoureux de la ville de Montréal. Il ajoute être déçu d’avoir remporté « seulement » deux titres de la Coupe Grey. Il demeure un fier représentant des Alouettes.

Justin Vézina, La Presse