Evans Chuba pense à la NFL depuis qu’il a 10 ans. Il n’y a que ça. Il bronche à peine à l’idée que l’objectif est encore loin. Loin… et cher.

Si on vous raconte l’histoire d’Evans Chuba, c’est qu’elle est celle de centaines de jeunes Québécois et Québécoises qui rêvent eux aussi aux plus hauts sommets de leur sport. Un rêve qui se calcule parfois en milliers de dollars.

Parce que voyez-vous, il n’y a pas que le talent et la volonté qui entrent en ligne de compte quand un jeune atteint le niveau élite. Il y a aussi l’argent.

Pour Chuba, son rêve a un prix : 26 000 $.

Jeudi, le jeune quart-arrière de 17 ans s’envolera pourtant vers la Floride, où il rejoindra un high school. Pendant ce temps, au Québec, sa mère Julie Bruyère fera tout ce qu’elle peut pour financer l’avenir de son fils. Avec l’objectif de lui permettre de se loger et de se nourrir pendant 24 mois loin de la maison.

Comme bien des parents de jeunes sportifs, Mme Bruyère est aux prises avec les coûts élevés qui accompagnent le sport d’élite. En tant que mère seule de deux adolescents, qui travaille dans un organisme communautaire, l’argent ne tombe évidemment pas du ciel. Le 23 février, elle a donc décidé de lancer une collecte de fonds sur le site internet Go Fund Me.

« Ça m’attriste de penser que mes finances empêcheraient Evans d’atteindre ses objectifs personnels, en particulier compte tenu des efforts qu’il a déployés et du succès qu’il a connu jusqu’à maintenant », a-t-elle écrit dans la page de présentation.

La passion d’Evans

Nous sommes donc allés à leur rencontre. Pour voir comment avance le rêve. Quand on propose à Evans Chuba de le rencontrer un samedi matin à 10 h 30, il répond : « J’ai une pratique vers midi au centre-ville. Alors est-ce qu’on peut faire ça plus tôt, comme 9 h ? »

Marché conclu. L’athlète nous accueille avec sa mère et son frère dans leur appartement de Pierrefonds, dans le nord-ouest de l’île de Montréal. Le quart-arrière se prête au jeu de la prise de photos avec plaisir. Il échange même quelques passes avec l’auteure de ces lignes.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Evans Chuba

On comprend rapidement que Chuba est un passionné comme il s’en fait peu : il nous raconte une à une chaque étape de sa jeune carrière, à commencer par la première fois où il a touché à un ballon, à l’âge de 5 ans.

« Ma mère voulait me trouver un endroit pour canaliser mon énergie », explique-t-il.

Le football est rapidement devenu plus qu’un passe-temps pour le petit Evans. Julie Bruyère se souvient très bien d’une discussion entre sa mère et son fils survenue lors d’un souper, il y a sept ans.

« Elle lui a demandé ce qu’il aimait faire dans ses temps libres et il a dit : “[jouer au] football.” Elle lui a dit : “Tu penses jouer pour la Ligue canadienne de football ?” Il a dit : “Non, la Ligue nationale de football.” »

« Déjà à l’âge de 10 ans, c’est là qu’il s’en allait », ajoute-t-elle.

Un jeune entrepreneur

Quatre ans plus tard, à 14 ans, Evans Chuba souhaitait perfectionner son jeu. Il s’est donc fixé comme objectif de prendre part au camp de football The Manning Passing Academy, en Louisiane. Le coût : 1500 $.

« J’avais [seulement] 200 $, se souvient-il. Alors je me suis dit : comment je peux faire de l’argent ? J’ai appelé des amis et j’en suis venu à la conclusion que couper du gazon serait une bonne idée. Le lendemain, je suis allé passer des dépliants dans mon quartier pendant deux ou trois heures. J’ai eu des appels. Au début, je faisais environ 80 $ par semaine. Pour moi, c’était wow. »

Le camp a finalement été annulé en raison de la pandémie, mais Evans s’est découvert une nouvelle passion. L’été suivant, il a engagé cinq de ses connaissances qui habitaient différents quartiers de Montréal afin d’élargir sa clientèle. C’est lui qui achetait les tondeuses, qui fournissait tout l’équipement.

On sent Julie Bruyère émotive en écoutant attentivement son fils nous relater son initiative.

Qu’il doive travailler aussi fort, oui, ça me rend fière, mais ça me brise le cœur

Julie Bruyère, mère d’Evans Chuba

À son côté, son fils renchérit : « Même si ma mère pouvait le payer… Si je pouvais choisir entre ma mère qui paie ou moi qui travaille pour, je vais choisir de travailler pour. Si ma mère paie, je ne gagne rien. Là, maintenant, je connais l’entrepreneuriat. Je sais comment gérer une entreprise, gérer des mauvais et des bons clients, des employés… »

La Floride appelle

Il y a quelques mois, Evans Chuba a établi une liste de cinq écoles américaines – des high schools – dans lesquelles il aimerait poursuivre son développement.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Evans Chuba

« Là-bas [aux États-Unis], c’est la culture football et baseball, explique-t-il. Ici, c’est le hockey. Je trouve qu’il n’y a pas la même mentalité ici. Mais ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas le talent. Plusieurs personnes qui viennent du Canada font des trucs incroyables aux États-Unis. On a le talent, mais pas le système pour nous pousser au prochain niveau. On n’a pas la visibilité. »

Les joueurs natifs du Québec sont en effet peu nombreux dans la NFL.

À l’école secondaire Dalbé-Viau, où il étudie et joue depuis trois ans, Chuba a été encadré par ses entraîneurs, qui ont montré son portfolio à différents établissements américains. L’Académie Clearwater International, en Floride, s’est montrée très intéressée.

« Le coach m’a beaucoup aimé, dit-il. Il a appris à me connaître pendant trois mois. On a fait des appels Zoom. Un quart-arrière, il faut absolument que tu sois certain que c’est la bonne personne.

– C’est à ce moment-là que tu t’es dit que le rêve était accessible ?

– Non, j’y croyais déjà, répond-il sans hésitation. […] Moi, mon but, c’est de devenir le meilleur quart-arrière pour jouer dans la NFL. C’est plus difficile [que la LCF], mais c’est accessible. Il faut faire les choses nécessaires pour y arriver. »

Une nouvelle étape

De son côté, sa mère peine encore à réaliser que son fils déménagera à 2500 km de la maison.

« J’ai toujours su qu’il allait faire de grandes choses. Depuis qu’il est très jeune, tout le temps, les coachs me disaient : “Ton fils va aller loin.” […] Il me disait tout le temps qu’il voulait aller aux États-Unis pour aller dans la NFL. Mais pour moi, c’était super flou. Et je ne connais pas le cheminement pour aller jusque-là. Je disais tout le temps : “On verra.” Mais il a vraiment un talent, et je l’entends beaucoup des autres. »

Le départ est prévu pour le 7 avril. Déjà 9000 $ ont été amassés grâce à Go Fund Me, ce qui permettra de payer les huit premiers mois. Mais il en manque encore beaucoup.

« Et si vous n’arrivez pas à amasser 26 000 $ ?

– Je vais me trouver un autre job », répond Julie Bruyère.

La pomme tombe rarement loin de l’arbre.