La NFL, c’est bien sûr la « National Football League ». Mais on dit aussi que ces lettres peuvent signifier « Not For Long » (pas pour longtemps).

La machine du football américain est impitoyable. Elle avale et recrache des joueurs à coups de centaines par année. Si un premier choix ne produit pas comme on s’y attendait au bout de deux ans, c’est merci, bonsoir. Pas le temps d’attendre. Les directeurs généraux vous le diront : « le potentiel est la chose la plus dangereuse, il vous fera perdre votre poste ». On est très, très, très loin de la LNH…

Il y a approximativement 2000 joueurs dans la NFL à l’heure actuelle. Dans cinq ans, au moins 1000 d’entre eux seront ailleurs : dans une ligue inférieure, chez un concessionnaire automobile, dans un hôpital…

Laurent Duvernay-Tardif a appris cette réalité au cours des derniers mois. Il savait qu’il risquait de perdre son poste de partant chez les Chiefs de Kansas City lorsqu’il a choisi de se prévaloir de l’option de ne pas jouer en 2020 afin de pouvoir contribuer à une équipe immensément plus importante, celle des travailleurs de la santé, alors au plus fort de la lutte contre ce terrible virus.

C’était noble, louable et la chose à faire. Mais les Chiefs ont décidé de passer au suivant. La blessure à une main qu’a subie Duvernay-Tardif lors du camp d’entraînement n’a certes pas aidé sa cause, mais les Chiefs semblaient déjà avoir décidé de tourner la page et de donner le poste de garde à droite à la recrue Trey Smith. Avant même le début de la saison, des rumeurs d’échange impliquant Duvernay-Tardif circulaient aux États-Unis.

Mardi, les Chiefs ont cédé le Québécois aux Jets de New York lors de la dernière journée avant la fin de la période des échanges. En retour, les Chiefs ont obtenu Daniel Brown, un ailier rapproché très peu connu qui joue principalement sur les unités spéciales et qui n’a attrapé que deux passes au cours des deux dernières saisons.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Laurent Duvernay-Tardif à l’Université McGill en 2020

Autrement dit, les Chiefs ont obtenu très peu pour un joueur qui faisait partie de leurs partants lorsqu’ils ont gagné le Super Bowl il y a deux ans. Manifestement, Duvernay-Tardif ne faisait plus partie de leurs plans. Non seulement il avait perdu son poste de partant au profit de Smith, mais il avait été l’un des cinq joueurs du club à ne pas revêtir son uniforme le jour des matchs jusqu’à lundi soir.

La bonne nouvelle, c’est que les Chiefs ont cédé Duvernay-Tardif à une équipe qui a besoin de renfort sur sa ligne offensive. Il devra d’abord se familiariser avec sa nouvelle organisation et son nouveau livre de jeux, mais l’occasion de jouer devrait se présenter avant la fin de la saison pour Duvernay-Tardif.

Il s’agit d’un beau pari pour les Jets. Il n’y a aucune contrainte sur le plan salarial, puisque le contrat de Duvernay-Tardif viendra à échéance en mars et qu’ils l’ont acquis en sacrifiant un joueur marginal. Au sein d’une jeune équipe, Duvernay-Tardif pourrait devenir un joueur clé – s’il veut poursuivre sa carrière…

Une nouvelle aventure ?

On pouvait comprendre l’attachement de Duvernay-Tardif aux Chiefs.

Lorsqu’il s’est entraîné devant des dépisteurs de la NFL à Montréal dans les semaines qui ont précédé le repêchage de 2014, c’est le représentant des Chiefs qui a dirigé l’entraînement. Les Chiefs l’ont repêché avec le premier choix du sixième tour. Il a signé un contrat qui a fait de lui un multimillionnaire avec la formation du Missouri. Il a fait partie d’équipes gagnantes durant toute sa carrière avec les Chiefs et a remporté le Super Bowl. C’était son premier amour.

Nul doute que Duvernay-Tardif aurait préféré rester à Kansas City s’il avait pu jouer. Mais après avoir vu Patrick Mahomes se faire frapper comme une balle de golf derrière une ligne offensive rapiécée contre les Buccaneers de Tampa Bay au Super Bowl en février dernier, les Chiefs ont décidé de reconstruire leur quintette. Ils n’ont pas changé un ou deux joueurs de l’unité. Ils ont essentiellement fait table rase. Comme plusieurs de ses anciens coéquipiers, Duvernay-Tardif ne faisait plus partie de l’équation.

Mais s’il veut continuer de jouer dans la NFL en 2022, il pourra certainement le faire, que ce soit à New York avec les Jets ou avec une autre équipe. Duvernay-Tardif fêtera ses 31 ans en février, mais il n’a pas joué autant qu’un joueur typique de cet âge. Il y a donc moins d’usure physique. Il possède l’intelligence pour s’ajuster à une nouvelle équipe et peut maintenant être considéré comme un joueur d’expérience.

La question est de savoir s’il voudra s’investir pleinement pour le faire. Il y a tout simplement trop de joueurs prêts à tout pour qu’il en soit autrement.

S’il sent plutôt que le moment est venu de vivre une nouvelle aventure, Duvernay-Tardif pourra dire mission accomplie, même si ce n’est pas la fin qu’il souhaitait.

S’il veut goûter à autre chose, on sait tous que ce ne sont pas les occasions qui manqueront. La médecine ? La philanthropie ? La politique ? Le monde des communications ? Les affaires ? Toutes ces réponses ?

L’avenir nous dira si Duvernay-Tardif relancera sa carrière chez les Jets. S’il n’avait besoin que d’une occasion de jouer pour reprendre sa place de partant dans la NFL. Mais dans tous les cas, la transaction qui l’a envoyé à New York était souhaitable. Les papiers de divorce étaient sur la table depuis un bon moment et notre champion national méritait mieux que de regarder des matchs en pantalon de jogging. Il est un peu trop hyperactif pour ça.