Dans le cadre de sa semaine « Célébrons la Coupe Grey », la Ligue canadienne de football (LCF) a peut-être réussi son meilleur coup avec sa table ronde qui portait sur le racisme et la justice sociale, mercredi. Diffusé sur son site internet, l’évènement a conjointement été organisé par la ligue et l’Association des joueurs.

L’entraîneur-chef des Alouettes, Khari Jones, était l’un des panélistes de la rencontre virtuelle, à laquelle ont également participé Jason Shivers, Nate Behar, Jackson Jeffcoat, Terrence Campbell, Natey Adjei, Bryan Burnham, Marquay McDaniel et Vontae Diggs, qui ont tous joué dans la LCF et qui sont tous des hommes noirs.

Plusieurs des participants ont raconté en détail des exemples de racisme dont ils avaient été victimes. Des histoires parfois très poignantes. Il a également été question du mouvement Black Lives Matter, de même que de l’impact que le meurtre de George Floyd, tué par un policier au Minnesota le printemps dernier, avait eu.

« Les gens de ma génération qui sont dans la trentaine ou dans la quarantaine ont vu ce qui était arrivé à Rodney King, et c’est essentiellement la même histoire qui s’est répétée [dans le cas de Floyd]. Ça a éveillé de douloureux souvenirs », a dit Shivers, qui est actuellement le coordonnateur défensif des Roughriders de la Saskatchewan.

King n’avait pas été tué, mais avait été brutalement battu par des policiers à Los Angeles, en 1991, ce qui avait provoqué des émeutes.

« Je suis content de voir que certaines entreprises et certains individus ont eu à faire des examens de conscience et sont devenus plus inclusifs. Il y a eu des actions, pas seulement des paroles [depuis la mort de Floyd] », a pour sa part estimé Adjei, un receveur des Argonauts de Toronto.

Ancien joueur de ligne offensive, Campbell est aujourd’hui policier en Californie. Il a donc un point de vue particulier sur la relation entre la police et les hommes noirs.

« C’était très important que la discussion s’amorce au sujet de la police et ce que ça représente d’être un policier. Sommes-nous là pour aider les gens ou sommes-nous contre les gens ? J’étais heureux de pouvoir discuter de ces questions avec mes supérieurs », a raconté Campbell.

« La chose la plus importante, à mon avis, c’est la communication. C’est difficile de détester une personne lorsqu’on la connaît et qu’on sait ce qu’elle a vécu », a quant à lui philosophé Jones.

Chez les Alouettes aussi

Dans les semaines qui ont suivi le meurtre de George Floyd et les manifestations qui ont éclaté aux quatre coins du monde, les Alouettes ont organisé une rencontre virtuelle à l’interne afin de discuter de racisme et de discrimination. Cette rencontre est maintenant offerte sur le site internet de l’équipe.

Jones, Vernon Adams fils et Henoc Muamba ont tous raconté leur histoire aux autres membres de l’organisation et ont ensuite répondu aux questions des employés du club.

Ce que j’aime voir, c’est que beaucoup de gens se sentent interpellés et veulent faire avancer les choses, pas seulement des personnes noires.

Khari Jones, entraîneur-chef des Alouettes

« LBJ [Luc Brodeur-Jourdain] nous a parlé de l’exemple des Québécois, et il y a effectivement plusieurs formes de racisme, a dit Jones. Je pense que c’est important d’en apprendre le plus possible au sujet des autres cultures. Je suis actuellement des cours de français et j’espère pouvoir le parler un jour. C’est l’une des belles choses de vivre à Montréal. »

Dans une autre vie, Jones a été un quart-arrière étoile dans la Ligue canadienne. Il a raconté qu’il s’était senti beaucoup plus à l’aise d’occuper cette position au Canada que lorsqu’il jouait aux États-Unis.

« Être un quart-arrière noir il y a 25 ou 30 ans, ce n’était pas la même chose que de l’être de nos jours. Je sentais que je devais constamment faire mes preuves [aux États-Unis]. Plusieurs entraîneurs voulaient me muter au poste de receveur ou de demi défensif. Mais c’est l’une des choses qui ont changé, on peut le constater avec Patrick Mahomes, Lamar Jackson et Russell Wilson. »

Un grand-père raciste

Vernon Adams fils est un autre quart-arrière noir qui connaît du succès. Dans la rencontre virtuelle des Alouettes, le joueur étoile a candidement décrit comment il avait été confronté au racisme, autant au football que dans sa vie personnelle.

Ayant grandi à Pasadena, en Californie, où il était entouré de gangs de rue, Adams a subi un certain choc lorsque ses parents l’ont inscrit dans une école secondaire privée. « Je n’avais jamais vu autant de Blancs de ma vie. »

Et certains de ces Blancs ne se gênaient pas pour le traiter de tous les noms, dont celui que vous devinez. Ça s’est poursuivi à l’Université Eastern Washington, où plusieurs joueurs étaient originaires d’États où les populations sont très majoritairement blanches, par exemple l’Idaho ou le Montana. « Les seuls Noirs sur le campus étaient des étudiants-athlètes », a indiqué Adams fils.

« Certains joueurs [blancs] disaient des choses et semblaient croire qu’ils pouvaient le faire parce que nous faisions partie de la même équipe. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Vernon Adams fils

Adams fils a été victime de racisme depuis qu’il joue au football, mais c’est dans sa vie privée qu’il a vécu l’épisode qui semble l’avoir le plus secoué.

La mère du premier enfant d’Adams fils est blanche. Lorsqu’il a rencontré sa famille pour la première fois, le grand-père de sa copine a quitté les lieux rapidement sans qu’Adams fils ne sache pourquoi.

« Ma copine m’a ensuite expliqué qu’il lui avait dit qu’il n’assisterait pas à son mariage si elle se mariait avec un homme noir. Ça m’a fait mal. Mais c’est un homme d’une autre époque et on ne peut pas le changer. »

Adams fils estime d’ailleurs que les changements sociaux qui s’opèrent lentement profiteront éventuellement aux générations futures.

« Il est trop tard pour nous. On essaye de faire changer les choses pour nos petits-enfants. On ne veut pas qu’ils aient à grandir dans un monde aussi cruel. »

Un miroir de la société

Comme Adams fils, Henoc Muamba a été témoin de racisme dans les différentes équipes dans lesquelles il a joué, ne serait-ce que dans le non-dit.

Les vestiaires de football sont le miroir de la société en général. Il y a des gens de tous les horizons. Ça se sent lorsqu’une personne est raciste.

Henoc Muamba

Muamba et sa famille ont quitté le Congo lorsqu’il était enfant afin de fuir la guerre. Il a ensuite vécu à Montréal, puis dans la région de Toronto. Le secondeur a de la famille sur le continent africain, aux États-Unis et au Canada, et il juge que le problème du racisme est universel.

« On dit souvent que c’est moins grave au Canada qu’aux États-Unis, mais c’est plus profond que ça. C’est systémique. On ressent à la fois de la tristesse et de la colère. Je pense que c’est normal de ressentir de la colère, mais on doit la canaliser de la bonne façon afin de faire progresser les choses », croit Muamba.

Un vestiaire pour tous

Comme la plupart des autres membres de l’organisation, Mario Cecchini et Danny Maciocia ont participé à la rencontre des Alouettes sur le racisme. Maciocia a même raconté un épisode vécu lorsqu’il avait embauché Richie Hall comme entraîneur-chef chez les Eskimos d’Edmonton, en 2009.

« La première question de la conférence de presse, c’était pour me demander si je réalisais que c’était la première fois de leur histoire que les Eskimos avaient un entraîneur-chef noir. Je n’en revenais pas que la première question portait sur la couleur de la peau d’un homme. »

Le directeur général des Alouettes avait toutefois un message très clair pour les membres de l’organisation.

« Il n’y a pas grand-chose que je peux vous garantir dans notre milieu, mais je peux vous assurer d’une chose : il n’y aura jamais de discrimination ou de racisme au sein de notre vestiaire », a dit Maciocia.

La LCF, l’Association des joueurs et les Alouettes méritent tous un coup de chapeau pour ces discussions franches. Ce genre d’initiative pour contrer le racisme et la discrimination devrait être organisé régulièrement dans les différentes ligues professionnelles.

Regardez la vidéo « Le racisme au cœur de nos préoccupations »