La décision de Laurent Duvernay-Tardif est chevaleresque.

On y retrouve d’abord de l’abnégation. Quitter un sport dur comme le football pour une saison est un pari risqué. Il aura 30 ans en 2021. Reprendre sa place sur la ligne offensive des Chiefs de Kansas City – avec les millions de dollars qui y sont associés – sera un lourd défi.

Pourvu, bien sûr, que ce soit alors son vœu. Avec un homme de cette trempe, aux intérêts si diversifiés, il ne faut rien tenir pour acquis. Le sport est un élément de sa vie professionnelle, et non pas toute sa vie professionnelle. La différence entre les deux est énorme.

Dans son choix, il y a aussi de la générosité. Il sait la souffrance provoquée par la COVID-19, il a expérimenté « le stress qu’elle met sur le système de santé », pour reprendre les mots de son communiqué. Sa conclusion est simple et ferme : « Si je suis amené à me retrouver dans une situation comportant des risques significatifs, je le ferai en traitant des patients. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Laurent Duvernay-Tardif a décidé de ne pas participer à la prochaine saison de la NFL.

Soigner des gens dans l’anonymat d’une résidence pour personnes âgées ou dans un hôpital, plutôt que de briller sur le terrain aux côtés d’un quart-arrière fabuleux comme Patrick Mahomes et de participer à un projet sportif qui a déjà mené à une conquête du Super Bowl et qui en annonce d’autres, est un geste généreux envers ses concitoyens.

Son parcours au football est limité dans le temps alors que sa carrière médicale s’amorce à peine. Personne ne lui en aurait voulu d’exploiter à fond son potentiel sportif et d’endosser l’uniforme durant cette pandémie.

Cette avenue aurait été tout aussi honorable. Les ligues professionnelles servent à nous divertir, et on sait combien nous avons besoin d’évasion à l’heure actuelle. Reconnaissons aux athlètes le mérite d’accepter ce retour au jeu malgré les contraintes. La vie en « bulle », comme c’est le cas au hockey, au basketball et au soccer, comprend sûrement son lot de frustrations.

Quant au football, le danger est encore plus élevé. Comment éviter la propagation de gouttelettes dans ces empilades qui suivent chaque jeu ou presque ? Rappelons-nous le pessimisme du Dr Anthony Fauci, le Horacio Arruda américain, en juin dernier. Il voyait mal comment la saison de la NFL pourrait avoir lieu.

La direction de la NFL et l’Association des joueurs ont convenu d’une politique sanitaire à première vue satisfaisante, mais un risque évident persiste, comme l’a rappelé LDT en annonçant sa décision : « … en tant que futur professionnel de la santé, je ne peux pas me permettre de devenir un vecteur potentiel de transmission dans nos communautés », a-t-il expliqué.

Enfin, le geste de LDT exprime sa fidélité à ses principes. Il a choisi de s’engager à fond dans la lutte contre la COVID-19 dès l’éclosion de la pandémie. Et comme celle-ci est loin d’être enrayée, il poursuit le combat, prêt à servir de nouveau au besoin.

Son équipe est désormais celle formée de ces milliers de Québécois et de Québécoises qui, depuis des mois, soignent et réconfortent des gens touchés. Un club admirable, à qui notre société doit beaucoup. LDT peut être fier d’en faire partie.

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Dans le passé, des athlètes professionnels ont fait l’impasse sur une ou plusieurs saisons pour des motifs de toutes sortes. Il est historiquement intéressant de rappeler certains cas.

Ken Dryden, qui, à l’image de LDT, avait d’autres intérêts que son sport dans la vie, a raté le calendrier 1973-1974 en raison d’une dispute contractuelle avec le Canadien. Il en a profité pour compléter sa formation juridique dans un cabinet d’avocats.

De grands joueurs de baseball ont mis leur carrière en suspens en raison de la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, Bob Feller. Alors jeune vedette des Indians de Cleveland, le puissant lanceur droitier s’est engagé dans la marine américaine dès l’entrée en guerre des États-Unis après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, en décembre 1941. Il venait de compléter des saisons de 24, 27 et 25 victoires. Il est revenu au jeu peu avant la fin de la saison 1945.

PHOTO TED SANDE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ted Williams

La carrière du légendaire Ted Williams, des Red Sox de Boston, a été interrompue par la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée.

Et quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001, le footballeur Pat Tillman a quitté les Cardinals de l’Arizona pour s’enrôler dans l’armée américaine. Il a combattu en Irak, puis en Afghanistan où il est mort durant une opération en avril 2004. L’armée a plus tard reconnu qu’il avait été victime d’un tir fratricide, c’est-à-dire qu’il avait été atteint mortellement par un de ses camarades.

Cette année, plusieurs joueurs dans de nombreux sports ont pris une pause par crainte des conséquences sur leur santé, ou celle de leurs proches, si une éclosion de COVID-19 survient durant ce retour au jeu. Leur décision est compréhensible, respectable et courageuse. Personne ne doit se sentir obligé de jouer dans cet environnement incertain et aux pièges manifestes.

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Le cas de LDT est unique. Il a affronté la COVID-19 en travaillant dans un CHSLD au printemps. Comme il l’écrit lui-même, cette expérience « sur les premières lignes » lui a donné « une perspective différente face à la pandémie ».

En disant « au revoir » au football pour cette saison, LDT livre aussi un message fort à tous les Québécois qui admirent son cheminement.

Aujourd’hui encore, des gens ne comprennent pas l’utilité de porter un masque selon les recommandations gouvernementales. Des soirées dans des bars ou des fêtes privées ont facilité la transmission du virus. Et la distanciation physique demeure souvent un combat. Résultat, il faut répéter et répéter encore les consignes. LDT participe à sa manière à cet exercice.

Voici un athlète, jouissant d’un immense respect partout au Québec, qui met en suspens sa gloire sportive et se prive de son riche contrat, par conviction. Parce qu’il sait que, dans cette lutte contre la pandémie, l’heure demeure grave. Et que l’automne nous réserve peut-être de mauvaises surprises.

Les athlètes aux idées fortes utilisent leur tribune pour faire entendre leur voix au-delà de la surface de jeu. C’est ce que LDT vient de réaliser.

Dans ce contexte sanitaire où la prudence est de mise comme jamais, où il faut rouvrir nos écoles de manière sécuritaire et éviter l’engorgement de notre système de santé, la décision de LDT n’est pas seulement chevaleresque. Elle constitue d’abord et avant tout un percutant rappel à l’ordre à l’adresse de ses concitoyens.

Non, cette pandémie n’est pas terminée et ses dangers demeurent réels.