Danny Desriveaux a joué cinq ans pour les Alouettes avant de finir sa carrière avec les Argonauts en 2012. Il a capté plus de 20 passes à chacune de ses deux premières saisons et a gagné la Coupe Grey trois fois. Une carrière plus que respectable.

Or, contrairement à beaucoup de Québécois qui ont joué avec lui chez les Alouettes, Desriveaux est peu connu du public. Et contrairement à certains de ces mêmes joueurs, il peine à se trouver une place dans le monde des médias, ce qu’il souhaite faire depuis plusieurs années déjà.

On ne peut pas affirmer que c’est parce que Desriveaux est noir. Mais on ne peut pas se mettre la tête dans le sable non plus.

Desriveaux possède une foule de qualités qui devraient normalement le rendre très attrayant pour un employeur potentiel. Il a joué dans la LCF et la NCAA. Il a été entraîneur adjoint de Danny Maciocia chez les Carabins de l’Université de Montréal. Il est parfaitement bilingue, s’exprime très bien et a de très bonnes connaissances de la LCF, du football universitaire québécois et de la NFL.

« Si je m’appelais Éric Tremblay et que j’étais blanc, j’ai beaucoup de misère à croire que j’aurais eu autant de difficulté à obtenir ma chance [dans les médias] », a convenu Desriveaux.

J’aurais eu plus d’occasions, plus rapidement [si j’étais blanc]. J’aurais soutiré davantage de la vie à ce stade.

Danny Desriveaux

« Je ne veux pas me plaindre, j’ai une belle vie. Mais il y a peut-être des choses que je n’ai pas eues professionnellement parce que j’étais noir, c’est difficile à dire. Je n’ai jamais été quelqu’un qui pleurait sur son sort, alors je compose avec les cartes qui m’ont été distribuées et je me bats. »

Avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe, Desriveaux sentait que les portes commençaient enfin à s’ouvrir. Collaborateur du site web des Alouettes et à la radio pour le compte de TSN 690, Desriveaux avait également discuté avec d’autres médias, dont RDS. Il est actuellement représentant commercial pour une entreprise de vêtements sportifs.

« Grâce à l’occasion que les Alouettes m’ont donnée l’an dernier, je sentais qu’il commençait à y avoir de l’ouverture. La porte était en train de s’ouvrir après tant d’années. Pourtant, rien n’avait changé depuis le moment où j’ai arrêté de jouer au football. »

J’ai senti très jeune que j’allais devoir travailler plus fort et faire davantage mes preuves pour avoir les mêmes occasions qu’une personne qui n’est pas noire.

Danny Desriveaux

Profilage et discrimination

Desriveaux a grandi à Laval. Il a fait des études universitaires et joué au football au Connecticut et en Virginie. Bien qu’il estime que le racisme est beaucoup plus présent aux États-Unis qu’au Québec, il a tout de même subi de nombreuses formes de racisme ici. Lorsqu’il était enfant, adolescent et adulte.

« Je dirais qu’à partir de la 4année jusqu’au milieu du secondaire, j’étais le seul Noir ou presque dans une classe de 30 élèves. Alors j’ai rapidement réalisé que certains élèves savaient exactement quoi dire ou faire pour me blesser. Ils me traitaient de nègre ou ils faisaient des blagues au sujet de la couleur de ma peau. »

C’est triste de dire ça, mais on finit par banaliser [le racisme] parce qu’on entend ces choses si souvent. Elles nous dérangent de moins en moins.

Danny Desriveaux

« On finit par se bâtir une carapace. Ces gens-là utilisent des mots comme s’ils étaient des armes. Ils le font pour blesser et pour être méchants. »

Après les insultes à l’école et sur les terrains sportifs, Desriveaux a commencé à être victime de profilage.

« Lorsque j’ai commencé à conduire, j’ai rapidement commencé à être arrêté sans aucune raison. Les policiers me demandaient pourquoi je conduisais un véhicule qui n’était pas immatriculé à mon nom, même s’ils voyaient bien que la voiture était au nom de mon père.

« Ça s’est même produit lorsque je travaillais pour les Carabins, il y a quelques années. J’ai quitté le CEPSUM tard en soirée et je roulais dans Mont-Royal lorsque je me suis fait arrêter par des policiers. Ils voulaient savoir ce que je faisais sur la route à cette heure-là et ils ont inspecté le véhicule. Le lendemain, j’en ai parlé aux autres entraîneurs de l’équipe, dont Danny Maciocia, et ils m’ont tous dit que ça ne leur était jamais arrivé.

« Dernièrement, je suis entré dans un magasin avec mon sac à dos. Il contenait mon ordinateur et d’autres objets de valeur, alors ça ne me tentait pas trop de le laisser à la caisse. Mais le commis a insisté pour que je lui laisse le sac, même si les gens devant moi n’ont pas eu à le faire. Pourquoi moi ? Je sais pourquoi. Mais je n’ai pas voulu provoquer une scène, alors je suis resté calme et je lui ai remis mon sac.

On réalise que notre vie est différente de celle des autres. Ce n’est pas aussi grave qu’aux États-Unis, mais on mène tout de même une vie différente parce qu’on est Noir.

Danny Desriveaux

S’habituer à l’horreur

Comme chez la majorité des Noirs, de douloureux souvenirs sont remontés à la surface pour Desriveaux lorsqu’il a vu les images de la mort de George Floyd.

« Il y a eu un déclic instantané, ça m’a ramené à ma jeunesse et plein de souvenirs ont ressurgi. Des commentaires déplacés ou des gestes racistes que j’ai dû subir et encaisser.

« On a vu beaucoup d’hommes noirs se faire tuer au fil des ans, mais je pense que la mort de George Floyd et le comportement du policier qui l’a tué et celui de ses collègues ont vraiment été troublants. »

Desriveaux pense que les quatre policiers disgraciés devront purger une peine d’emprisonnement. Mais il est loin d’en être convaincu.

« La première fois que j’ai vu les images, je me suis dit qu’il y avait un autre policier qui allait s’en sortir après avoir commis un crime abominable. C’était choquant, laid et horrible, mais je croyais qu’ils allaient échapper à la justice pour une raison ou une autre. J’ai meilleur espoir qu’ils paieront pour leur crime depuis quelques jours. Mais j’ai quand même des doutes parce qu’il y a tellement eu de cas semblables. »

J’ai l’impression que ça va prendre énormément de temps avant qu’il y ait des changements durables dans la société. Je pense qu’on parle en termes de générations. Il faudra éduquer les enfants très tôt afin de briser le cycle. J’espère que les choses vont changer plus rapidement, mais c’est une grosse blessure à guérir.

Danny Desriveaux

Desriveaux et sa conjointe, Marie-Pier, sont les parents de Samuel et de Théodore, des garçons de 6 et 5 ans.

« Cette semaine, j’ai dû leur expliquer pourquoi les gens faisaient du grabuge dans les rues. Si les choses ne changent pas, d’imaginer qu’ils devront grandir dans ce genre de société est très inquiétant. »

Un monde de Blancs

On redoublera sûrement d’efforts afin de mieux conscientiser la population au sujet du racisme et de la discrimination à la suite des évènements des dernières semaines. C’est essentiel. Cela dit, Desriveaux n’est pas dupe. Il sait fort bien que le racisme ne sera malheureusement pas éradiqué de sitôt.

« Je pense qu’il y a encore des gens qui souhaitent en leur for intérieur que les choses ne changent pas. Et il y a des personnes dans des positions de pouvoir qui peuvent influencer ce qui se fera ou ce qui ne se fera pas.

« On le sent en général lorsqu’une personne est raciste. Certaines personnes nous traitent de la même façon qu’ils traiteraient des membres de leur famille, mais il y en a d’autres qui sont très bonnes pour dissimuler leur racisme. C’est parfois difficile à savoir de nos jours, car c’est super tabou et personne ne veut porter l’étiquette de raciste. »

Desriveaux a dit à maintes reprises au cours de notre entrevue qu’il appréciait la carrière qu’il avait connue au football et qu’il n’était pas à plaindre.

« Mais même si on a du succès comme athlète ou dans notre vie professionnelle, il y a toujours des choses qui se produisent pour nous rappeler qu’on est un Noir qui vit dans un monde de Blancs. »