Khari Jones n’a regardé la vidéo de la mort de George Floyd qu’à une seule reprise. Des images qui l’ont bouleversé et qu’il n’oubliera jamais.

« Cette histoire a enflammé le monde entier. Elle a également déclenché de vives émotions chez moi. La façon inhumaine dont il a été traité, c’est quelque chose que je serai incapable d’oublier. C’était horrible. »

L’entraîneur-chef des Alouettes est un homme doux, calme et émotif. En visioconférence, mardi après-midi, il n’a pu contenir toute la tristesse que la mort de George Floyd avait provoquée chez lui. Floyd est décédé peu de temps après avoir été arrêté par quatre policiers à Minneapolis, dont Derek Chauvin, qui a été accusé de meurtre au troisième degré.

« Il l’a traité comme s’il n’était même pas un être humain, et ce même si des gens l’imploraient d’arrêter. Il sentait qu’il pouvait le tuer sans impunité », a dit Jones alors que des larmes coulaient sur ses joues.

Jones se considère chanceux d’avoir pu grandir en Californie, l’un des états les plus libéral et progressiste des États-Unis. Mais comme la très grande majorité des Noirs, il a tout de même été victime de racisme, notamment de la part de policiers.

C’était à Sacramento à la fin des années 90. Jones, son frère et un groupe d’amis ont été arrêtés par des policiers, qui ont surgi de plusieurs endroits avant de converger vers le groupe de jeunes hommes.

« On a été mis au sol et menottés par des policiers, qui avaient sorti leur arme à feu. C’était un cas d’erreur d’identité et ils nous ont laissé partir après avoir fait quelques appels téléphoniques. Nous étions coupables d’être des Noirs qui marchaient dans la rue. C’était une horrible sensation. »

Jones a ainsi appris à vivre avec la peur d’être victime de brutalité policière ou d’injustice.

« On ne s’habitue jamais, mais lorsqu’on est une personne noire, on sait que certaines choses similaires peuvent se produire à tout moment. Alors je savais de quelle façon je devais agir lorsque j’étais arrêté pour une infraction de la route, par exemple. Il faut réagir d’une certaine façon lorsqu’il y a de la tension ou qu’il y a de la peur. Ce n’est pas la même chose pour nous (que pour une personne blanche). »

Lettres anonymes à Winnipeg

S’il estime que le racisme est plus présent aux États-Unis qu’il ne l’est au Canada, Jones a raconté un autre épisode troublant survenu à Winnipeg, peu de temps après celui en Californie.

« Croyez-moi, le climat social est nettement meilleur au Canada qu’aux États-Unis. Cela dit, il y a tout de même des problèmes. J’ai écrit une lettre à nos joueurs récemment pour leur raconter ce qui m’était arrivé lorsque j’étais un quart-arrière à Winnipeg (avec les Blue Bombers). J’avais reçu une série de lettres anonymes qui contenaient des menaces de mort. C’était parce que ma femme était d’une autre race que la mienne. »

« Des policiers restaient à notre domicile et patrouillaient dans notre secteur lorsque nous disputions des matchs à l’étranger. Ce n’était peut-être qu’une seule personne qui avait écrit ces lettres, mais c’était déjà une personne de trop », a dit Jones.

« J’ai conservé ces lettres et je les regarde encore occasionnellement. Elles servent à me rappeler qu’on doit rester vigilant. Ils n’ont jamais retrouvé la personne, qui avait utilisé un faux nom. Cette personne est toujours en liberté et il y en a d’autres comme elle. »

« Ça n’a pas affecté mon amour pour la ville, car les gens étaient gentils avec moi, mais ça m’a profondément blessé. C’était une sensation très étrange. Il n’y a rien que je pouvais faire, et je n’avais rien fait pour recevoir ces lettres. C’était seulement en raison de la couleur de ma peau. »

L’efficacité du vote

Jones et sa famille habitent à Vancouver. L’entraîneur-chef a regardé la vidéo de la mort de George Floyd avec ses filles, Jaelyn et Siena, qui sont respectivement âgées de 17 et 15 ans.

« Il n’y a pas vraiment eu de conversation entre nous, car j’étais incapable d’arrêter de pleurer. Elles savaient donc jusqu’à quel point j’en étais affecté, et elles en étaient affectées, elles aussi. »

« On a un peu parlé du racisme au fil des ans, mais j’essaie de ne pas trop leur mettre de pression avec ça. Heureusement, mes filles ont été bien traitées dans la plupart des endroits où nous avons vécu. Elles n’ont pas été confrontées au racisme ou très peu, et j’en suis très heureux. »

« Je leur ai tout de même expliqué comment ça pouvait être aux États-Unis, à certains endroits en particulier. Qu’il fallait être vigilants et prudents. Ce n’est pas très agréable de devoir discuter de ça avec elles. »

Ce n’est un secret pour personne que le racisme et les tensions raciales sont généralement plus prononcés dans les états républicains que démocrates. L’arrivée au pouvoir du président Donald Trump semble avoir exacerbé le problème.

« Je pense que la porte s’est entrouverte pour les gens racistes afin de pouvoir s’exprimer plus librement, tout en sentant qu’ils étaient enhardis. Ces gens ont toujours existé. Ce n’est pas à cause de lui (Trump) que cela a commencé. Mais ces individus se sentent maintenant plus libres d’agir comme ils le souhaitent. »

« Certaines personnes qui faisaient des lynchages dans les années 50 et 60 sont toujours en vie. Et ces gens ont eu des enfants. Ces choses ne sont pas disparues parce qu’il y a eu un président noir. Ça s’améliore peut-être, mais pas assez rapidement. »

Jones a ensuite rappelé que des changements majeurs surviendraient uniquement avec l’implication et la solidarité des Blancs. Il estime que c’est en se rendant aux urnes que la population fera avancer les choses.

« J’espère vraiment que les gens iront voter à l’avenir. Pas seulement lors des élections présidentielles, mais au niveau local dans leur communauté, aussi. Il faut trouver des façons de faire changer les choses et cela doit s’effectuer de l’intérieur. »

« J’espère que cette plus récente mort (de George Floyd) fera avancer les choses et qu’elle mènera ultimement à des changements. Mais ça prendra l’implication de tous. »