Même si l’aventure de la Machine n’a duré que deux saisons (1991-1992), elle a permis aux amateurs de football américain de goûter au jeu à quatre essais, tout en comblant une partie du vide entre les deux vies des Alouettes, qui avaient fermé boutique cinq ans plus tôt. Devenu le premier entraîneur-chef québécois d’une équipe de football professionnel, Jacques Dussault était le visage de la Machine. Le « Coach » nous a récemment raconté ses souvenirs de cette époque.

Jacques Dussault était en vacances en Floride lorsqu’il a appris que des gens voulaient discuter avec lui au sujet d’un nouveau projet. Une nouvelle ligue de football professionnelle verrait le jour sous peu et on voulait parler avec lui de la possibilité qu’il soit l’entraîneur-chef d’une potentielle équipe à Montréal.

Dussault a cru qu’il s’agissait d’une blague. Pilote des Mounties de l’Université Mount Allison à Sackville, au Nouveau-Brunswick, à cette époque, il ne comprenait pas pourquoi une nouvelle ligue parrainée par la NFL l’aurait dans sa mire.

« On jouait devant 1300 personnes à Mount-Allison et eux voulaient que je sois le coach d’une équipe professionnelle à Montréal ? Je prenais ça plus ou moins au sérieux. Mais quand je suis revenu à Sackville, j’ai bel et bien reçu un appel de la World League. Mais encore là, je ne connaissais personne qui faisait partie du projet alors j’avais de sérieux doutes. »

Or, quelques personnes, dont Wally Buono, avaient fortement recommandé Dussault aux décideurs de la World League of American Football, dont la première mission était de devenir une ligue de développement pour la NFL.

« Ils voulaient me rencontrer à Dallas et j’ai accepté. Moins de 48 heures plus tard, le billet d’avion est arrivé chez moi. C’est à ce moment que j’ai compris que c’était sérieux. »

C’est ainsi que s’est amorcé un périple un peu fou de deux mois. Dussault s’est envolé vers Dallas où il a été interviewé par le groupe de dirigeants de la World League.

« Lorsque j’étudiais à l’Université Miami of Ohio, j’avais suivi un cours sur l’éthique. On nous avait expliqué qu’il était pratiquement assuré qu’une équipe qui songeait sérieusement à embaucher un entraîneur allait l’emmener dans un restaurant et dans des bars afin de voir de quelle façon il se comporterait. Et c’est ce qui est arrivé. Je me suis donc assuré de ne boire qu’une bière ou deux », a raconté Dussaut en riant.

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L'entraîneur-chef de la Machine, Jacques Dussault, ici le 15 janvier 1991

Le Québécois a passé le test.

Ils m’ont offert le poste en me prévenant que le salaire était le même pour tous les entraîneurs de la ligue et que c’était non négociable. Lorsque j’ai vu le chiffre, j’ai poussé fort sur le stylo ! Je n’avais jamais eu un salaire comparable.

Jacques Dussault

Direction Orlando

Dussault n’est pas revenu au Québec après avoir signé son contrat. Tous les entraîneurs des équipes de la World League devaient plutôt se rendre à Orlando, où les joueurs désireux d’évoluer dans la nouvelle ligue s’entraîneraient devant eux.

Les joueurs qui jouaient à la même position s’entraînaient le même jour. Il y avait des examens médicaux, des exercices individuels et des entrevues durant le jour, puis les joueurs de cette position étaient repêchés par les équipes le soir même. Par exemple, les joueurs de ligne offensive le lundi, les ailiers rapprochés le mardi, ainsi de suite.

« On faisait des journées de 19 heures, mais l’organisation était impeccable. Chaque séance d’entraînement était filmée, il y avait des médecins sur place pour faire les examens et tout était à la disposition des équipes. C’est la NFL qui était derrière ça et ça paraissait, ce n’était pas une organisation de “ti-counes” »

« Faut dire que je ne passais pas des Packers de Green Bay à la World League, j’arrivais de Mount Allison ! Le changement était peut-être donc plus grand pour moi que pour les autres entraîneurs. »

Après ces séjours à Dallas et à Orlando, où s’était également déroulé le camp de la Machine peu de temps après le repêchage, Dussault et sa nouvelle équipe se sont dirigés vers Birmingham, en Alabama. C’est à cet endroit qu’ils disputeraient le premier match de leur histoire contre le Fire.

« Il y avait trois ou quatre motos de police devant notre autobus et trois ou quatre autres derrière nous. C’était assez spécial de voir ça. »

La Machine a battu le Fire, 20 à 5. L’équipe pouvait enfin rentrer à Montréal… pour la première fois ! Dussault n’avait d’ailleurs pas remis les pieds au Canada depuis qu’il avait obtenu le poste d’entraîneur-chef.

« Tout a déboulé tellement vite. Je pense qu’on a joué notre premier match à Montréal environ deux mois après mon entrevue à Dallas. C’est fou la façon dont ça s’est passé. »

Engouement et salle comble

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Jacques Dussault, entraîneur-chef de la Machine de Montréal, le 12 avril 1992

Dussault se souvient qu’il y avait encore de la neige au sol lorsque l’avion dans lequel la Machine avait voyagé s’est posé au sol à Montréal. C’était dans la dernière semaine de mars 1991.

La grande majorité des joueurs ne connaissaient même pas Montréal. Certains des joueurs ont même pris l’avion en sandales et en shorts !

Jacques Dussault

Montréal et le Québec étaient nouveaux pour la plupart des membres de la Machine, et l’inverse était tout aussi vrai. Les amateurs en connaissaient très peu au sujet de ceux qui allaient porter l’uniforme de leur nouvelle équipe préférée.

« Tous les membres du club ont été présentés au Complexe Desjardins et c’était plein à craquer. Il n’y avait plus un billet à vendre pour notre match contre Barcelone. Et la marchandise aux couleurs de l’équipe qui devait être en quantité suffisante pour toute la saison a toute été vendue dès notre premier match. »

La Machine s’est inclinée lors de ce premier rendez-vous au Stade olympique. L’intérêt du public est cependant demeuré considérable durant toute cette première campagne. Et Dussault était le visage de l’équipe.

« Je suis devenu la mascotte du club parce que j’étais un francophone et que personne ne connaissait nos joueurs ! »

« Il y avait Radio-Canada, TVA, TQS à l’époque, RDS, de même que les réseaux anglophones. Je participais donc à toutes les émissions de variétés en ville. Mais ça m’a permis de rencontrer Jean Leloup, Joe Bocan, Mad Dog Vachon et plusieurs autres personnalités. »

« Ma hantise, c’était que les gens pensent que j’étais devenu une tête enflée parce que j’étais toujours à la télé. Mais si j’acceptais toutes ces demandes, c’était pour faire rayonner l’équipe. Avec le recul, je pense toutefois que j’aurais dû en accepter moins. »

Des anciens de la NFL

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Bjorn Nittmo, botteur de la Machine de Montréal, le 13 mai 1991

Bien qu’ils étaient peu connus du public montréalais, quelques joueurs de la Machine avaient fait carrière dans la NFL avant de jouer dans la World League. C’était notamment le cas du receveur et spécialiste des retours, Pete Mandley, du quart-arrière Kevin Sweeney et du botteur Björn Nittmo, devenu une célébrité grâce à David Letterman.

Nittmo avait en effet participé à l’émission Late Night with David Letterman à plusieurs reprises durant sa carrière avec les Giants de New York à la fin des années 80. Letterman était fasciné par le nom du botteur…

« Nittmo était correct, mais tout ce qu’il voulait, c’était de retourner dans la NFL au plus vite. Il nous avait fait perdre un match parce qu’il avait ignoré nos consignes sur un botté parce qu’il ne voulait pas que ça nuise à sa moyenne », a raconté Dussault.

Il y avait de maudits bons gars dans l’équipe, mais il y en avait d’autres qui ne l’étaient pas du tout. Plusieurs joueurs étaient dans la World League plutôt que la NFL parce qu’ils avaient eu des problèmes à l’extérieur du terrain.

Jacques Dussault

Curieusement, l’un des souvenirs que chérie particulièrement Dussault des deux années qu’il a passées à la barre de la Machine n’a rien à voir avec les joueurs, les matchs ou même le public.

« J’ai toujours eu une très bonne relation avec les journalistes francophones et c’était le cas à cette époque. Les lundis, je les rencontrais et je leur montrais six ou huit jeux du match précédent et je leur expliquais ce qui s’était passé avec la reprise vidéo. Les journalistes l’appréciaient beaucoup. Je ne pense pas qu’on verrait ça de nos jours. »

L’Europe et les camps de la NFL

Seule équipe du Canada dans la World League, la Machine a terminé au troisième rang de sa division lors de ses deux saisons et sa fiche globale a été de 6-14. La deuxième année a été particulièrement difficile alors que l’équipe n’a remporté que deux de ses 10 rencontres.

« La ligue ne se cachait même pas pour dire qu’elle souhaitait que ce soit une équipe de l’Europe qui gagne le championnat la première année, et que la deuxième année, ce serait le tour d’une équipe américaine. À un certain moment, je leur ai demandé ce serait quand notre tour à nous… »

Si les résultats sur le terrain n’ont généralement pas été à la hauteur des attentes de Dussault, il garde néanmoins de précieux souvenirs de ses deux années dans la World League.

Ça a été vraiment intéressant comme expérience, surtout la première année. On n’a pas beaucoup gagné, mais tout était bien organisé dans la ligue. Même notre uniforme était à mon goût avec le rouge vin et le gris. C’était original.

Jacques Dussault

« Je ne veux pas insulter personne, mais disons que des villes comme Londres, Barcelone et Amsterdam, ce n’est pas comme Regina. De jouer un match au Wembley Stadium, c’était impressionnant. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est d’avoir pu faire le tour des camps d’entraînement de la NFL. »

« Aux États-Unis, lorsqu’on est entraîneur-chef d’une équipe de football, les portes sont grandes ouvertes et je n’étais pas habitué à ça. J’ai pu voir Jim Kelly et les Bills s’entraîner alors qu’ils étaient une puissance de la NFL. J’ai jasé durant une heure avec Pete Carroll, qui était le coordonnateur défensif des Jets de New York à cette époque. Ils n’étaient pas obligés de m’accueillir de cette façon, j’étais un illustre inconnu pour ces gens-là. »

Dussault estime-t-il que ses deux saisons avec la Machine ont représenté sa plus grande réalisation professionnelle ? Le « Coach » a vite répondu que ses années avec les Mounties, les Carabins de l’Université de Montréal ou les Alouettes, notamment, avaient autant de valeur à ses yeux.

« Mais c’est sûr que lorsqu’il y avait des grosses foules au Stade olympique et que tout le monde en ville voulait être là, c’était assez spécial. »