C’est l’animateur Don Lemon, du réseau CNN, qui a le mieux résumé la situation actuelle aux États-Unis, mardi soir. « Il y a actuellement deux virus dans ce pays, la COVID-19 et le racisme 2020 », a dit Lemon lors de son émission de fin de soirée.

Tandis que les États-Unis franchissaient le seuil des 100 000 morts dans la pandémie de la COVID-19, la mort de George Floyd au Minnesota a provoqué la colère et une profonde indignation.

Rappelons les faits. Floyd, un Afro-Américain de 46 ans qui était qualifié de gentil géant par ceux qui le connaissaient, est mort peu de temps après qu’un policier lui eut enfoncé un genou dans la gorge durant plus de neuf minutes, lundi soir. Une scène horrible et révoltante qui a été filmée par une personne qui se trouvait à proximité. Trois autres policiers sur les lieux ont choisi de ne pas intervenir.

Selon des images qui ont été diffusées au cours des derniers jours, Floyd n’a pas résisté à son arrestation, relative à une histoire de faux billets. Des protestations ont suivi à Minneapolis, de même qu’à Los Angeles.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO

Des manifestations contre la brutalité policière ont éclaté dans de nombreuses villes aux États-Unis après la mort, lundi dernier, de George Floyd sous le poids d’un policier.

Les quatre policiers dans cette affaire ont été congédiés, mais beaucoup estiment qu’ils devraient être accusés de meurtre. C’est d’ailleurs l’avis du maire de Minneapolis, Jacob Frey, qui a dit dans une entrevue avec le réseau CBS que Floyd serait toujours en vie s’il avait été un homme blanc.

Tyrell Sutton en est convaincu, lui aussi. Afro-Américain de 33 ans qui a presque toujours vécu au Québec depuis qu’il a amorcé sa carrière chez les Alouettes en 2013, Sutton est l’un des athlètes professionnels les mieux informés et éloquents à Montréal. Né et ayant grandi à Akron, en Ohio, il est également le fils d’un policier.

C’était un meurtre à l’état pur. Et j’espère que les trois autres policiers qui l’ont regardé agir sans intervenir seront accusés pour complicité de meurtre.

 Tyrell Sutton

« Je n’ai pas un préjugé défavorable envers la police, a poursuivi Sutton lors d’une entrevue téléphonique, jeudi. Cela dit, j’ai posé plusieurs questions à mon père au sujet de la protection dont les policiers bénéficient [the shield], et c’est comme toutes les fraternités. Ils se protègent mutuellement autant que possible.

« Mon père est policier depuis 1994. Il n’a utilisé son arme à feu qu’une seule fois et n’a jamais tué personne. Les policiers savent comment maîtriser une personne sans avoir à la tuer. Il y a des situations où leur vie est en danger et dans lesquelles ils sont obligés d’utiliser leur arme à feu. Mais lorsqu’on provoque la mort d’une personne en lui écrasant le cou avec son genou durant près de 10 minutes, c’est injustifiable. »

Deux poids, deux mesures

C’était justement afin de dénoncer la brutalité policière envers les Afro-Américains et les minorités que Colin Kaepernick avait l’habitude de poser un genou au sol durant l’hymne national américain. Un geste qui lui avait valu les foudres d’une grande partie du public américain et qui a selon toute vraisemblance mis fin à sa carrière dans la NFL.

PHOTO THEARON W. HENDERSON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le joueur de football Colin Kaepernick

« J’espère que les gens qui étaient indignés de voir Colin Kaepernick poser un genou au sol sont tout aussi indignés et furieux d’avoir vu un homme essentiellement en tuer un autre en lui écrasant la gorge avec son genou », a lancé Sutton.

« Mais ce n’est rien de nouveau, il y a des tragédies semblables depuis des années, des décennies et des siècles. Le racisme a toujours été là, il s’est seulement manifesté de différentes façons à travers les époques », a dit Sutton, avant de souligner à quel point il y avait deux poids, deux mesures dans beaucoup d’États américains.

« Si vous avez peur d’un homme qui n’est pas armé et qui ne menace personne parce qu’il est noir, mais que vous jugez qu’il est parfaitement normal qu’un homme blanc puisse se promener dans la rue avec une arme semi-automatique, ça n’a absolument aucun sens.

« Le nombre de personnes innocentes qui ont été tuées alors qu’elles n’étaient même pas armées est incalculable. C’est vraiment dommage de dire ça, mais je suis devenu habitué de voir des drames semblables, parce qu’il y en a tellement eu. Des hommes noirs sont tués sans raison depuis des siècles. »

Les laquais de Trump

Sutton est marié avec la Québécoise Émilie Desgagné et est en voie d’obtenir sa citoyenneté canadienne. Il se réjouit du fait que son fils Tyson Éli soit né au Québec, le mois dernier.

« Je suis effectivement très heureux que mon enfant soit né ici. Émilie et moi avons discuté de la possibilité que Tyson Éli obtienne une double citoyenneté. Et curieusement, c’est moi qui ne tenais pas à ce que ce soit le cas, compte tenu de tout ce qui se déroule aux États-Unis », dit-il.

On ne sait pas ce qui pourrait se produire dans les 10 ou 20 prochaines années. Vu la façon dont les choses se déroulent, je ne serais même pas surpris qu’une guerre civile éclate [aux États-Unis].

Tyrell Sutton

Ce scénario catastrophe, qui aurait pu sembler complètement farfelu il n’y a pas si longtemps, l’est de moins en moins. En raison des tensions raciales, mais également en raison du clivage entre la droite et la gauche qui n’en finit plus de s’accentuer.

« Si toutes les ethnies qui ont été victimes de racisme, de discrimination et de violence, qu’il s’agisse de personnes noires, asiatiques, irlandaises ou autres, décidaient de faire subir le même sort à ceux qui les ont oppressées, que se passerait-il, selon vous ? On a appris à encaisser des gifles en pleine figure en présentant l’autre joue. À quel moment est-ce que ça deviendra œil pour œil, dent pour dent ? »

« Si c’était l’inverse, et qu’on voyait plutôt des Noirs tuer des Blancs sans raison, on les qualifierait de sauvages et d’animaux. Même s’ils ne le faisaient que pour protéger leur propre vie. »

Comme bien des gens, Sutton juge que le président américain Donald Trump n’a fait qu’exacerber les tensions raciales et sociales depuis son entrée au pouvoir, en 2016.

« Il a fait encouragé et appuyé toutes les choses qui sont une honte pour la race humaine, que ce soit la violence, l’horreur, l’ignorance ou le racisme.

« Il critique tous ceux qui ne font pas partie de ses laquais. S’ils veulent conserver leur travail, les gens dans son entourage doivent se plier à sa volonté et dire ce qu’il veut entendre. Il a essentiellement créé une dictature, sans avoir la moindre idée de la manière de la gérer. »

PHOTO JONATHAN ERNST, REUTERS

Le président des États-Unis, Donald Trump

Changements de l’intérieur

Que ce soit en raison de l’énorme et profond problème du racisme dans une grande partie du pays, de la pandémie de COVID-19 ou encore de l’élection présidentielle de novembre, les prochains mois s’annoncent très tendus aux États-Unis. Et Sutton ne pense malheureusement pas que les choses se résorberont de sitôt.

« Ça fait très peur. Je n’ai pas la moindre idée de la façon dont la situation évoluera. Je ne sais pas ce qu’il faudra pour qu’il y ait une prise de conscience chez certains individus. Des tragédies continuent de se produire malgré les caméras d’intervention que doivent porter les policiers et du fait que les citoyens peuvent filmer ces scènes. »

Selon Sutton, la propension de certains Américains à se replier sur eux-mêmes n’aide en rien l’état actuel des choses.

« C’est autant de l’ignorance que du racisme. On n’encourage pas les gens à visiter d’autres pays ou à se familiariser avec d’autres cultures aux États-Unis. Les Américains souhaitent que les étrangers viennent dans leur pays et épousent leur culture, mais eux ne veulent pas du tout faire la même chose.

« Les changements doivent provenir de l’intérieur. Mais tant et aussi longtemps que les gens qui protègent les individus qui commettent des crimes racistes seront les mêmes qui établissent les règles, rien ne changera. »