Le froid, peut-être un mélange de pluie et de neige, une foule survoltée, de gros jeux en défense, une longue passe réussie… Un match éliminatoire de football canadien est rarement banal. Mais on peine à s’en souvenir tant il y a longtemps que les Alouettes nous ont offert une émotion pareille.

Mais à 13 h, dimanche, au terme de la saison régulière la plus bizarre de leur histoire, les Oiseaux recevront les Eskimos d’Edmonton devant des gradins presque pleins. Après des années de médiocrité, on sent enfin l’amorce d’un buzz. Qui aurait parié là-dessus au camp d’entraînement ?

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

« Les Alouettes célèbrent leurs bons coups avec joie et fierté. Les réactions des joueurs sont authentiques et les amateurs le sentent bien », écrit notre chroniqueur.

Le parcours 2019 des Alouettes est d’une bizarrerie extrême. Souvenons-nous : les Wetenhall qui se départissent de l’équipe dans la discrétion, la Ligue canadienne qui en prend le contrôle, des acheteurs potentiels plus habiles à faire du bruit en public qu’à proposer un solide montage financier, un entraîneur-chef poussé à la sortie peu avant le premier match du calendrier, un directeur général congédié quelques semaines plus tard dans des circonstances gênantes…

Tous ces évènements porteurs d’incertitude ouvraient une voie royale vers une autre saison catastrophique.

Heureusement, les surprises font la beauté du sport. Et les Alouettes nous en ont réservé une superbe. Contre toute attente, sous le leadership de Khari Jones, cette perle cachée propulsée au sommet de la pyramide, ils nous en ont mis plein la vue. Oui, les Oiseaux ont encore leur place dans notre paysage sportif. « On est ancrés assez creux dans le cœur et les émotions des gens », constate Patrick Boivin.

Le président des Alouettes a raison. L’été dernier, quand j’ai animé à l’occasion l’émission Bonsoir les sportifs au 98,5 FM, des amateurs heureux de ce réveil de l’équipe m’ont raconté leurs souvenirs. La puissance évocatrice de ces récits, véritable voyage dans le temps, m’a impressionné. À grands coups d’anecdotes, ils ont parlé de Sonny Wade, Marv Levy, Marc Trestman, Anthony Calvillo… Le nom de Sam Etcheverry a même été prononcé.

En suivant l’affrontement d’aujourd’hui, en personne ou à la télé, beaucoup de gens se souviendront d’avoir assisté à un match avec leur père ou leur mère. Quand une équipe s’inscrit dans l’histoire familiale, c’est qu’elle a marqué les esprits.

Tout cela met en lumière la réalité décrite par Boivin : les Alouettes font partie de l’histoire sportive montréalaise, leur enracinement est profond. À eux d’ajouter des chapitres au livre de leurs exploits.

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Dans la grande famille des Alouettes, on compte aussi des commentateurs, des hommes ayant porté avec fierté cet uniforme et qui, impuissants, ont assisté à cette chute vertigineuse : Pierre Vercheval, Bruno Heppell, Matthieu Proulx. Ces défaites à répétition, et surtout cette absence d’espoir, les ont profondément touchés. Pour eux, les Alouettes ne sont pas simplement une équipe, mais « leur » équipe.

« Dis-moi, Matthieu, c’est réconfortant, cette saison inattendue ? »

Les yeux vifs et perçants, ceux qui lui permettaient de bien « lire » les jeux sur le terrain, Proulx s’exclame : « Je ne peux pas te dire à quel point ! Quand les Alouettes ont perdu un deuxième match de suite au début de la saison, je suis rentré à la maison découragé. Vraiment découragé. Je voyais la saison déraper. Je me suis imaginé analyser des matchs toute la saison pour rien. Le dossier de la vente continuait aussi de traîner, c’est devenu très lourd… »

Vercheval, qui a vu neiger, ajoute : « En début de saison, il n’y avait pas un haut niveau de confiance envers l’état-major en place. Puis tous ces chambardements exceptionnels sont survenus. La dynamique a changé, l’atmosphère s’est assainie. Khari Jones a pris les bonnes décisions, les joueurs ont cru en lui. Le football est le sport où les entraîneurs ont le plus grand impact sur le résultat d’un match. Et aujourd’hui, toute l’équipe forme une belle gang. Les gars ont du plaisir entre eux. Ils sont soudés. »

L’observation de Vercheval se vérifie sur le terrain.

Les Alouettes célèbrent leurs bons coups avec joie et fierté. Les réactions des joueurs sont authentiques et les amateurs le sentent bien. Résultat, on ne parle plus guère de la vente, un dossier toujours en suspens.

« Si l’équipe avait continué de perdre, ç’aurait été le seul sujet de conversation, affirme Proulx avec raison. Mais on oublie parce que l’équipe gagne. Et au stade, la foule affiche une énergie que je n’ai pas sentie depuis mes débuts comme analyste, il y a neuf ans. Les matchs sont enlevants, les gens restent jusqu’au bout. »

Résultat, les billets sont plus recherchés. Proulx n’arrivait plus à refiler les siens au cours des dernières années. Voilà qu’on lui en demande !

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Patrick Boivin ne se fait pas d’illusions. Les Alouettes vivent un bel automne, mais il sait très bien que l’organisation a encore beaucoup de travail devant elle, peu importe le nom des nouveaux propriétaires. Il faudra notamment reconstruire le bassin d’abonnés saisonniers, en forte baisse au cours des dernières années.

Bonne nouvelle, les analyses de la direction démontrent que l’équipe attire de nombreux jeunes fans qui achètent des billets individuels. « Notre objectif, c’est qu’ils aiment assez l’expérience pour revenir une deuxième fois, puis une troisième, explique Boivin. Il faut créer un happening, faire en sorte que les gens aient envie d’être au stade. On a été trop longtemps assis sur nos acquis. »

Boivin espère aussi que les Alouettes pourront travailler dans l’ordre. La vente de l’équipe, espère-t-il, sera concrétisée avant la fin de l’année. Mais si le dossier devait encore traîner, il a les coudées assez franches pour prendre les décisions importantes, comme celle d’offrir un nouveau contrat à Khari Jones.

Mais pour l’instant, ses yeux – comme ceux de Vercheval, Proulx, Heppell et de milliers de partisans – sont rivés sur le match de dimanche, dont la présentation est, avouons-le, une magnifique surprise.

Alors, oui, le froid, peut-être un mélange de pluie et de neige, une foule survoltée, de gros jeux en défense, une longue passe réussie… Et, pourquoi pas, une victoire des Alouettes !