Le légendaire entraîneur a remporté deux Coupes Grey avec les Alouettes et amené les Bills de Buffalo à quatre Super Bowl. Retour en arrière.

En parlant de lui, les joueurs ne disaient pas «le coach». Ils l'appelaient Marv. Avec, souvent, le même mot pour décrire l'homme: «Smart». «Il n'a pas eu de difficulté à figurer le 12e joueur», disait notre ami Robert Duguay, qui a bien connu Marv Levy.

Levy a été le premier entraîneur-chef moderne des Alouettes, qu'il a dirigés de 1973 à 1977. Sa fiche? Ordinaire en saison (43-31-4 pour une moyenne de ,577) mais brillante en séries (7-3), dont deux victoires en trois présences à la Coupe Grey. Toutes trois contre les Eskimos d'Edmonton.

«Je ne pensais pas au championnat en arrivant à Montréal», nous a dit Levy de son domicile de Chicago, sa ville natale. «J'abordais les choses un match à la fois, de semaine en semaine, en sachant que je pouvais compter sur une organisation impeccable.» Et Levy d'évoquer les noms du propriétaire Sam Berger, qui avait fait revivre le football à Montréal en 1970; de J.I. Albrecht, le directeur général qui est allé chercher Levy chez les Redskins de George Allen; du Montréalais Bob Geary, grand connaisseur du football canadien.

Une première finale

Levy a gagné la Coupe Grey à sa première participation, en 1974, une victoire de 20-7 contre les Eskimos à Vancouver, glorieux point d'orgue d'une saison (9-5-2) où les Alouettes n'avaient pas perdu à l'Autostade. C'est que «Marv», cette année-là, avait fait coucher ses joueurs à l'hôtel, la veille des matchs, question de garder un oeil sur les couche-tard comme le flanqueur Johnny Rodgers, lauréat du trophée Heisman en 1972, «superstar ordinaire» qui avait l'habitude de rentrer dans la zone de but à reculons. «Johnny manquait de maturité...»

«J'ai derrière moi dans mon bureau le ballon du match de la Coupe Grey de 1974 que les joueurs m'avaient fait l'honneur de me remettre», lance Levy, qui avait été nommé entraîneur-chef de l'année dans la LCF, avec une équipe qui misait sur l'attaque au sol, menée par Steve Ferrughelli, et sur une défense béton... quand ça cliquait. Ah You, Weir, Judges sur la ligne; Crennel, Widger, Zapiec comme secondeurs; Harris, Gaines, Proudfoot contre la passe... En attaque, Sonny Wade, trois fois meilleur joueur en Coupe Grey - «un bon leader» - et Dalla Riva, «un grand joueur».

Une équipe de Montréalais

L'alignement comptait sept Montréalais, un record: Larry Smith, qui deviendra commissaire de la LCF puis président des Alouettes... et sénateur conservateur; Skip Eaman, Gary Chown, Ian Mofford, Pat Bonnett; Tony Proudfoot, emporté l'an dernier par la maladie de Lou Gehrig; et le secondeur Wally Buono, aujourd'hui DG des Lions de la Colombie-Britannique et recordman de la LCF pour le nombre de victoires (254) et de Coupes Grey (5) en tant qu'entraîneur-chef de cette même équipe. «Je suis content pour Wally», a dit son ancien coach.

Levy se souvient très bien aussi de la finale de 1975. «C'était à Calgary et je n'ai jamais eu si froid en 47 ans de coaching! On aurait pu gagner à la fin du match avec un placement de Don Sweet, qui ne ratait jamais. Mais Jimmy Jones, qui tenait le ballon, avait les mains gelées et n'avait pu placer le ballon correctement. Don avait marqué un simple et on avait perdu le match 9-8.»

En 1976, les Alouettes (7-8-1) ont déménagé au Stade olympique, où Levy gagnera sa deuxième Coupe Grey l'année suivante, le fameux «Ice Bowl». «Il y avait eu une tempête qui, si je me souviens, avait paralysé les transports en commun (non, Marv, c'était une grève, une autre). Le terrain était glacé, mais je n'ai appris que plus tard l'histoire de Proudfoot, qui s'était posé des broches sous ses chaussures en encourageant les autres à faire de même. On avait battu Edmonton 41-6. Mon dernier match avec les Alouettes...»

Trente ans plus tard, à la demande de Marc Trestman, l'entraîneur-chef actuel des Alouettes, Marc Levy est revenu à Montréal quelques fois, «comme observateur et pour parler aux joueurs». «J'ai connu Marc du temps qu'il était un adjoint respecté dans la NFL. À Montréal, il m'a accueilli dans son équipe et dans sa famille. Je tiens Marc Trestman en très haute estime.»

La grande aventure de la NFL

Après les Alouettes, Marv Levy est allé diriger les Chiefs de Kansas City (1978-1982), puis les Bills de Buffalo (1986-1997) qu'il a menés à quatre matchs consécutifs du Super Bowl (0-4). Comment le football a-t-il évolué depuis? «Tout change tout le temps. Les joueurs sont plus gros, plus forts, plus rapides. Les coachs conçoivent de nouvelles formations et de nouvelles approches du jeu. Comme le no-huddle offence (attaque sans caucus) que nous avons instituée avec les Bills.» Et que plusieurs équipes de la NFL (Patriots, Falcons, Packers) emploient toujours.

Du football à la poésie

Marv Levy, qui a eu 87 ans en août, se consacre désormais à l'écriture. L'an dernier, il a publié Between the lies, un roman dans lequel un entraîneur de la NFL demande à ses joueurs de sortir du match le meilleur joueur adverse. «C'est de la fiction, mais l'histoire du Bounty Gate (scandale des primes aux blessures chez les Saints de La Nouvelle-Orléans), dont je n'avais jamais eu vent, a montré que les gros méchants coachs pouvaient aussi faire partie de la réalité.»

Levy est titulaire d'une maîtrise en histoire de Harvard et a deux ouvrages en chantier. «J'ai presque terminé mon deuxième roman, qui n'a rien à voir avec le football, et j'ai 70 pages d'écrites pour un recueil de poésie.»

Combien d'autres entraîneurs-chefs ont pu passer du shotgun à Verlaine?

Daniel Lemay a été directeur des sports et il est l'auteur du livre Montréal football, un siècle et des poussières.