Marc Santerre, qui dirigera les Carabins de l'Université de Montréal en demi-finale de la Ligue de football universitaire du Québec, cet après-midi, n'est pas un entraîneur comme les autres. Après la saison, il mettra le cap sur Paris afin de terminer un roman sur lequel il travaille depuis des années. Portrait d'un plaideur qui a délaissé la pratique du droit pour le football.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, dit l'adage. L'entraîneur des Carabins de l'Université de Montréal, Marc Santerre, préférerait ne pas devoir en arriver là.

À ses trois premières années à la tête des Carabins, le club a connu l'échec en demi-finale de la Ligue de football universitaire du Québec. Un seuil psychologique que Santerre a hâte de franchir.

L'entraîneur de 48 ans est bien conscient que les preuves des Bleus (5-3) restent à faire même si, cette saison, ils ont réussi l'exploit de vaincre la grosse machine Rouge et Or de l'Université Laval et de déloger (brièvement) celle-ci du premier rang du classement canadien.

«Il faut gagner la coupe Dunsmore pour gagner le respect au Québec», admet Santerre, en faisant allusion au trophée remis à l'équipe championne de la LFUQ. «Sortir de notre conférence, c'est l'obstacle majeur pour la reconnaissance des Carabins.»

Pour y arriver, il faudra d'abord vaincre les Gaiters de Bishop's, au CEPSUM, cet après-midi. Puis, si Laval bat Concordia comme il devrait normalement le faire, aller se mesurer au Rouge et Or dans son antre de Québec, devant 16 000 partisans déchaînés, la semaine prochaine. Un défi de taille, à la mesure, pourrait-on dire, de l'entraîneur le plus titré de l'histoire du football collégial AAA: neuf Bols d'or avec les Spartiates du Vieux-Montréal, dont huit en 10 ans.

Ce plaideur émérite - il était directeur des services juridiques de Postes Canada jusqu'à son embauche par les Carabins - a bâti son remarquable palmarès en assemblant année après année des équipes talentueuses, mais, surtout, en exploitant ses talents d'orateur pour donner la foi à ses joueurs.

«Marc, c'est un rassembleur», dit l'ancien porteur de ballon des Alouettes, Éric Lapointe, qui a joué deux ans sous les ordres de Santerre avec les Spartiates. «Il peut vous donner des frissons et aller chercher la dernière parcelle d'énergie en vous avec ses discours.»

Ce n'est pas d'hier que ce verbomoteur à la voix douce aime jouer avec les mots. À l'époque où il présidait le conseil étudiant du Petit séminaire de Québec, il organisait des nuits de la poésie en rêvant de vivre un jour à Paris.

Trente ans plus tard, et après avoir dirigé pendant quatre ans l'équipe nationale de France au milieu des années 90, ce francophile avoué, cadet d'une famille de neuf enfants et cousin de la romancière Marie Laberge, visite régulièrement la capitale française. Il y retournera d'ailleurs cet hiver afin, espère-t-il, de mettre la touche finale à un roman sur lequel il planche depuis quelques années, et qui porte sur sa mère, une ex-religieuse.

Une oeuvre inachevée

Mais avant de se replonger dans l'écriture, une autre oeuvre inachevée attend Marc Santerre, celle qu'il a entreprise en succédant à Jacques Dussault à la tête des Carabins, à l'hiver 2006.

Sa fiche sans égale avec les Spartiates, qu'il a dirigés pendant 20 saisons, ne l'a pas dispensé de l'obligation d'établir sa crédibilité au sein de sa nouvelle formation. «Il y a eu de la résistance à mon arrivée, reconnaît-il. Ce n'était pas mon équipe. Il a fallu que je gagne la confiance des gens pour qu'ils m'écoutent.»

Santerre aurait pu gagner du temps en demandant à l'ex-Alouette Bruno Heppell de plaider pour lui. Heppell était la tête d'affiche des Spartiates quand ils ont remporté leur premier Bol d'or, en 1992. L'immense respect qu'il voue à son ancien coach, devenu un ami, ne s'est jamais démenti. «Marc est un homme intègre, généreux comme j'en ai rarement rencontré, extrêmement intelligent. Il m'a remis dans le droit chemin et m'a aidé à obtenir une bourse d'études aux États-Unis. Si j'avais besoin d'aide, il est l'une des premières personnes que j'appellerais. On peut se fier à lui.»

Dans un sport où les petits dictateurs pullulent, Santerre ne se démarque pas seulement par ses aspirations littéraires. «Je crois plus à la structure qu'à l'autorité, dit-il. J'ai du leadership plus qu'un désir de pouvoir ou l'autorité. Je ne suis pas un gars de power trip.»

Capitaine des Diablos de Trois-Rivières quand ils ont remporté leur premier Bol d'or, en 1980, il a ensuite complété en trois ans (au lieu de quatre) ses études en droit à McGill, tout en étant le demi de coin partant des Redmen. «Je n'envisageais pas une carrière de coach, surtout que je ne passais pas des heures à penser stratégie quand j'étais joueur. Je n'étais ni le gars super-athlétique, ni celui qui pensait tout le temps au football. J'aimais ça et je ne me posais pas plus de questions.»

Une fin de semaine de coaching avec les Spartiates à l'époque où il faisait son barreau, en 1984, s'est toutefois transformée en boulot d'entraîneur des demis défensifs. Deux ans plus tard, il a été bombardé entraîneur-chef. «À 25 ans, je me retrouvais à la tête d'une équipe collégiale AAA. C'était extrêmement stressant.»

Il a toutefois pu compter sur un atout de taille: Jacques Dussault, dont l'aventure avec les Concordes de Montréal venait de se terminer, a accepté d'être son adjoint. «Ça m'a beaucoup rassuré, se souvient Santerre. J'avais quelqu'un à côté de moi pour m'éviter de faire des erreurs!»

Plaidoyer pour la tolérance

Au Vieux-Montréal, Santerre a toujours dirigé des équipes multiethniques. «Je suis tolérant, quelque chose qui tranche peut-être avec d'autres personnes plus intransigeantes que j'ai croisées dans ma carrière. Je suis conciliant et inclusif. Une société tolérante accepte les gens différents, accueille les immigrants et est souple par rapport aux cultures et aux orientations diverses.»

Cette ouverture d'esprit, guère surprenante chez un vétéran des causes d'accommodements raisonnables qui enseigne le cours de libertés publiques à la fac de droit de l'UdeM, est sans doute essentielle pour diriger une équipe comme les Carabins, qui comptent sur des joueurs de 18 origines nationales différentes.

«Je ne peux pas mener une équipe comme celle-ci de façon militaire. Ça ne marcherait pas. Il y a trop de diversité, trop de joueurs d'origines différentes pour que ça marche. Je ne veux pas d'un carcan qui les empêcherait de s'exprimer.»

Il donne l'exemple du spécialiste des retours de bottés Frank Bruno, joueur des unités spéciales de la semaine au Canada. «Il nous coûte beaucoup en punitions. On n'aime pas ça et on essaie de lui faire comprendre qu'il serait mieux de se modérer. Mais Frank, c'est un package deal. On doit prendre le bon et le moins bon. Parce que si on éteint sa flamme, on va aussi éteindre son bon côté.»

On en revient toujours à la même chose: le boulot d'entraîneur-chef, tel que le conçoit Santerre, n'est pas tant de décider des plus menus détails de stratégie. Il a des adjoints pour ça. Sa tâche, c'est d'abord d'inspirer ses troupes. «Le plus grand coach de l'histoire du Québec, c'est René Lévesque, dit-il. Il a pris son équipe, les Québécois, et leur a fait comprendre qu'ensemble ils étaient capables.»

En espérant pour Santerre qu'il ne soit pas encore obligé de dire «à la prochaine fois».

Photo: Bernard Brault, La Presse

Marc Santerre a dirigé les Spartiates du cégep du Vieux-Montréal (collégial AAA) pendant 20 saisons. On le voit ici lors de la finale du Bol d'Or de 2004.