(Paris) Deux secondes après le maillot jaune Jonas Vingegaard, Wout van Aert et le reste de l’armada Jumbo-Visma, Hugo Houle et Antoine Duchesne ont traversé ensemble la ligne d’arrivée de la 21e et dernière étape du Tour de France, dimanche à Paris.

Après une autre journée étouffante, le soleil tombait enfin sur l’avenue des Champs-Élysées. Houle a fini 88e et Duchesne, 86e de l’étape remportée par le Belge Jasper Philipsen. Ce n’était pas un hasard.

À l’issue d’une Grande Boucle où il a brillé de tous ses feux, Houle tenait à céder le passage à son ami sur le fil, lui concédant ainsi le titre officieux de meilleur Canadien et Québécois de l’étape, une affaire qui les a fait bien rigoler.

« Je l’ai laissé gagner aujourd’hui, j’ai été obligé de l’attendre », s’est amusé Houle.

« Le maillot jaune s’était mis dans notre face ! a répliqué Duchesne, hilare. Pour une fois, Hugo s’est relevé pour me laisser passer avant lui… »

Malheureusement, leurs compatriotes Guillaume Boivin et Michael Woods n’ont pas pu se mêler à la « bagarre ». Les deux coureurs d’Israel-Premier Tech (IPT) ont dû déclarer forfait avant le départ. Le premier était malade, le second infecté par la COVID-19.

C’était la petite ombre sur cette journée autrement joyeuse pour le cyclisme québécois et canadien.

Évidemment, tous les yeux étaient tournés vers Houle, le grand héros avec sa victoire historique à Foix, mardi, et sa troisième place quelques jours plus tôt à Saint-Étienne. Au classement général, il a conclu à la 24place, un sommet pour un Québécois.

Le natif de Sainte-Perpétue a été accueilli avec une ovation de circonstance à la tente VIP de la formation israélo-canadienne. Après avoir reçu les félicitations du propriétaire Sylvan Adams, il s’est dirigé vers son amoureuse Stéphanie Matteau, qui ne l’avait pas vu depuis un mois. Leurs retrouvailles se sont donc faites sous les yeux de tout le monde…

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Hugo Houle et sa conjointe Stéphanie Matteau

« Il a l’air fatigué », a-t-elle dit en observant le visage émacié de son copain que tous s’arrachaient sur la plus célèbre avenue du monde.

« Quand on entre sur les Champs, c’est toujours la conclusion de trois semaines de dur travail, a exposé Houle. C’est quand même un soulagement. On l’a encore vu aujourd’hui : tant que tu n’es pas à Paris, tu n’es pas à Paris. Avec l’abandon de Guillaume et de Mike, ça fait réaliser d’autant plus à quel point on est chanceux quand on termine le Tour. J’aurais aimé qu’ils soient avec nous. C’est clair que ça gâche un peu la fête. »

À sa quatrième expérience sur les Champs-Élysées depuis 2019, Houle a au moins pu partager la journée avec Duchesne, son ancien coloc qui revenait sur le Tour après une absence de six ans.

« C’était un beau moment. Antoine était très soulagé d’avoir un excellent niveau à ce Tour-là. Il était très, très fort. Ça ne se voit pas nécessairement, il effectue son travail d’équipier, mais il a fait un super Tour lui aussi. On parle beaucoup de moi, mais Antoine a eu un bon Tour. J’étais content pour lui. »

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Hugo Houle

Duchesne a contribué à la quatrième place de son coéquipier David Gaudu. Seuls Vingegaard, Tadej Pogačar (UAE) et Geraint Thomas (Ineos) l’ont devancé.

Le Français a rendu la pareille au Québécois en le positionnant à l’avant du peloton après l’entrée sur le circuit des Champs-Élysées, bondé de spectateurs, dont de nombreux Danois qui avaient fait le déplacement pour applaudir le maillot jaune.

Non sans effort, Duchesne a réussi à prendre le large par la suite, accompagné de son coéquipier Olivier Le Gac et de trois autres coureurs.

« Souvent, l’échappée part tôt sur les Champs, mais à l’image du Tour cette année, ça a été la plus dure à prendre ! », a raconté le Saguenéen d’origine, qui a été l’un des trois derniers à résister aux hyènes du peloton lancées à plus de 60 km/h.

Le jeune Philipsen (Alpecin) s’est imposé au sprint pour signer sa deuxième victoire sur le Tour. Il a devancé le Néerlandais Dylan Groenewegen (BikeExchange) et le Norvégien Alexander Kristoff (Intermarché).

« Le meilleur Tour qu’il pouvait faire »

Après les célébrations officielles, Houle est remonté à vélo vers l’autocar d’équipe, place de la Concorde. Sa compagne a suivi à pied.

« C’est la seule à laquelle j’assiste normalement, a indiqué Stéphanie Matteau. C’est une super belle journée et c’est agréable de les voir passer plusieurs tours. Cette année, c’était encore plus excitant de l’attendre à l’arrivée. »

Employée de KPMG à Monaco, la comptable de formation ne pouvait être présente lors du succès de son conjoint à Foix. Elle s’est contentée de quelques minutes au téléphone.

J’avouerai que cette journée-là, j’aurais aimé pouvoir être là à l’arrivée pour ressentir la joie qu’il avait quand il a gagné. Mais même à distance, j’ai pu un peu vivre sa victoire avec lui.

Stéphanie Matteau, conjointe d’Hugo Houle

Le bus de Groupama-FDJ était le premier à l’entrée du paddock. Le patron Marc Madiot a levé son verre au Belge Philippe Gilbert, « le plus grand des coureurs de classique du monde », qui disputait son dernier Tour à 40 ans.

Dans un coin, Chloé Rochette, la femme d’Antoine Duchesne, faisait des guili-guili à Jules, le bébé du couple, âgé de 3 mois. Comment a-t-il réagi en revoyant son père parti depuis la fin du mois de juin ? « Il a souri, mais il sourit à tout le monde, donc c’est assez facile ! », a-t-elle relaté.

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Antoine Duchesne avec sa femme Chloé Rochette et leur bébé Jules

Antoine est sorti de l’autocar pour poser avec sa petite famille. Au même moment, ses parents et ses deux sœurs ont émergé de la foule pour se joindre à la fête.

Sa sœur Sarah-Ann avait perdu la voix tellement elle avait crié. Son père Marc avait grimpé sur un poteau pour pouvoir apercevoir son fils pendant l’échappée.

« C’est le meilleur Tour qu’il pouvait faire, a louangé M. Duchesne. On ne l’a jamais vu se rendre aussi loin dans les cols pour accompagner David. Ce n’est pas un grimpeur, on le sait. »

Il a donné 150 %, c’était très impressionnant.

Marc Duchesne, père d’Antoine Duchesne

Au bus d’Israel-Premier Tech, Steve Bauer, le patriarche du cyclisme au Canada et directeur sportif, a pigé dans la glacière pour offrir une bière froide au représentant de La Presse, s’extasiant devant le niveau atteint par Houle cette année.

Le principal intéressé a refusé celle que lui a tendue un ami. « Je préfère le vin », s’est justifié Houle, qui visiblement ne blague pas quand il dit qu’il voulait bien faire à l’Arctic Tour of Norway, dans deux semaines.

Houle a renoué avec Louis Garneau, un commanditaire de longue date venu le saluer à Paris. C’est l’homme d’affaires de Québec qui lui a remis une croix en souvenir de son frère mort tragiquement en 2012. Il en porte lui-même un modèle réduit à son cou.

Houle ne rentrera pas au pays avant les Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal, les 9 et 11 septembre.

« Je vais avoir le temps de décanter ça d’ici là », a-t-il assuré, incapable de mesurer la nouvelle notoriété qu’il vient d’atteindre dans sa province natale.

« Ça va me faire plaisir d’être là. Les Grands Prix travaillent depuis des années pour démocratiser le cyclisme au Québec. Si j’ai aidé et que je fais partie du momentum, tant mieux. Cela étant, j’ai vraiment fait ça pour mes convictions personnelles, qui m’ont poussé à me surpasser. »

Vers 21 h, il faisait toujours clair à Paris. Houle a continué de répondre aux moindres demandes : un égoportrait ici, une photo avec un petit gars là. Un souper d’équipe était encore au programme. Pas de repos pour les guerriers du Tour de France.