À 500 mètres, il a sorti la croix qu’il porte au cou depuis la mort de son frère. À 100 mètres, il s’est permis de lever les bras une première fois. Puis il s’est retourné pour apercevoir la voiture rouge du commissaire.

Tout cela était vrai : Hugo Houle s’apprêtait à gagner une étape du Tour de France.

Index droit pointé vers le ciel, le visage décomposé, il a franchi la ligne à Foix. Trois heures plus tard, le premier vainqueur québécois de l’histoire du Tour était encore en état de choc.

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, REUTERS

Hugo Houle à son arrivée à la fin de l’étape

« Quand je fermais les yeux le soir, avant de me coucher, j’avais un rêve de fou », a-t-il raconté au téléphone, la voix un peu éraillée, mardi soir, heure locale.

« C’est exactement comme ça que je rêvais de gagner, de la plus belle façon, arriver en solo. J’ai de la difficulté à réaliser ce que j’ai fait, mais je suis très, très heureux. »

Une minute et demie après sa victoire, sa toute première chez les professionnels, Houle est tombé dans les bras de Michael Woods, son compatriote, ami et coéquipier, qui venait de finir troisième de cette 16e étape historique pour le cyclisme canadien, entre Carcassonne et Foix. « Celle-là est pour mon frère », a réitéré Houle au milieu des embrassades.

Dans cette première étape pyrénéenne, le duo d’Israel-Premier Tech a pris la fuite en compagnie de 27 autres coureurs à 147 km de l’arrivée. À l’évidence, tout se jouerait dans les deux grands cols de première catégorie situés en fin d’épreuve, le Port de Lers (11,4 km à 7 %) et le redoutable Mur de Péguère (9,3 km à 7,9 %).

PHOTO GONZALO FUENTES, AGENCE FRANCE-PRESSE

Michael Woods et Hugo Houle

Légèrement distancé au sommet du Port de Lers, Houle a refermé seul l’écart de 26 secondes le séparant du groupe réduit de huit meneurs, dont Woods et les excellents grimpeurs Damiano Caruso (Bahrain), Michael Storer (Groupama-FDJ) et Matteo Jorgenson (Movistar).

À 40 km de l’arrivée, toujours dans la descente, Woods a laissé Houle prendre une petite avance, lui criant à l’oreillette de poursuivre sa route.

« C’était vraiment instinctif, a relaté le cycliste d’Ottawa. Les autres coureurs ont commencé à se regarder. Rapidement, Hugo a pris 10, 15 secondes. C’était idéal non seulement pour lui, mais pour moi aussi parce que je pouvais rester derrière et m’économiser les jambes pour le final. »

« Ça faisait tellement mal… »

Dans le Mur de Péguère, Houle a consolidé l’écart, annihilant les tentatives de poursuite de Tony Gallopin (Trek), Jorgenson et Valentin Madouas, qui roulait pour son coéquipier Storer. Woods était bien calé dans leur roue, attendant son moment.

L’avance du natif de Sainte-Perpétue a culminé à 49 secondes. « Là, il fallait vraiment que je donne tout. Je savais que tout le monde était en souffrance par cette chaleur. Sur des pentes aussi raides, c’est dur d’aller vraiment plus vite. Je regardais chaque kilomètre défiler sur mon compteur. Ça faisait tellement mal à ce moment-là que c’était plutôt : sauve ta peau… »

Son plus grand souci : l’alimentation et l’hydratation. Coincée derrière les poursuivants, la voiture d’équipe ne pouvait le ravitailler. Un soigneur posté dans la montée l’a « sauvé » avec deux gels et deux bidons. Plus loin, la moto de dépannage neutre lui a permis de refaire le plein.

C’était la clé. Si je ne mangeais pas, c’était fini. J’ai réussi à reprendre deux gels. J’ai tenu le coup, mais c’était limite un peu au niveau nutritionnel.

Hugo Houle

Au sommet, Houle avait un coussin de 34 secondes avec 27,2 km à faire, tout en descente. « Je me suis dit : c’est bon, ça peut le faire. Il restait encore beaucoup de route. C’était une descente où il fallait pédaler avec des bouts un peu plus techniques vers le bas. Je souffrais énormément. »

Le jeune Américain Jorgenson a testé les limites de l’adhérence dans la descente, chutant dans un virage à 13 km du fil. « Je n’étais pas vraiment surpris parce qu’il prenait beaucoup de risques, a témoigné Woods, qui le suivait. Je lui avais laissé cinq mètres parce que je savais qu’il y a beaucoup d’huile sur les routes ici. Je suis tombé dans les Pyrénées l’an passé. C’était la bonne décision. »

À partir de là, la victoire de Houle ne faisait pratiquement plus de doute, Woods levant même le pouce devant la moto-caméra après le retour de Jorgenson. Le Canadien a été surpris sur la ligne par Madouas, qu’il n’avait pas vu revenir.

Avec 2 km à compléter, Houle a commencé à se détendre un peu quand l’ardoisier lui a signalé que son avance avait grimpé à une minute.

À l’invitation de Steve Bauer, directeur sportif d’Israel-Premier Tech qui était dans la voiture derrière, il s’est permis de savourer son succès dans le dernier kilomètre. Bauer était jusque-là le seul vainqueur d’étape canadien au Tour, en 1988, année où il a porté le maillot jaune à deux reprises.

« J’ai surtout pensé à mon frère, a dit Houle. C’est pour lui que je voulais aller la claquer, cette victoire. J’ai pensé à tous les sacrifices depuis 10 ans. J’avais réussi. Je n’y croyais pas trop. C’est fou ! »

Houle a découvert le Tour en le suivant à la télévision avec son frère cadet Pierrik à la résidence familiale de Sainte-Perpétue, dans la région de Nicolet-Yamaska. « Je ne m’étais jamais imaginé être là un jour. »

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, REUTERS

Hugo Houle

Le 21 décembre 2012, Hugo revenait de son premier camp professionnel en Europe avec la formation AG2R La Mondiale quand Pierrik s’est fait faucher à mort par un conducteur ivre pendant qu’il faisait son jogging en soirée. Il avait 19 ans.

À partir de ce jour, Hugo s’est promis de gagner une étape en l’honneur de son frère, pour qui il porte une croix que lui a offerte l’entrepreneur Louis Garneau.

« C’est ce qui m’a aidé à rester motivé jour après jour à m’entraîner et à passer à travers cette épreuve-là, a souligné Houle. Depuis, j’ai toujours porté ma croix et eu une pensée pour lui avant chacun de mes départs pour qu’il me protège. On prend pas mal de risques.

« Je ne suis pas croyant à outrance, mais je m’amuse à croire qu’il est avec moi, qu’il me soutient, qu’il me protège. Ça me met un peu en sécurité et en confiance depuis son départ. »

1000 messages

Troisième à Saint-Étienne vendredi, Houle s’était promis de tenter sa chance de nouveau. À 31 ans et après 10 saisons à surtout servir de domestique et de lieutenant, il ne l’a pas ratée quand elle s’est représentée.

« Quand j’ai commencé chez AG2R, j’étais complètement seul dans le peloton WorldTour pendant plusieurs années, a-t-il rappelé. J’étais un simple équipier qui était au plus bas de l’échelle. Aujourd’hui, j’ai réussi à gagner une étape. Aujourd’hui, c’est 10 ans d’énormes sacrifices, de travail. Ce qui a fait ma carrière, c’est ma discipline et ma persévérance. Aujourd’hui, ç’a été ma journée où j’ai pu briller. Je suis vraiment content d’avoir réussi. »

Avec plus de 1000 messages et notifications sur son téléphone qui surchauffait, le héros du jour s’est excusé de ne « pas pouvoir répondre à tout le monde ».

« C’est une grosse vague d’amour. C’est beau de voir ça. Si je fais vivre des émotions et que j’inspire la prochaine génération, c’est mission accomplie. »

Et même un peu plus.

Classement de la 16e étape

  1. Hugo Houle (CAN/ISR) les 178,5 km en 4 h 23:47
  2. Valentin Madouas (FRA/GFJ) à 1:10
  3. Michael Woods (CAN/ISR) 1:10
  4. Matteo Jorgenson (É.-U./MOV) 1:12
  5. Michael Storer (AUS/GFJ) 1:25
  6. Aleksander Vlasov (RUS/BOR) 1:40
  7. Dylan Teuns (BEL/BAH) 1:40
  8. Simon Geschke (ALL/COF) 2:11
  9. Mathieu Burgaudeau (FRA/TOT) 5:04
  10. Damiano Caruso (ITA/BAH) 5:04
  11. Mikkel Honoré (DEN/QST) 5:45
  12. Neilson Powless (É.-U./EF1) 5:45
  13. Wout van Aert (BEL/JUM) 5:54
  14. Brandon McNulty (É.-U./UAE) 5:54
  15. Jonas Vingegaard (DEN/JUM) 5:54
  16. Tadej Pogačar (SLO/UAE) 5:54
  17. Geraint Thomas (GBR/INE) 5:54
  18. David Gaudu (FRA/GFJ) 5:54
  19. Nairo Quintana (COL/ARK) 5:54
  20. Daniel Martínez (COL/INE) 5:57