En lançant son vélo sur la ligne, Simon Clarke a fermé les yeux. À bout de forces, il priait pour qu’il ait réussi à devancer l’homme à sa droite, Taco van der Hoorn, avec qui il avait passé la journée en échappée.

L’Australien d’Israel-Premier Tech (IPT) a attendu de consulter la photo d’arrivée avant de s’effondrer sur le sol, en larmes. À 35 ans, il a décroché la plus grande victoire de sa carrière, la cinquième étape du Tour de France, mercredi après-midi, à Arenberg.

« Simon, c’est un tireur d’élite. Quand il a une occasion, il ne rate pas sa chance », a résumé son coéquipier Guillaume Boivin, heureux de célébrer le tout premier succès de la formation israélo-canadienne sur le Tour.

Très attendue, l’étape qui empruntait 11 tronçons pavés des Flandres a livré ses promesses, bousculant l’ordre établi au classement général au profit du grand favori Tadej Pogačar. Le Belge Wout van Aert a conservé son maillot jaune in extremis après être tombé en milieu d’étape.

En échappée toute la journée avec cinq autres coureurs, Clarke s’est rendu jusqu’au dernier kilomètre avec Neilson Powless, Taco van der Hoorn et Edvald Boasson Hagen.

PHOTO TIM DE WAELE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Simon Clarke

Powless, qui pouvait espérer mettre la main sur le jaune, a été le premier à démarrer après le passage à la flamme rouge. Les trois autres ont hésité de longues secondes avant de se lancer à sa poursuite. Clarke a joué au poker avec Boasson Hagen, forcé de passer à l’offensive.

Tu dois vraiment attendre ton heure. Tu dois rester assis et prier pour que les autres gars paniquent avant toi. J’ai laissé un petit espace à Edvald pour peut-être lui faire croire qu’il aurait un petit avantage sur moi en démarrant. Il a mordu et j’ai vraiment dû chasser fort pour revenir.

Simon Clarke

Van der Hoorn les a débordés, mais Clarke, les cuisses comme du béton, a serré les dents dans les 50 derniers mètres pour s’imposer. Il récompense ainsi IPT, dont il a été le tout dernier coureur embauché en janvier, à la suite de la dissolution de son ancienne formation Qhubeka.

« Après l’hiver que j’ai eu sans équipe, recevoir l’appel d’Israel qui m’a dit : “On va te donner une chance”, ça m’a mis devant le fait qu’il fallait saisir chaque occasion. Pendant toute la saison, j’ai amorcé chaque course le couteau entre les dents. »

En matinée, son directeur sportif lui a annoncé qu’il était de mission pour mettre les voiles, ce qu’il a fait en rejoignant Powless et Alexis Gougeard avant de revenir sur Boasson Hagen, van der Hoorn et l’infatigable maillot à pois Magnus Cort, en fuite pour la troisième journée de suite.

L’avance des meneurs n’a pas dépassé beaucoup plus que 3 min 30 s en cette journée tendue que les leaders au classement général craignaient comme la peste. Tous, sauf peut-être van Aert, un spécialiste, et Pogačar, qui sait tout faire.

Les Jumbo-Visma de van Aert ont été les grands perdants de cette étape chaotique. Pestant contre les nombreux virages et rétrécissements dans les villages, le maillot jaune a chuté avant le premier secteur pavé en frappant son coéquipier Steven Kruijswijk, forcé de ralentir. Échaudé, le Belge a ensuite passé de longs moments en fond de peloton, ce qu’il s’est plus tard reproché.

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Wout van Aert (à droite)

Van Aert s’est remis à l’ouvrage quand son coéquipier danois Jonas Vingegaard a été victime d’un bris mécanique, ce qui l’a obligé à changer de vélo trois fois.

À 35 km de la ligne, Primož Roglič, l’autre leader protégé de Jumbo, s’est retrouvé au sol après qu’une balle de foin lui eut bloqué le chemin dans un carrefour. Le Slovène s’est relevé, mais il a dû s’arrêter plus loin pour utiliser la chaise d’un spectateur et replacer son épaule luxée…

Boivin, Krists Neilands et Jakob Fuglsang ont été ralentis par cette chute. « J’ai tout donné pour ramener Jakob dans un groupe de 15 à l’avant, a expliqué le Québécois. Après ça, j’étais assez explosé. Je suis rentré avec Krists plus relax. »

À l’avant, Pogačar (UAE) a profité de la bagarre dans les pavés pour prendre la fuite avec le spécialiste Jasper Stuyvens (Trek). Pendant un moment, le duo semblait en mesure de revenir sur les six échappés, mais il a fini par plafonner.

Au bout du compte, Pogačar n’a gobé que 13 secondes à Vingegaard, qui a bénéficié du travail inlassable de van Aert. Plusieurs autres prétendants étaient dans ce groupe d’une trentaine de coureurs.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ISRAEL-PREMIER TECH

Hugo Houle en tête d’un groupe sur les pavés durant la cinquième étape du Tour de France

Fuglsang est revenu à l’avant dans le premier groupe de chasse. Très à l’aise sur ce terrain, le Danois a évité tous les écueils jusqu’au fil. Hugo Houle l’a accompagné pendant un bon moment, mais un empilage l’a ralenti dans le secteur 7. L’athlète de Sainte-Perpétue a ensuite accroché le train van Aert pour rallier l’arrivée au 25e rang (+ 1 min 4 s).

« Il y a eu quelques chutes, mais Jakob était très bon et il a réussi à toujours rester devant. Ça nous a facilité la tâche. »

La victoire de Clarke est évidemment un soulagement énorme pour IPT, qui en avait fait son grand objectif avant le départ au Danemark.

« On ne se le cachera pas, une bonne partie de notre Tour de France est réussie avec ça, a souligné Houle. Ce ne sont pas toutes les équipes qui remporteront une étape. En avoir une aussi tôt, ça enlève un peu de pression, c’est clair. »

Tout le monde peut être un peu plus détendu et ça nous donne un bon élan pour la suite.

Hugo Houle

Le propriétaire Sylvan Adams était évidemment aux anges. « C’était très attendu et une victoire importante, nous a-t-il écrit d’Arenberg. Nous nous attendons à d’autres victoires dans les deux prochaines semaines. »

Antoine Duchesne, l’autre Québécois en lice, s’est encore assuré de positionner David Gaudu, le cycliste protégé chez Groupama-FDJ. Il a effectué l’essentiel de son boulot avant les secteurs pavés.

« L’objectif n’était pas de prendre du temps aujourd’hui, mais de ne surtout pas en perdre, a rappelé le Saguenéen. La journée s’est vraiment bien déroulée. On a évité les pièges et on est passés à travers les chutes et les bris mécaniques. On a essayé de mettre David dans les meilleures dispositions possibles. Toute l’équipe a fait son travail. »

Roglič a cédé plus de deux minutes sur Pogačar, un désastre pour Jumbo-Visma. Malgré tout, van Aert a conservé le maillot jaune à sa grande surprise. Il détient une priorité de 13 secondes sur Powless, de 14 secondes sur Boasson Hagen et de 19 secondes sur Pogačar.

Ce jeudi, le peloton partira de Binche, en Belgique, pour une étape accidentée de 219,9 km jusqu’à Longwy, la plus longue du Tour. La côte des Religieuses devrait permettre à un puncheur de l’emporter. Une occasion pour Peter Sagan, qui s’y était imposé en 2017, de se reprendre, lui qui a chuté mercredi ?