Dans la célèbre côte de la Redoute, le démarrage de Remco Evenepoel était si violent que sa roue arrière s’est dérobée.

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Fort de sa première victoire professionnelle en carrière, le Belge Remco Evenepoel a franchi la ligne d’arrivée de la classique Liège-Bastogne-Ligne après un effort de 257,2 km, les mains sur le visage, en pleurs.

L’Américain Neilson Powless a tenté de s’accrocher en vain, piégé comme tous les favoris de Liège-Bastogne-Liège, moins Julian Alaphilippe, le coéquipier d’Evenepoel qui était déjà en ambulance après une chute terrible près d’un arbre.

Evenepoel, donc, l’enfant prodige belge de 22 ans, successeur annoncé d’Eddy Merckx, déjà à sa quatrième saison professionnelle après avoir balayé les rangs juniors avec de lointaines attaques solos. Sa carrière était bien lancée jusqu’à ce qu’il tombe en bas d’un pont au Tour de Lombardie, en août, faisant craindre pour sa vie et son avenir sportif.

Un an et demi plus tard, le rouleur de Quick-Step s’est donc envolé près du sommet de la Redoute, à 30 kilomètres de la ligne d’arrivée à Ans, en route vers la plus importante victoire de sa carrière sur la « Doyenne » des classiques, née 130 ans plus tôt, dimanche.

« J’étais environ 20e roue à ce moment-là et je tenais pour acquis que personne n’essaierait de partir parce que nous étions presque rendus en haut », témoignera à La Presse le Canadien Michael Woods, 10e à l’arrivée.

Quand Remco s’est sauvé, j’ai su instantanément qu’on ne le reverrait pas. Avec sa puissance et le coureur qu’il est, aussitôt que tu lui donnes un écart, c’est terminé.

Michael Woods

Après avoir repris le dernier fuyard Bruno Armirail (Groupama), Evenepoel s’est construit une priorité d’une quarantaine de secondes au pied de l’ultime ascension, la côte de la Roche-aux-Faucons, qu’il a grimpé assis d’un bout à l’autre.

Malgré les tentatives de Woods, Aleksander Vlasov (Bora) et Dylan Teuns (Bahrain), Evenepoel n’a plus jamais regardé derrière et franchi la ligne d’arrivée après 257,2 km, les mains sur le visage, en pleurs.

« C’était fantastique, a-t-il commenté à la télévision quelques minutes plus tard. Avec un vent de face, c’était très difficile de continuer à pousser, mais je savais que tout le monde souffrait déjà. Ça a été une journée longue et difficile. C’était peut-être ma meilleure journée sur un vélo. C’était la journée parfaite pour connaître la meilleure journée sur son vélo. »

Une autre dimension

Victime d’une fracture du bassin en 2020, Evenepoel a passé de longs mois en réadaptation avant de reprendre la compétition au Tour d’Italie, en mai 2021. Il a signé quelques victoires, remporté le bronze du contre-la-montre aux Mondiaux l’automne dernier, mais son succès de dimanche, à la maison, sur l’un des cinq monuments du cyclisme, le fait passer dans une autre dimension.

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Remco Evenepoel, au moment de franchir la ligne d’arrivée

C’est incroyable. Dans la dernière année et demie, j’ai souffert énormément mentalement et physiquement. Finalement, cette année, je sens que tout va bien, que tout se stabilise, et que je redeviens le meilleur Remco. Aujourd’hui, j’ai démontré le meilleur Remco depuis que je suis professionnel.

Remco Evenepoel

La victoire d’Evenepoel, déjà la 26e de sa carrière, sauve le printemps horrible de sa formation Quick-Step, blanchie et invisible jusque-là dans les classiques. La chute d’Alaphilippe, victime d’un effet domino dans un peloton qui filait à 60 km/h dans la descente du col du Rosier, semblait condamner les espoirs de l’équipe belge, à une soixantaine de kilomètres du fil.

Projeté dans le fossé, le champion mondial a atterri au pied d’un arbre. Son compatriote Romain Bardet (DSM) est descendu pour le secourir. « Julian ne pouvait pas bouger ni respirer », a relaté Bardet à Velonews, évoquant un « cauchemar ». « Il se sentait conscient, mais il ne pouvait pas vraiment parler. »

Transporté en ambulance, Alaphilippe s’est cassé deux côtes et une omoplate en plus de subir un hémopneumothorax, a communiqué son équipe en soirée. Le Français avait terminé deuxième l’an dernier derrière Tadej Pogacar, absent dimanche pour des raisons personnelles.

Quarante-huit secondes après Evenepoel, le surprenant Quinten Hermans (Intermarché) et Wout Van Aert (Jumbo) ont sprinté pour la deuxième et la troisième place, procurant un premier podium complet à la Belgique depuis 1976.

Malgré le sprint préparé par son coéquipier Jakob Fuglsang (Israel-Premier Tech), qui l’a déposé aux 150 mètres, Woods n’a pu faire mieux que 10e. « On est malheureusement partis tôt, a analysé le résidant de Gatineau. Je n’allais probablement pas battre Wout Van Aert dans un sprint. Il aurait donc fallu arriver de l’arrière pour remporter ce sprint, mais on est simplement partis trop tôt. »

Après un abandon à son premier essai à Liège en 2016, Woods n’est jamais sorti du top 10 depuis, terminant deuxième en 2018. Le changement de tracé l’année suivante, avec le retrait de la côte de Saint-Nicolas et l’ajout d’un final en pente descendante, ne lui sourit pas, a-t-il admis pour la première fois dimanche.

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Michael Woods, 10e de Liège-Bastogne-Liège

C’est très frustrant, mais en même temps, c’est très difficile pour moi de bien faire sur ce nouveau parcours. En particulier quand il y a un vent de face comme ça dans la dernière montée, ce qui rend très difficile la possibilité de s’échapper.

Michael Woods

Sixième à la Flèche wallonne mercredi, Woods est « déçu » de son rendement dans les deux classiques ardennaises. « J’en voulais vraiment plus, mais je suis fier de m’être présenté à ses courses dans une forme compétitive après les maladies qui m’ont affecté ces deux derniers mois. »

« Un peu plus de travail que prévu » pour Houle

Son coéquipier Hugo Houle a terminé au 54rang (+ 7 min 35 s), tout juste derrière son ami Fuglsang et en même temps que Philippe Gilbert, salué par le public. Le héros local faisait ses adieux à la course qu’il a remportée en 2011.

Un coup de frein du natif de Sainte-Perpétue lui a permis d’éviter de justesse la chute collective ayant emporté Alaphilippe. Il en a été quitte pour une brûlure à la cheville droite, gracieuseté de la roue d’un rival.

De retour dans le peloton un peu plus loin, il a répondu à l’une des multiples attaques de Mikel Landa (Bahrain) dans la côte de Dénier, à 45 km du fil.

« Il ne restait que moi avec Jakob et Mike. Normalement, je devais attendre le final [pour me découvrir], mais j’ai eu un peu plus de travail que prévu. Il y a eu plusieurs attaques de Bahrain et c’est moi qui ai eu à gérer un peu la course à ce moment-là. J’ai placé les gars aux avant-postes à la Redoute, où j’étais deuxième roue au pied. Après ça, j’ai malheureusement manqué un peu d’énergie pour passer [avec les favoris]. Je pense que j’ai fait mon travail, ce qui était la priorité. »

Houle s’offrira maintenant quelques semaines loin de la compétition avant de reprendre au Tour de Suisse, en juin.

Baril n’avait pas les jambes

Aujourd’hui, j’ai vraiment manqué de jambes. C’est dommage parce que j’avais très hâte de faire cette course pour la première fois. C’est un très bon parcours pour moi. Mais ce n’était simplement pas une bonne journée sur le vélo. Parfois, quand je ne me sens pas bien, ça peut passer après une heure ou deux. Mais là, quand la côte de la Redoute s’en venait et que j’étais encore mal, j’ai commencé à être inquiète un peu ! De fait, en entrant dans la côte, je n’étais pas capable de suivre, mais pas du tout.

La Québécoise Olivia Baril (Valcar), 36e à + 4 min 49 s à son premier essai à Liège-Bastogne, remportée pour la deuxième fois par la Néerlandaise Annemiek Van Vleuten (Movistar), auteure de deux démarrages dans la Redoute et la Roche-aux-Faucons.

La Sherbrookoise Magdeleine Vallières-Mill (EF), qui s’est glissée dans l’échappée matinale à quatre coureuses, a pris le 63rang. Gabrielle Pilote Fortin (Cofidis) n’a pas terminé.