Ils sont rares, les propriétaires québécois d’équipes de sport professionnel dans une ligue du plus haut calibre.

Il y a Geoff Molson et les autres propriétaires québécois du Canadien de Montréal. Mario Lemieux chez les Penguins de Pittsburgh. Mitch Garber comme actionnaire minoritaire du Kraken de Seattle. Joey Saputo avec le club de soccer de Bologne, en Italie.

Premier Tech s’ajoute à cette liste (très) sélecte. L’entreprise manufacturière de Rivière-du-Loup, propriété de la famille Bélanger, est devenue cette semaine actionnaire à 50 % de l’équipe cycliste Astana–Premier Tech, l’une des 10 meilleures équipes de vélo au monde. L’équipe, qui participe à toutes les étapes de l’UCI World Tour, a terminé septième sur 22 équipes au dernier Tour de France.

Pourquoi une multinationale québécoise se spécialisant dans les produits d’horticulture, l’équipement industriel (par exemple dans l’emballage) et le traitement des eaux usées achète-t-elle 50 % d’une équipe de vélo professionnelle ?

Certes, Jean Bélanger, président, chef de la direction et actionnaire majoritaire de Premier Tech, est un passionné de vélo. Début vingtaine, il a participé à plusieurs compétitions au Québec. À 55 ans, il parcourt toujours 10 000 kilomètres par année sur son vélo, à un excellent rythme (vitesse moyenne supérieure à 30 km/h). Depuis 15 ans, Premier Tech a d’ailleurs une équipe de vélo sur le circuit québécois.

Mais ce n’est pas pour cette raison que Premier Tech a décidé de devenir copropriétaire de l’une des meilleures équipes de vélo au monde.

Une décision d’affaires

C’est plutôt parce qu’il s’agit d’une occasion d’affaires pour accroître la notoriété de Premier Tech à l’international.

Depuis quatre ans, Premier Tech commandite l’équipe Astana à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par année. Avant de s’engager, Premier Tech a fait ses devoirs et a comparé plusieurs types de commandites sportives.

Le chiffre d’affaires (924 millions de dollars en 2020) de Premier Tech est relativement bien réparti à l’international entre les États-Unis (42 %), le Canada (25 %), l’Europe (23 %) et l’Asie (7 %).

L’entreprise, qui compte 1000 employés à son siège social de Rivière-du-Loup et 3700 autres employés dans 17 pays, a donc des employés et des clients partout dans le monde. Une commandite d’une équipe évoluant dans un ou deux pays (par exemple, la LNH ou une ligue de soccer européenne) répondait mal aux besoins de l’entreprise.

Il y a aussi le prix demandé. Dans les meilleures ligues de sport professionnel au monde, les commandites se vendent très cher. Et les équipes valent des centaines de millions, voire des milliards de dollars (à titre d’exemple, le Canadien de Montréal vaut 1,3 milliard US, selon Forbes).

Acheter une équipe de vélo, même l’une des meilleures au monde, c’est beaucoup plus abordable. Premier Tech n’a pas dévoilé le prix de la transaction, mais cet investissement lui coûtera moins cher que sa commandite annuelle de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Premier Tech, premier propriétaire canadien d’une équipe de vélo World Tour, a acheté 50 % des actions de la part du Kazakhstan, qui a fondé l’équipe en 2007 et qui conserve l’autre moitié des parts.

Idéal pour tisser des liens d’affaires

Contrairement à d’autres sports, le vélo est un petit monde où les athlètes, même les meilleurs au monde, sont accessibles. Par exemple, lors du dernier Grand Prix cycliste de Québec en 2019, quelques cyclistes d’Astana–Premier Tech ont apporté leur vélo à Rivière-du-Loup pour rouler avec des employés du siège social de Premier Tech.

Très populaire en Europe — où Premier Tech veut justement augmenter ses parts de marché —, le vélo donne donc des occasions de tisser des liens d’affaires impensables dans d’autres sports. Par exemple, on peut inviter un client à passer une étape à bord de la voiture de l’équipe qui suit les coureurs. C’est un peu comme si on vous invitait à regarder un match du Canadien aux côtés de Marc Bergevin.

Et si le client est un bon cycliste, on peut même l’amener rouler avec les membres de l’équipe lors de leurs jours de « repos », où ces athlètes sortent seulement pour se délier les jambes. « Une petite sortie de 1 h 30 min avec l’équipe, le client trouve ça très agréable. Au début de leur entraînement, [les athlètes] se réchauffent, ils ne partent pas à pleine vapeur et ils montent tranquillement leur vitesse. Mais à partir du moment où ils mettent les gaz, tu ne peux plus les suivre », dit le grand patron de Premier Tech, qui accompagnait parfois l’équipe les week-ends de courses en Europe (avant la COVID-19).

PHOTO JEAN-PHILIPPE DÉCARIE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Bélanger, président et chef de la direction de Premier Tech

Le vélo, c’est un sport d’équipe. C’est impossible pour un coureur de gagner seul le Tour de France. Et le travail d’équipe représente les valeurs de notre entreprise.

Jean Bélanger, président et chef de la direction de Premier Tech

Premier Tech n’a pas peur d’être associé à un sport et à une équipe ayant connu son lot d’histoires de dopage par le passé. Alberto Contador s’est vu retirer son Tour de France remporté avec Astana en 2010 en raison du dopage. Le champion déchu Lance Amstrong a aussi porté les couleurs d’Astana pour son retour en 2009. « On a fait des vérifications et c’est dans les termes du contrat : on peut résilier [pour cette raison], dit Jean Bélanger. Le sport est propre aujourd’hui. Je ne dis pas qu’il n’y aura jamais de coureurs qui ne respecteront pas les règles, mais le dopage systématique a disparu. »

Objectif : une grande victoire en 2022

Sur le plan sportif, Astana–Premier Tech se donne comme objectif de gagner en 2022 l’un des trois grands tours de vélo : le Tour de France, le Giro en Italie ou la Vuelta en Espagne. Cette année, ses coureurs se concentreront sur les classiques du printemps et des victoires d’étape dans ces trois grands tours.

L’équipe compte deux leaders pour la prochaine saison : Jakob Fuglsang, un Danois de 35 ans, et Aleksandr Vlasov, un Russe de 24 ans qui a terminé au 11e rang à la dernière Vuelta. Le Québécois Hugo Houle, 30 ans, fait partie de l’équipe, et le Canadien Steve Bauer vient de se joindre au groupe des directeurs sportifs.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québécois Hugo Houle fait partie de l’équipe Astana–Premier Tech.

Comme 80 % des courses de vélo sont en Europe, Astana–Premier Tech continuera d’avoir son quartier général à Nice, en France. Mais l’équipe a un solide noyau de partisans dans le Bas-Saint-Laurent. « Premier Tech est basée à Rivière-du-Loup, mais nous sommes une entreprise très internationale et les gens en sont fiers, dit Jean Bélanger. On a des employés qui se sont mis au vélo. C’est notre sport à nous. »