Michael Woods y croyait. Treize kilomètres plus tôt, il avait fait exploser la course exactement où il l’avait prévu : dans la Roches-aux-Faucons, dernière difficulté de Liège-Bastogne-Liège, après presque 250 kilomètres et plus de six heures en selle. Sa principale victime : Primož Roglič, tenant du titre et numéro un mondial.

Seuls quatre coureurs s’étaient accrochés à la roue du puncheur d’Ottawa, et pas les moindres : le champion mondial Julian Alaphilippe, fraîchement décoré à la Flèche wallonne, Tadej Pogačar, vainqueur du dernier Tour de France, le vieux Alejandro Valverde, quadruple lauréat, et le teigneux David Gaudu, jeune grimpeur français dont l’action s’envole.

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Tadej Pogačar

Woods en a remis deux kilomètres plus loin, là où la route s’élevait pour la dernière fois avant le fil. Dents serrées, Alaphilippe, qui jouait le rôle de bourreau au même endroit l’automne dernier, est revenu avec les trois autres à sa suite.

En dépit des efforts de Roglič et des Ineos, qui avaient durci la course plus tôt dans la célèbre côte de la Redoute, la 107e présentation de la Doyenne se déciderait entre les cinq hommes de tête.

Woods, qui rêvait de devenir le premier Canadien lauréat d’un Monument*, ne semblait plus avoir aussi confiance en son sprint, comme il l’indiquait dans nos pages deux jours plus tôt.

En entrant dans Liège, un peu avant la flamme rouge, il a donc tenté une attaque à laquelle Alaphilippe a facilement répondu. À partir de là, il s’est commis à suivre Valverde, l’increvable Espagnol qui fêtait son 41e anniversaire.

Première roue, l’ancien champion mondial a été le premier à lancer le sprint, aux 250 mètres. Woods a produit son effort 100 mètres plus loin, mais il n’a fait que mettre la table pour Alaphilippe (Quick-Step) et Pogačar (UAE), nettement plus puissants.

Le Slovène de 22 ans a sauté le Français juste sur la ligne pour remporter sa première grande classique, dimanche.

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Le Slovène Tadej Pogačar, deuxième à partir de la gauche

« Je suis presque sans voix », a réagi Pogačar, privé de la Flèche wallonne, mercredi, en raison de deux contrôles positifs à la COVID-19 dans son équipe.

J’adore vraiment cette course : gagner ici était l’un de mes rêves, et c’est incroyable d’avoir atteint cet objectif et de finir devant ces grands noms.

Tadej Pogačar

Alaphilippe, déclassé l’an dernier après un sprint irrégulier où il avait aussi levé les bras trop tôt, a salué la domination d’un « phénomène ».

« Tadej Pogačar a vraiment bien géré son sprint. Il a eu le bon timing. Il avait la puissance : félicitations à lui. Je n’ai pas de regret. »

Gaudu (Groupama) a complété le podium, suivi de Valverde (Movistar) et Woods.

« Malheureusement, c’était un sprint vent de face, relevait Woods une demi-heure plus tard. Je suivais Valverde, mais je me suis tassé dans le vent trop tôt et j’ai créé plus d’aspiration pour Pogačar et Alaphilippe. En rétrospective, j’aurais commencé [le sprint] en dernière position, mais c’est facile à dire après coup. »

« Déçu, mais fier »

Quatrième mercredi à la Flèche wallonne, où il s’était reproché un placement inadéquat dans le final, la recrue d’Israel Start-Up Nation n’avait aucun regret à l’issue de l’épreuve de 259 kilomètres.

« Évidemment, je suis un peu déçu de finir cinquième d’un groupe de cinq. Mais je suis très fier de la façon dont j’ai couru dans la Roche-aux-Faucons. Je me sentais vraiment fort. J’ai fait la course que je voulais. Je voulais attaquer à la Roche-aux-Faucons et animer la course. »

Son coéquipier et ami Guillaume Boivin, après son abandon dans la Redoute (223e kilomètre), a suivi les 10 derniers kilomètres dans l’autobus de l’équipe.

« C’est quand même excitant, a relevé le Montréalais de 31 ans. On avait Mike dans les bosses qui était vraiment costaud. Dans un sprint comme ça, après 260 kilomètres, tout peut arriver. C’était beaucoup d’émotions. On a fait une belle course comme équipe. Mike était très costaud, mais ça ne finit pas toujours comme on le veut. On peut être fiers. »

Pour son baptême à Liège-Bastogne-Liège, Boivin a eu pour mandat d’épauler ses meneurs, dont le solide Letton Krists Neilands (25e), jusqu’à la côte de Wanne, à 90 km de l’arrivée.

« Le niveau est assez impressionnant. C’est cool parce que c’est le dernier Monument qui me manquait. De le faire avec un chum et d’y aller pour la gagne, c’est encore mieux. Il fallait rester concentré toute la journée, toute la semaine même, je dirais. L’ambiance était vraiment le fun et ça paraissait dans les courses. »

Hugo Houle, le troisième Canadien en lice, jouait un rôle similaire à Boivin pour Astana-Premier Tech. Il s’est rendu à la côte de Mont-le-Soie (164e kilomètre), où il s’est fait distancer. Jusque-là, il avait coupé le vent à son chef de file danois Jakob Fuglsang, sacré sur ces routes en 2019.

« Des symptômes de mon rhume sont réapparus », a expliqué le natif de Sainte-Perpétue, éprouvé aux bronches et à une oreille après une reconnaissance de parcours par temps froid, vendredi.

« Je ne voulais pas trop m’épuiser parce que je sens que j’étais limite. Je n’ai pas insisté. […] Je ne suis pas misérable, mais à ce niveau-là, tu ne viens pas jouer avec les derniers venus. Il faut être à 100 %. J’ai fait le travail prévu et de toute façon, ça en prend qui se sacrifient. »

La formation québéco-kazakhe a été bien représentée durant toute la course avec Omar Fraile, Luis Leon Sanchez et Alex Aranburu. Fuglsang a été condamné par l’accélération de Woods. Le vice-champion olympique est arrivé avec le deuxième groupe, terminant 12e à 9 secondes, juste devant Roglič.

« Très, très solide »

Houle a salué la prestation de Woods, qu’il a pu féliciter en personne, puisque les autocars des deux équipes étaient stationnés côte à côte.

« Il était très, très solide et manifestement le plus fort aujourd’hui avec les efforts qu’il a mis dans la Roche-aux-Faucons. Il mériterait un podium avec la course qu’il a faite, mais il peut être fier de lui, il a très bien couru. »

Malgré une course très dynamique, marquée par une échappée solo de l’Équatorien Richard Carapaz, les Ineos ont dû se contenter de la 11e place du Polonais Michal Kwiatkowski.

En soirée, Woods, Boivin et leur coéquipier Reto Hollenstein ont pris l’avion privé du propriétaire de leur formation, le Montréalais d’origine Sylvan Adams, pour s’envoler vers la Suisse en prévision du Tour de Romandie, qui commence mardi.

Après son abandon à son premier essai en 2016, Woods n’a jamais terminé plus loin que neuvième à ses cinq départs suivants à Liège-Bastogne-Liège.

« Oui, c’est la fois où je suis venu le plus proche de gagner. Même si j’ai fini deuxième en 2018, j’ai beaucoup mieux joué mes cartes aujourd’hui [dimanche]. Avec 100 mètres à faire, je pensais que j’allais gagner… Ça m’a juste scié les jambes quand j’ai vu Alaphilippe me déborder sur la droite. Mais c’est la plus belle façon dont j’ai couru un Monument et je suis fier de l’équipe. »

La course sur route des Jeux olympiques de Tokyo, son plus grand objectif de l’année, le 24 juillet, s’annonce passionnante.

*Liège-Bastogne-Liège, Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et le Tour de Lombardie forment ce qu’on appelle les cinq Monuments du cyclisme.

La championne mondiale se sacrifie

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Demi Vollering

L’épreuve féminine de Liège-Bastogne-Liège s’est aussi décidée dans un sprint à cinq, mais la similitude dans le scénario s’arrêtait là. Après avoir fait le ménage dans la Roche-aux-Faucons, la championne mondiale néerlandaise Anna van der Breggen (SD Worx) a conduit sa compatriote et coéquipière Demi Vollering vers sa première grande victoire. Sacrée pour la septième fois à la Flèche wallonne, mercredi, van der Breggen s’est mise à la planche pour Vollering jusqu’à la ligne d’arrivée. La Néerlandaise Annemiek aVn Vleuten (Movistar) s’est classée deuxième, suivie de la championne italienne Elisa Longo Borghini (Trek).