Après une fin de Tour de France en demi-teinte, le Français Julian Alaphilippe offre un premier titre mondial à son pays en 23 ans. Mal positionné au moment-clé, le Canadien Michael Woods doit se contenter du 12e rang.

Même avec une victoire d’étape et trois jours en jaune, l’étoile de Julian Alaphilippe avait un peu pâli durant le dernier Tour de France. Ses attaques vaines de la dernière semaine laissaient interrogateur : retrouverait-il ses jambes à temps pour les Championnats du monde ?

Le déplacement de l’évènement de la Suisse vers l’Italie pour des raisons sanitaires avait bougé l’aiguille du baromètre des prétendants. Sur ce circuit autour de l’autodrome Ferrari à Imola, les puncheurs comme Alaphilippe reprenaient l’avantage sur les purs grimpeurs.

« On n’est pas des favoris, mais des outsiders », se plaisait cependant à répéter le sélectionneur français, Thomas Voeckler.

Personne n’y a cru, ce qui n’a pas empêché l’équipe bleu-blanc-rouge de jouer ses cartes à la perfection, dimanche. À la fin, ce sont les jambes d’Alaphilippe et son panache contagieux qui ont parlé.

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Julian Alaphilippe

L’irrésistible Français à la barbichette s’est envolé près du sommet de la dernière ascension avant de filer vers la médaille d’or à la course sur route des Mondiaux. Il a ainsi offert à son pays un premier maillot arc-en-ciel depuis celui de Laurent Brochard, en 1997.

Après une poursuite effrénée sur une dizaine de kilomètres, Alaphilippe a franchi la ligne 24 secondes devant un quintette de haute tenue. Il a eu le temps de mettre les mains sur son casque avant de laisser exploser sa joie. Les pleurs ont continué dans l’aire d’arrivée et sur le podium protocolaire pendant La Marseillaise.

« C’est le rêve de ma carrière », a résumé l’athlète de 28 ans, très émotif après avoir remercié Voeckler, ses coéquipiers, son entraîneur et cousin Frank Alaphilippe et son amoureuse Marion Rousse, apparemment sans voix dans la cabine de France 3, où elle commentait la course.

Je suis parfois passé si près, mais je ne suis jamais monté sur le podium. Je suis bien sûr arrivé ici avec beaucoup d’ambition, et là, je l’ai fait.

Julian Alaphilippe

Se retournant souvent pour jauger son avance – les Mondiaux sont disputés sans oreillettes –, Alaphilippe a tenu en respect un groupe sélect composé du Belge Wout van Aert, un autre grand favori, du Suisse Marc Hirschi, du Polonais Michael Kwiatkowksi, du Danois Jakob Fuglsang et du Slovène Primož Roglič, malheureux deuxième du dernier Tour qui s’est conclu une semaine plus tôt.

Après plus de six heures et demie et 250 kilomètres en selle, le quintette n’a jamais réussi à s’engager totalement dans la poursuite, même avec Alaphilippe à portée de vue, une douzaine de secondes devant.

Le puissant van Aert, qui aura des regrets, a lancé le sprint de l’avant pour facilement enlever la médaille d’argent. Le jeune Hirschi, super combatif et vainqueur d’étape au Tour, a remporté le bronze, s’imposant par un pneu sur Kwiatkowksi, champion en 2014.

« On a fait tout ce que l’on pouvait », a déclaré van Aert, deuxième également du contre-la-montre, vendredi.

« À la télévision, cela peut donner autre chose, mais si on n’est pas revenus, c’est parce que Julian était le plus fort à l’avant. Si personne ne l’a suivi, c’est que ce n’était pas possible. Après, à deux kilomètres de l’arrivée, on a pensé aux médailles… »

Le Canadien Michael Woods n’avait pas ce luxe. Il a fini 12e, à 53 secondes, dans le deuxième groupe réglé par l’Australien Michael Matthews (7e), lauréat du Grand Prix cycliste de Québec un an plus tôt.

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Michael Woods

Médaillé de bronze en 2018, le cycliste d’Ottawa regrettait son positionnement (environ 20e) au moment du démarrage d’Alaphilippe.

« J’ai manqué de concentration dans les deux ou trois minutes avant la dernière montée, s’est blâmé Woods. À cause de ça, j’étais trop loin quand il a attaqué. Je termine donc dans le deuxième groupe. Ce n’était pas le but. Je suis un peu déçu. Je pense que j’aurais pu faire mieux. »

Manifestement démonté selon le ton de sa voix au téléphone, il tentait de s’encourager en calculant le chemin parcouru depuis sa fracture du fémur subie durant Paris-Nice, au début de mars, juste avant le début du confinement mondial.

« Je dois être fier de la façon dont je me suis amélioré depuis cinq, six mois », a dit le gagnant de la troisième étape de Tirreno-Adriatico, le 9 septembre.

Une course « très, très difficile »

Woods a souligné le « travail formidable » de ses coéquipiers Hugo Houle, Alex Cataford et Guillaume Boivin, entièrement dédiés à sa cause.

Houle a été le dernier à l’accompagner jusqu’à l’avant-dernier tour, où les forts pourcentages de la montée Cima Gallistena l’ont condamné. « J’ai eu des crampes un peu et c’était trop vite pour moi, a analysé celui qui fêtait son 30e anniversaire. J’ai peut-être un peu mal géré ma nutrition. »

Le Québécois (61e à 19 min 42 s) attribue ses crampes aux jambes aux gels énergétiques qu’il a ingurgités. Il ignorait qu’ils contenaient de la caféine. « Je ne la tolère vraiment pas bien. Si j’en prends dans les 100 derniers kilomètres, ça me donne des crampes. De toute façon, ç’a été une course très, très difficile. » 

J’étais complètement vidé. Les jambes étaient correctes, mais pas exceptionnelles.

Hugo Houle

Houle aurait aimé pouvoir en faire plus pour Woods, « qui peut être fier de lui » : « Il marchait très bien. Il était là à la fin avec les costauds. Il peut garder la tête haute. Mike a été solide. Mais c’est un compétiteur et ses attentes sont élevées. Il sera probablement plus content en se levant demain matin. »

Boivin et Cataford n’ont pas terminé l’épreuve, comme la moitié des 177 partants.

Tadej Pogačar a tenté de dynamiter la course en attaquant seul avec un peu plus d’un tour à faire. Le gagnant-surprise du Tour de France s’est donné une priorité de 26 secondes, mais son avance a fondu grâce au travail des Belges.

Le Slovène de 22 ans avait déclaré qu’une victoire de son compatriote Roglič aux Mondiaux représenterait un « conte de fées » après le dénouement du Tour, où il a renversé son aîné lors du contre-la-montre la veille de l’arrivée à Paris. Roglič, cinquième devant Fuglsang, n’avait cependant plus les ressources dans le final.

Un coureur apprécié

Après avoir durci l’épreuve avec une soixante de kilomètres à parcourir, les Français ont habilement déployé leurs effectifs face aux puissantes armadas belge, espagnole et italienne. Quand Guillaume Martin s’est sacrifié en attaquant juste avant le pied de la dernière ascension, Alaphilippe était prêt pour son heure de gloire.

« À chaque fois, ce sont des émotions différentes, gagner de grandes courses, un monument, des étapes du Tour, porter le maillot jaune, a-t-il énuméré en conférence de presse. Mais le maillot arc-en-ciel, c’est le sommet. C’est la course qui me faisait rêver le plus. »

Avec ce nouveau titre, la popularité d’Alaphilippe n’en sera que décuplée. « Je suis super content pour lui, c’est un bon gars, a souligné Houle. Il s’est fait un peu oublier en terminant le Tour un peu plus discrètement. Ça lui a souri. »

« C’est vraiment un coureur que tout le monde aime, a renchéri Woods. Il est très gentil, il n’a pas la grosse tête. »

Houle, qui rentrait en auto à Monaco, et Woods, qui attendait un vol à l’aéroport de Bologne, se retrouveront dès mercredi à la Flèche Wallonne, en Belgique. Alaphilippe, double tenant du titre, a préféré déclarer forfait afin de se préserver pour Liège-Bastogne-Liège, dimanche prochain.