Alexandre Vinokourov, grand patron de l’équipe Astana, avait une commande précise pour Hugo Houle en entrant dans le bus jeudi matin à Chauvigny : « Tu t’occupes de Miguel Ángel López. »

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Après avoir rempli son mandat, le cycliste de Sainte-Perpétue s’est joint à une quinzaine de contre-attaquants qui se sont disputé la 12e étape du Tour de France.

Si le jeune Suisse Marc Hirschi s’est avéré le plus fort, signant sa première victoire professionnelle à l’âge de 22 ans, Houle a tiré son épingle du jeu parmi un groupe contenant quelques-uns des meilleurs puncheurs-grimpeurs de la planète, dont le Français Julian Alaphilippe.

À l’issue d’une fin de course explosive, le Québécois de 29 ans a tout donné pour terminer septième, un sommet pour lui sur le Tour.

Abonné aux places d’honneur depuis le grand départ à Nice, Houle rangeait sa performance de jeudi tout en haut de la liste.

« Je suis très, très content, a-t-il réagi quelques minutes après l’arrivée. Je savais que j’étais en forme. J’ai travaillé très fort depuis le début de l’année pour m’améliorer dans les montées. »

Réussir à être là aujourd’hui avec les meilleurs comme Alaphilippe, dans une étape très, très difficile, c’est quand même un bel accomplissement, même si je n’ai pas réussi à gagner. Être là avec des gars comme ça, c’est une première pour moi.

Hugo Houle

En réalité, il y avait un coureur au-dessus du lot sur cette étape de 218 km, la plus longue du Tour 2020, reliant Chauvigny et Sarran, fief de l’ex-président Jacques Chirac, mort un an plus tôt et à qui l’organisation a rendu hommage.

Malheureux deuxième derrière Alaphillipe lors de la deuxième étape à Nice, encore plus déconfit de sa troisième place à Laruns après un raid solo de 90 km, Hirschi n’a cette fois pas raté son coup.

Habilement emmené par ses compagnons de Sunweb, l’explosif Suisse a bondi dans la dernière montée du Suc au May, un lacet étroit tracé dans la forêt, pour rejoindre l’Espagnol Marc Soler et le déposer. Comme dimanche dans Peyresourde, l’ex-champion mondial U23 s’est ensuite couché sur son tube horizontal pour une descente spectaculaire où il a allumé ses pneus à une ou deux reprises pour éviter la sortie de route, frisant parfois les 75 km/h.

GRAPHIQUE : TOUR DE FRANCE

La 12e étape, la plus longue du Tour, avec 218 km, est très escarpée, surtout dans la seconde moitié.

Seul sur 28 km, Hirschi a tenu en respect les hommes qui tentaient de le rattraper, un peu moins d’une minute derrière.

« Je suis passé près à deux reprises, et aujourd’hui, je n’ai jamais cru que je pouvais le faire parce que c’était très douloureux », a réagi le protégé de Fabian Cancellara, dernier vainqueur d’étape suisse sur le Tour en 2012. « C’est incroyable, je ne sais pas, c’est juste beau. »

« On savait qu’il était très costaud »

Houle a salué la supériorité de son jeune rival : « On savait qu’il était très costaud. Depuis le début du Tour, on a vu la façon dont il a roulé. Honnêtement, je suis content pour lui. Il le méritait pleinement. »

Le groupe qui chassait derrière n’a jamais réussi à s’organiser. La présence d’Alaphilippe et de deux de ses coéquipiers n’a pas aidé. Ni celle de deux coureurs de Sunweb et de B & B Hotels. Seul membre d’Astana encore dans le jeu après la défaillance d'Alexey Lutsenko, Houle s’est accroché dans les plus forts pourcentages malgré les furieux à-coups d’Alaphilippe, qui s’impatientait.

« Les changements de rythme m’ont fait mal. Alaphilippe est beaucoup plus explosif que moi. Mais je me sentais vraiment bien aujourd’hui. Je ne coinçais pas et j’avais la force nécessaire pour répondre à plusieurs attaques. J’ai essayé de mentaliser pour être au top dans le final. »

Quand Pierre Rolland (B&B Hotels) s’est enfui à deux kilomètres de l’arrivée, en route vers la deuxième place, Houle a tenté sa chance. Il s’est fait rejoindre à 500 mètres de la ligne. Troisième, le Danois Søren Kragh Andersen a pu célébrer avec son coéquipier Hirschi. Alaphilippe s’est contenté du 11e rang.

Peter Sagan, pour qui Bora avait roulé toute la journée, a dû se résoudre à régler le sprint du peloton (13e).

Houle a franchi le fil dans un groupe de huit à 52 secondes du vainqueur.

Je dois aussi apprendre un peu plus à courir dans un final quand c’est pour gagner. Ça ne m’est pas arrivé souvent. Je suis allé chercher une belle expérience aujourd’hui. J’ai bien fait avec les armes que j’avais.

Hugo Houle

Sur le plan collectif, il s’est acquitté du mandat que lui avait confié Vinokourov, le champion olympique de 2012. Il a chaperonné son meneur López du départ jusqu’à l’avant-dernière montée, où il l’a placé tout en avant du peloton. Le Colombien est toujours neuvième au général, à 1 min 15 s du maillot jaune Primož Roglič (Jumbo), pour qui ce fut une autre journée sans histoires.

Voyant Lutsenko partir en contre, Houle a pris l’initiative de rejoindre son coéquipier, gagnant de l’étape du mont Aigoual la semaine dernière. « Je sentais que c’était le bon moment, que ce n’était pas juste de la rigolade. » Sa présence en tête pouvait également servir de soutien éventuel à López.

Finalement, Houle a pu jouer sa propre carte : « Tout le monde est fier de moi et l’équipe va voir que je suis en forme. Ça va les mettre en confiance. Ils savent que si je sors dans une échappée, je peux gagner. Je serai considéré davantage. »

La priorité reste le classement général pour Astana. Avec la perte du grimpeur Ion Izagirre, victime de deux fractures sur une chute mercredi, le rôle du Canadien a pris de l’importance.

« Ils sont nerveux un peu avec López. L’équipe est consciente que je suis un très bon appui pour lui dans le peloton. Je le rassure. »

Après 12 étapes de son deuxième Tour, Houle compte maintenant six résultats parmi les 20 premiers. Inespéré ? « Je suis moi-même impressionné, a admis celui qui pointe 56e au général. Si tu m’avais dit ça avant le Tour, j’aurais été très content. Je réussis un super Tour. J’ai indéniablement l’un des meilleurs niveaux de ma carrière. »

À mi-chemin de l’épreuve, ce n’est pas le temps de baisser la garde : « l’étape la plus dure » se profile ce vendredi, aux dires du directeur Thierry Gouvenou. Ça monte et ça descend pendant 191,5 km entre Châtel-Guyon et le pas de Pérol, pour un total de 4400 m de dénivelé positif. Les purs grimpeurs vont s’expliquer. Egan Bernal (Ineos) a fait la reconnaissance du final « très pentu ». Une pièce sur le Colombien qui prendra le maillot jaune de justesse.