Confiné dans son appartement de Gérone, incapable de marcher, Michael Woods trouve que « la vie est belle ».

Normalement, le cycliste de 33 ans est habité par la « peur de manquer quelque chose ». Ces temps-ci, il n’a rien à manquer. Sa vie se déroule entre les quatre murs de son logement catalan. Il est avec sa femme Elly et leur fille de presque 2 mois.

Woods est l’un des rares athlètes à se réjouir du report des Jeux de Tokyo, confirmé mardi par le Comité international olympique.

Quand il s’est fracturé le fémur droit à la cinquième étape de Paris-Nice, le 12 mars, le Canadien a d’abord pensé au rendez-vous nippon, son principal objectif cette saison, loin devant le Tour de France.

« J’étais sur le bord de la route, ma jambe était cassée », a-t-il raconté mercredi matin, entre deux gazouillis de son nourrisson.

« Je me suis dit : “Oh, man ! Je ne ferai pas les Jeux olympiques, le rêve est fini !” Mais j’ai parlé avec mon entraîneur, Paulo [Saldanha], juste après et il m’a dit : “Je suis certain que tu peux être prêt.” »

Maintenant que les Jeux seront en 2021, c’est vraiment mieux pour moi. Je suis sûr de pouvoir être prêt à 100 % l’an prochain. Je pense qu’ils ont pris la bonne décision. Et personnellement, je suis vraiment chanceux.

Michael Woods

Après avoir hésité, Woods a accepté de lancer sa saison sur Paris-Nice, jugeant adéquates les mesures mises en place par les organisateurs pour se prémunir d’une propagation du coronavirus, comme l’interdiction d’accès aux spectateurs dans les zones de départ et d’arrivée.

À ce moment-là, des équipes avaient déclaré forfait et les membres de trois autres étaient maintenus en quarantaine dans un hôtel de Dubaï après une éclosion de la COVID-19 au Tour des Émirats.

Au matin de la cinquième étape, Tejay Van Garderen, un coéquipier américain de Woods avec EF Pro Cycling, a décidé de rentrer aux États-Unis, craignant d’être coincé en Europe au lendemain du resserrement des frontières annoncé par le président Trump.

Pendant l’étape, Lawson Craddock, un autre Américain d’EF, s’est arrêté parce qu’il était trop malade. Les médecins ont dû s’assurer qu’il n’était pas porteur du virus.

« Ma tête n’était pas à 100 % à la course, a estimé le natif d’Ottawa. J’étais peut-être à 99,8 %. Le petit pourcentage manquant est probablement la cause de ma chute. Quand tu n’es pas à 100 % dans une course, c’est beaucoup plus dangereux. Dans une descente à environ 60 km/h, je n’ai pas pris la bonne ligne et je suis tombé directement sur mon fémur. »

Transporté par ambulance à l’hôpital Lyon-Sud, il était sur la table d’opération deux heures plus tard. Les médecins ont installé une tige de titane le long de son os pour stabiliser la fracture.

En visite à Gérone, les parents de Woods sont venus le chercher deux jours plus tard, craignant que leur fils ne soit bloqué en France au moment où la frontière avec l’Espagne était sur le point de fermer.

Rééducation… et bébé à catiner !

Deux semaines après l’accident, Woods se porte beaucoup mieux. Il a commencé sa rééducation avec l’aide d’une physiothérapeute. « Grâce à la barre, c’est presque certain que je pourrai rouler sur le home-trainer dans une semaine. »

Le médaillé de bronze des Mondiaux 2018 pense être en mesure de rouler à l’extérieur dans un mois et demi et, si tout va bien, revenir à la compétition dans trois ou quatre mois.

Il se félicite également d’avoir engraissé de quelques kilos. « Je n’ai pas pris beaucoup de repos après la dernière saison. Maintenant, on ne sait pas quand les courses reprendront. J’ai pris la décision de bien récupérer. Quand tu manges beaucoup plus, c’est plus facile de régénérer les os, être plus fort, avoir un meilleur niveau de testostérone, des trucs comme ça. »

Quand le Comité olympique canadien a choisi de ne pas envoyer d’athlètes à Tokyo si les Jeux olympiques avaient lieu aux dates prévues, Woods a applaudi.

J’étais vraiment fier d’être Canadien. À mon avis, le Canada a mis la santé des athlètes au cœur de sa décision. Dans plusieurs pays, les décisions sont basées sur l’argent ou d’autres intérêts.

Michael Woods

Ironiquement, dans sa condition, le confinement ne lui est pas douloureux, contrairement à ses concitoyens de Gérone, limités au strict minimum dans leurs sorties.

« Honnêtement, c’est très bizarre pour moi. Si je n’avais pas cette fracture, je serais normalement à l’extérieur. J’ai vraiment la peur de manquer quelque chose [fear of missing out, ou FOMO, en anglais]. Ça n’existe pas en ce moment parce qu’il ne se passe rien dehors. C’est facile de rester chez moi et de récupérer. »

La situation est d’autant plus facile avec un bébé à catiner. Maxine Jacquelyn Woods est née le 28 janvier, presque deux ans après que le couple a perdu un fils, Hunter, mort-né à 37 semaines.

« On a vécu beaucoup de peur. Notre fils avait 36 semaines et 6 jours quand il est mort. Notre fille en avait 37 à sa naissance. On a eu peur aussi quand elle est venue au monde. J’ai beaucoup pleuré. Elly aussi. On est très chanceux d’avoir un bébé en bonne santé. C’est quelque chose d’incroyable. »

Inquiet comme tout le monde de l’incertitude régnant partout sur la planète, Michael Woods cherche à se tenir loin de l’internet et des réseaux sociaux.

« C’est très facile de tomber dans un trou, de te perdre là-dedans et de recevoir de la désinformation. Je suis CBC News ou une bonne agence. J’essaie ensuite de faire abstraction de tout ça et d’être attentif au moment présent avec ma famille. »

Quand les règlements le permettront, peut-être à la mi-avril, Woods compte retourner en Andorre, où il a élu domicile en 2018. Si le Tour de France, où il a fini 32e l’an dernier, s’élance comme prévu le 27 juin, il ne sera assurément pas au départ. S’il est remis à plus tard, « peut-être ».