Championne canadienne U23 en titre, la cycliste Olivia Baril a prolongé sa saison 2019 en se classant parmi les 10 meilleures participantes à une compétition virtuelle organisée par l’entreprise derrière l’application Zwift. Populaires depuis quelques années déjà, les applications de ce genre, qui permettent de s’entraîner à l’intérieur, sont également prisées des athlètes professionnels.

Une Québécoise parmi les meilleurs au monde

Sur la ligne de départ virtuelle, au mois d’août dernier, elles étaient exactement 8872 à rêver d’un contrat professionnel avec l’équipe du World Tour Canyon-SRAM. Olivia Baril y a longtemps cru en parvenant à se qualifier parmi les 10 demi-finalistes du concours Zwift Academy, du nom de l’entreprise qui a développé l’application d’entraînement.

« C’est quelque chose à écrire dans mon CV sportif. C’est vraiment un exploit, le monde me dit : “C’est vraiment cool que tu aies fait ça” », raconte la cycliste de 21 ans qui n’a toutefois pas atteint la finale de cette compétition.

PHOTO FOURNIE PAR OLIVIA BARIL

Olivia Baril est championne canadienne sur route et en contre-la-montre chez les moins de 23 ans.

Actuelle championne canadienne sur route et en contre-la-montre chez les moins de 23 ans, Baril utilise Zwift depuis un an environ. Quand une coéquipière de l’équipe Macogep-Tornatech-Specialized lui a parlé de Zwift Academy, dont l’accès est réservé aux cyclistes de niveau amateur, elle n’a pas réfléchi longtemps. « Je me suis promis d’y participer. Et je me suis inscrite pour gagner ! »

> Voyez une vidéo de Zwift Academy.

Durant les mois d’août et de septembre, les qualifications ont pris la forme de huit entraînements préétablis et de quatre courses permettant de mesurer la puissance, la capacité anaérobie ou l’explosivité.

« Zwift avait créé une courbe de puissance pour toutes les filles et, pendant les deux mois de sélection, j’ai pu voir où je me situais par rapport aux autres. Je me suis démarquée au test de puissance sur une minute. Je me suis rendu compte que j’avais de bonnes puissances lors des tests allant de 30 secondes à 5 minutes. Je suis plus explosive qu’endurante. »

Elle n’est pas seule à s’en être aperçue. À la fin de septembre, elle a su qu’elle faisait partie des 10 dernières candidates en lice. Dans le lot, elle retrouvait d’anciennes finalistes du concours, de jeunes cyclistes au palmarès amateur bien garni ou des athlètes issues d’autres disciplines comme l’aviron ou la course à pied. Elle était la seule Canadienne.

Pour que tout le monde soit sur un pied d’égalité au niveau technologique, chacune a reçu une base d’entraînement avec les mêmes données.

« Durant 14 jours, on a dû faire quatre entraînements intérieurs qui étaient vraiment plus difficiles que lors de la phase de sélection. Il y avait aussi trois sorties à l’extérieur, dont l’une de quatre heures.

« Ça m’a désavantagée parce qu’il commençait à faire froid à Montréal. Certaines filles sont allées en camp d’entraînement pour faire ces trois courses extérieures. Je n’avais pas cette possibilité, alors, j’ai fait ce que j’ai pu. J’ai grimpé le mont Royal. »

En fin de compte, la jeune femme originaire de l’Abitibi n’a pas été retenue parmi les trois finalistes. En consultant les données des entraînements, elle sait toutefois que l’écart était infime entre les participantes.

PHOTO FOURNIE PAR OLIVIA BARIL

Olivia Baril pendant une séance sur Zwift

Un « gros entraînement mental »

Cette aventure est loin d’avoir été vaine pour celle qui se décrit comme une « puncheuse » sur la route. Au-delà des efforts physiques, elle juge que la compétition a testé sa force mentale après une saison sportive déjà bien occupée.

« C’est habituellement une période de repos parce que la saison a été longue, qu’il commence à faire froid et que, dans mon cas, l’école avait recommencé. Ça devenait difficile de trouver un rythme. Des fois, je disais à mon copain : “C’est trop difficile, je n’ai plus envie de faire les entraînements, j’abandonne”. Il me répondait que je ne le pouvais pas et que j’étais dans les 10 dernières. Ç’a été un gros travail mental ».

La cycliste, qui a été repérée alors qu’elle pratiquait le triathlon, est en troisième année à l’Académie d’ostéopathie de Montréal. Lorsqu’elle rate des cours en raison d’une course ou d’un camp d’entraînement, elle a toujours l’option de les rattraper par le biais de vidéos en ligne. « C’est difficile quand il y a de grosses semaines. Je suis à l’école de 8 h à 16 h et je dois m’entraîner ensuite, ajoute-t-elle. Mais il faut le faire et je suis contente de la façon dont j’ai concilié les deux jusqu’à maintenant. »

Au moment de l’entrevue, elle était d’ailleurs en Espagne pour un camp de trois semaines où elle enchaînait les longues sorties et les séances d’intervalles. L’entraînement intérieur et les courses virtuelles sont cependant loin d’être finis. Elle a, par exemple, été recrutée par la première gagnante de Zwift Academy, Leah Thorvilson, pour une série d’épreuves qui se tiendront jusqu’à la fin du mois de janvier. Une somme de 5000 $ est en jeu à chaque course.

PHOTO FOURNIE PAR OLIVIA BARIL

Olivia Baril lors d’une compétition

Elle retrouvera ensuite son équipe Macogep-Tornatech-Specialized, qui vient tout juste d’obtenir sa licence UCI. Cela lui permettra de participer à des épreuves de plus grande envergure, en Europe notamment.

À la fin de ses études, dans un an et demi, elle rêve justement de s’y rendre et de se joindre à une équipe du World Tour. Et sur son CV, elle ne manquera certainement pas de glisser une ligne ou deux sur Zwift Academy.

Une technologie aussi utilisée par les professionnels

Si l’avatar d’un certain H. Houle vous a dépassé à bonne allure lors d’un entraînement automnal sur l’application Zwift, sachez que, oui, il s’agissait bien du coureur d’Astana. « Je ne sais pas si les gens percutent », se demande tout de même celui qui a participé au Tour de France 2019.

Hugo Houle n’a pas besoin d’utiliser cette technologie virtuelle toute l’année, mais il y a eu recours, au mois de novembre, à son retour au Québec. Selon l’entreprise qui a conçu l’application, il est possible de croiser ou de se faire dépasser par 74 participants du dernier Tour dans ce monde virtuel.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Hugo Houle, cycliste professionnel membre de l’équipe Astana

C’est avant tout le cas de coureurs venant de régions au climat plus froid. Houle sait que son coéquipier belge Laurens De Vreese utilise l’application. Même chose pour le Danois Michael Valgren, le Norvégien Edvald Boasson Hagen ou l’Américain Ian Boswell, qui vit au Vermont.

« Le temps passe plus vite pour les gens qui, comme moi, roulent longtemps. C’est une bonne façon d’avoir un peu de plaisir à rouler à l’intérieur. Si j’étais au Québec plus longtemps, c’est certain que je l’utiliserais davantage », reconnaît Houle, qui s’était familiarisé avec Zwift au cours de l’automne 2018.

Cette année, il s’est livré à un petit travail de menuiserie pour assembler le support sur lequel il a placé ses trois rouleaux à résistance contrôlée par Bluetooth. Selon lui, cette technologie permet d’avoir des sensations très semblables à ce qu’il peut percevoir sur la route.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @HUGOHOULE

Hugo Houle s’est familiarisé avec l’application Zwift au cours de l’automne 2018. Cette année, il s’est livré à un petit travail de menuiserie pour assembler le support sur lequel il a placé ses trois rouleaux à résistance contrôlée par Bluetooth.

« J’ai été très surpris de l’efficacité lorsqu’on fait des courses ou des événements en groupe. Ça ressemble vraiment à une course réelle. Lorsque tu perds le groupe de tête, par exemple, tu sens une énorme différence [dans l’aspiration]. »

Il ne s’est pas arrangé pour courir virtuellement aux côtés de coéquipiers, mais il s’est coordonné avec plusieurs amis. Il a autant utilisé le mode libre, où il peut voir, suivre et dépasser d’autres cyclistes, que les séances d’intervalles qu’il a lui-même programmées. « Ça permet de faire du travail spécifique. »

Au fil des années, l’entreprise a aussi recréé des environnements inspirés d’épreuves connues, comme la mythique ascension de l’Alpe d’Huez ou des contre-la-montre du Tour d’Italie.

« Le seul parcours que je connaissais, c’est celui des Championnats du monde à Innsbruck [qu’il a disputés en septembre 2018]. Je pouvais savoir où je me situais comme si j’y étais en vrai, même si les graphiques ne sont pas les meilleurs. »

Le ressenti que tu as sur la plateforme par rapport à la route est quand même assez proche. Je trouve que c’est ce qu’il y a de plus réaliste en termes de vélo virtuel.

Hugo Houle

Houle est reparti en Europe le 31 décembre. Après un passage par son domicile, en France, il devait prendre la route de l’Espagne dans les derniers jours. Au terme d’un camp sous le soleil ibérique, il s’attaquera au Tour de Valence, du 5 au 9 février.

« Je suis convaincu que la compétition, ça reste sur la route. C’est différent de ce qu’on retrouve sur Zwift dans le sens où c’est plus stratégique et tactique. Ce sont des aspects que l’on développe avec les années dans le milieu professionnel. Zwift, c’est vraiment de la puissance pure et dure, et que le plus fort gagne ! Mais au Québec, ça permet de garder la forme l’hiver. »

Comment ça marche ?

Lancé en 2014, Zwift permet aux utilisateurs d’évoluer dans un univers 3D et de voir, sur un écran, les efforts déployés sur des rouleaux, mais aussi sur des supports d’entraînement classiques et interactifs.

Pour les supports classiques, les utilisateurs doivent préférablement se munir de capteurs de cadence, de vitesse et de puissance. Il est aussi possible de relier une ceinture cardiaque à l’application.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE ZWIFT

Un exemple du matériel permettant de s’entraîner sur Zwift

Les supports interactifs, bien plus chers, mesurent directement les données et permettent à Zwift d’adapter la résistance des pédales en fonction des reliefs. Par exemple, si la route s’élève sur l’écran, l’utilisateur sentira une résistance accrue.

Les rouleaux, finalement, nécessitent une certaine expérience puisque dans ce cas ce sont les deux roues qui tournent durant la séance virtuelle.

Zwift, qui nécessite un abonnement payant, fonctionne sur PC, Mac, iPad, iPhone et Apple TV. Il existe d’autres applications sur le marché comme Tacx Training, TrainerRoad, Bkool Indoor ou Velo Reality.

Un cas de dopage numérique largement médiatisé

Au mois d’octobre 2019, Cameron Jeffers a été dépouillé de son titre de champion britannique, condamné à une amende de 250 livres (425 $) et interdit de compétition pendant six mois.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @CAMERONJEFFERS

Cameron Jeffers 

La raison ? Il a tout simplement triché afin de débloquer plus rapidement un vélo virtuel, le Zwift Concept Z1, lui procurant un avantage en compétition. Jeffers, âgé de 20 ans, a utilisé un programme qui permettait à son avatar, faussement listé à 45 kg, de développer une puissance de… 2000 watts sur des distances de plus de 200 kilomètres. Seuls les sprinteurs peuvent approcher ce chiffre lors d’une course. L’Allemand André Greipel, par exemple, a développé une puissance de 1903 watts lors du Tour Down Under 2018.

« Ça le faisait pédaler à sa place, mais il a aussi pu accumuler beaucoup de mètres de dénivelé, précise la cycliste québécoise Olivia Baril. Sinon, c’est vraiment long pour débloquer ce vélo-là. Ça m’a pris un an. » Selon l’entreprise, il faut grimper 50 000 mètres, soit 5,5 fois le mont Everest, pour débloquer la monture de la discorde.

Des Championnats du monde

L’Union cycliste internationale (UCI) et Zwift organiseront les premiers Championnats du monde de cyclisme e-sport cette année. La date et le lieu de cette compétition virtuelle n’ont cependant pas encore été dévoilés. Ils ont également convenu de la tenue de 15 Championnats nationaux et de Championnats continentaux en guise de qualifications.

« Le cyclisme e-sport représente une formidable opportunité de développement pour le cyclisme, a estimé le président de l’UCI, David Lappartient. Il s’agit d’une nouvelle façon de pratiquer le cyclisme en pleine croissance, qui permet à davantage d’athlètes, débutants ou confirmés, de s’entraîner et de disputer des compétitions, quels que soient les conditions météorologiques extérieures et le lieu où ils vivent. »

Les deux parties ont également signé une entente permettant de créer « les conditions garantissant que la spécialité réponde aux critères d’intégrité et d’équité requis pour toute discipline régie par l’UCI ».