Chris Froome peut-il viser un cinquième sacre au Tour de France ? Le physiologiste montréalais Paulo Saldanha est persuadé que oui. Ça tombe bien, c’est lui, le nouveau coach du cycliste britannique.

Eurosport UK posait la question sur Twitter lundi : « Chris Froome peut-il gagner le Tour de France la saison prochaine ? »

Bradley Wiggins pense que oui. Dans son balado sur la chaîne britannique, le gagnant du Tour de 2012 a soutenu que son ancien coéquipier était en train « de redevenir le coureur qu’il était » au Tour d’Espagne. « Je crois encore qu’il lui reste un grand moment où il va briller. »

Lâché dès la première montée à la première étape de la Vuelta, son premier grand tour après ses terribles blessures subies en juin 2019, Froome a (un peu) repris du poil de la bête. Dimanche, il faisait le tempo pour son meneur Richard Carapaz dans l’avant-dernier col avant l’Angliru, comme il avait servi Wiggins dans les mêmes environs neuf ans plus tôt.

« Croyez-moi lorsque je dis que je suis loin d’être fini », a réagi Chris Froome après avoir pris connaissance des propos encourageants de son ancien chef de file.

Paulo Saldanha est bien d’accord. Ça tombe bien, le Montréalais de 57 ans sera le prochain entraîneur du célèbre cycliste, le plus grand spécialiste de course par étapes de sa génération.

À titre de directeur de la performance d’Israel Start-Up Nation (ISUN), Saldanha a été mêlé de près à l’embauche du Britannique de 35 ans, qui se joindra à la jeune formation à partir de l’an prochain. Les pourparlers, auxquels ont pris part le copropriétaire d’origine montréalaise Sylvan Adams et le directeur général Kjell Calström, se sont étendus sur presque deux mois.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Paulo Saldanha, physiologiste diplômé de l’Université McGill et nouvel entraîneur du cycliste Chris Froome.

« Chris a vu beaucoup de choses qu’il aime », affirmait Saldanha depuis sa résidence de Dunham, dans les Cantons-de-l’Est, la semaine dernière. « Il va jouer un rôle actif dans sa préparation cette année et l’année prochaine, mais il va aussi nous aider à améliorer l’équipe. Pas seulement avec ses capacités et sa puissance sur le vélo, mais dans tous les domaines. Nous sommes une équipe WorldTour, mais c’est une start-up. Ça veut dire qu’on a encore des choses à apprendre. »

Après des années de collaboration avec l’entraîneur Tim Kerrison chez Ineos (précédemment Sky), Froome met sa confiance en Saldanha, un ancien spécialiste de courses Ironman qui s’est fait connaître au Canada avec son système d’entraînement virtuel PowerWatts.

Physiologiste diplômé de l’Université McGill, le natif du Portugal a eu du succès en entraînant des cyclistes comme le Canadien Michael Woods (EF) et, depuis un an, l’Irlandais Dan Martin (ISUN). Les deux puncheurs de 34 ans ont chacun remporté une étape à la Vuelta. L’an prochain, ils retrouveront Froome avec Israel Start-Up Nation.

La résurgence de Martin, qui n’avait pas gagné depuis plus de deux ans, a représenté une belle carte de visite auprès de Froome, que Saldanha n’a pas encore rencontré en personne en raison des contraintes de la pandémie.

À l’occasion, tous les athlètes ont besoin d’un changement, d’une perspective différente comme entraîneur. Si ce n’était pas moi, ça aurait pu être quelqu’un d’autre. Mais c’était le temps de changer.

Le coach québécois ne voit qu’une différence dans le travail qu’il a déjà entrepris : le temps. Ce qu’il a baptisé le « projet Chris Froome » l’occupera trois fois plus qu’un coureur « normal ». Pour y parvenir, il a dû donner congé à une demi-douzaine de ses protégés actuels. En 2021, il se consacrera entièrement à Froome, Woods et Martin, en plus de ses fonctions à ISUN.

Froome arrive avec une aura et un palmarès inégalé dans le peloton actuel : quatre Tours de France (2013, 2015-2017), un Giro (2017) et deux Vuelta (2011 et 2017). Le natif du Kenya en impose : c’est lui qui a mené la courte grève au départ de la 11e étape après une embrouille avec les commissaires au sujet de l’arrivée de la veille.

Au cours d’une discussion, Saldanha a mis cartes sur table. « Chris est très puissant, il a beaucoup de pouvoir. Je lui ai dit : tu ne peux pas avoir un pouvoir qui peut m’intimider ou qui soit plus élevé que le mien. Tu dois comprendre que, de temps en temps, je vais dire : hé, Chris, ferme ta g… et fais ça ! C’est la seule façon dont il pourra s’améliorer et dont je pourrai avoir un impact sur lui. »

Sa réponse ? « Il m’a dit : absolument, je te fais confiance, Paulo. »

Une nouvelle recette

Le physiologiste entend appliquer la même recette éprouvée avec la structure privée B2dix, qui soutient les meilleurs athlètes olympiques canadiens. Il a donc réuni un escadron de spécialistes pour subvenir aux moindres besoins de Froome : physiothérapeute, préparateur physique, nutritionniste, etc.

Son mantra : travailler sur les faiblesses de ses protégés. Ses priorités pour le Britannique : physio et musculation.

Selon Saldanha, Froome est revenu trop rapidement à la compétition après avoir heurté un muret à 60 km/h lors d’une reconnaissance du contre-la-montre au Critérium du Dauphiné, le 12 juin 2019. Victime de fractures au fémur droit, au coude droit et aux côtes, il avait passé trois semaines à l’hôpital.

De retour au Tour des Émirats arabes unis, en février, il n’a pas atteint le niveau nécessaire pour être choisi dans l’équipe d’Ineos pour le Tour.

Saldanha a analysé les données des huit dernières années d’entraînement de Froome, ce qui représente 11 700 sorties et plus de 300 000 kilomètres. Son constat : le quadruple vainqueur du Tour n’a pas retrouvé son coup de pédale d’avant sa chute. « À mes yeux, c’est un gars qui avait besoin d’un autre trois mois de réadaptation. »

Le physiologiste note un écart important entre la puissance développée par la jambe droite et la gauche.

« Il y a un déséquilibre assez grave dans son coup de pédale. Ça veut dire que ce sont des muscles compensateurs qui le font pédaler. Il se fatigue donc beaucoup plus vite. […] Quand il est en forme, la différence entre la jambe droite et la gauche est peut-être de 15 watts. En ce moment, c’est 50 watts. C’est une grosse différence. »

Froome, qui conclura la Vuelta au 98e rang, à plus de 3 h 30 du gagnant présumé Primož Roglič, devra « peser sur le bouton reset » pour être en mesure de retrouver sa forme d’antan. Saldanha est convaincu qu’à force de travail, il pourra y arriver.

J’ai noté beaucoup de faiblesses chez Chris Froome comme cycliste. Aussitôt qu’on améliorera les deux premiers aspects – la rehab et le travail dans le gym –, on va commencer à travailler sur les faiblesses sur le vélo aussi. Mais si on travaille les faiblesses sur le vélo sans travailler les deux autres, il ne va jamais y arriver.

Paulo Saldanha, nouvel entraîneur de Chris Froome

Saldanha a déjà conçu le plan pour la prochaine année. Chose certaine, le kilométrage à basse intensité diminuera au profit des efforts en anaérobie, comme ce fut le cas pour Dan Martin.

« Les entraîneurs prennent souvent l’approche classique, où il faut rouler, disons, 5000 à 10 000 kilomètres en aérobie avant de vraiment commencer à ajouter de la qualité sur cette fondation. Ce n’est pas du tout mon approche. Je travaille les faiblesses en décembre, janvier, février, parfois même en novembre. C’est comme ça que j’ai monté le niveau de Mike Woods. On a énormément travaillé en qualité et en intensité. Ça a beaucoup aidé. Je pense que Chris va trouver qu’on va baisser un peu le volume de ses entraînements et en augmenter l’intensité pour aller chercher un peu plus dans sa courbe de puissance. »

Saldanha passera en revue tous les aspects de la préparation, de l’entraînement à l’équipement, de la nutrition à la programmation de courses. Froome conservera-t-il son pédalier ovoïde distinctif ? « Tout est sur la table, répond l’entraîneur. Si on voit que ça l’aide beaucoup, on le garde. Pour moi, les décisions sont basées sur la performance, pas sur le commanditaire qu’on a. »

Après une autre longue conversation avec Froome jeudi, Saldanha est parti pour l’Arizona vendredi. En plus d’évaluer de futurs prospects pour ISUN, il compte jeter les bases d’un stage de préparation pour le Britannique dans cet État l’an prochain. Les deux hommes doivent se rencontrer en Europe en décembre.

« Il ne me connaît pas du tout, mais la chose qu’il aime avec moi, c’est que je suis très ouvert et que ma méthodologie n’est pas typique, dit Saldanha. J’adopte une approche un peu “outside the box”. »

Le prochain Tour de France, dont le parcours a été dévoilé dimanche, promet déjà.