Après avoir franchi les deux tiers du parcours, le cycliste montréalais James Piccoli profite de l’expérience à la Vuelta, son premier grand tour. Dans les bons comme dans les moins bons moments…

James Piccoli n’avait pas choisi sa journée pour connaître un passage à vide au Tour d’Espagne.

Samedi, la 11e étape comprenait cinq cols répertoriés sur 170 kilomètres, 4600 mètres de dénivelé positif, dont une montée finale de près de 20 km jusqu’au sommet de l’Alto de la Farrapona.

Quand David Gaudu (Groupama) s’y est imposé, Piccoli était loin derrière dans un gruppetto. Le Montréalais de l’équipe Israel Start-Up Nation (ISUN) s’est accroché pour terminer dans les délais, au 130e rang, 35 minutes après le cri rageur du grimpeur français, qui soulignait ainsi sa première victoire dans un grand tour.

Au sommet, Piccoli s’est laissé choir dans la voiture d’équipe, patientant de longues minutes avant de pouvoir redescendre la route étroite qu’il venait de grimper à l’arraché. Il était sans voix, épuisé par deux semaines d’une course menée tambour battant depuis le départ. Des larmes ont commencé à couler.

À sa première expérience dans une course de trois semaines, Piccoli venait de « toucher le fond ». Paradoxalement, ce moment creux est aussi son fait saillant jusqu’ici dans l’épreuve espagnole.

L’athlète de 29 ans s’en est expliqué deux jours plus tard avec La Presse depuis La Corogne (nord-ouest), après être passé sur la table de massage à la deuxième journée de repos.

« J’ai juste commencé à pleurer un peu parce que je n’avais tellement rien [dans les jambes], j’étais tellement fatigué, il y avait tellement de stress de vouloir finir l’étape. J’avais juste tout, tout donné. »

Avant de commencer la Vuelta, j’avais dit que j’étais curieux de voir où était ma limite, pour pouvoir la surpasser. Je l’ai trouvée à la 11e étape.

James Piccoli

Après cette journée difficile, Piccoli a rebondi le lendemain, apportant sa contribution pour le positionnement de son chef de file Dan Martin, qui s’est arraché le cœur dans l’Angliru pour maintenir sa place parmi les meneurs au classement général.

L’Angliru, montée mythique avec ses 12,4 km à près de 10 % : moins de 24 heures après la brillante victoire du jeune Britannique Hugh Carthy (EF), Piccoli en conservait un souvenir émerveillé.

« C’est le col le plus difficile que j’ai jamais vu de ma vie, a-t-il témoigné. C’en est presque drôle : même les leaders en arrachent. C’est tellement dur. Il faut juste vraiment la grimper et ne pas mettre le pied par terre ! Quand on dit qu’il y a des sections de 20-25 %… Dans la pluie, je ne suis même pas certain que tout le monde se rendrait jusqu’au bout. Tes pneus perdent la traction. Mais la vue en haut, c’est super beau ! »

Les succès de Martin – victoire d’étape, 4e du général à 35 secondes du meneur, l’Équatorien Richard Carapaz (Ineos) – contribuent largement à l’expérience positive de Piccoli.

« Avec un leader comme lui et la forme qu’il démontre, c’est vraiment notre but d’obtenir un bon classement avec lui. À l’étape de Formigal [6e], j’ai fait le tempo pour Dan dans le peloton. C’était vraiment le fun de pouvoir se mettre à son service, de faire partie de la course. »

« Une question de temps »

Sur le plan individuel, Piccoli aurait aimé bénéficier de meilleures jambes depuis le départ à Irun, le 20 octobre. Au fil des deux premières semaines, il a cependant appris à ne pas se fier à ses sensations au lever pour prédire le genre de journée qui l’attend sur le vélo.

« Des fois, je me surprends. Je me réveille et je me dis : il n’y a aucune chance que je puisse faire une course aujourd’hui. Finalement, le corps s’échauffe et on trouve les jambes. Les autres journées, c’est l’inverse. C’est vraiment bizarre. »

Le gagnant du Tour de Beauce de 2018 est rassuré par les commentaires de ses coéquipiers et d’autres coureurs.

« Ils me disent de prendre ça mollo, de ne pas m’en faire. C’est mon premier grand tour, tout le monde a des journées difficiles dans un grand tour. Je pense avoir passé à travers mes pires journées. »

Là, je suis ici pour apprendre, prendre de l’expérience, faire chaque jour de mon mieux. C’est juste que des fois, mon mieux, ce n’est juste pas très bon !

James Piccoli

Paulo Saldanha, directeur de la performance d’ISUN, estimait la semaine dernière que Piccoli devait surtout savoir se montrer patient. Le natif de Mont-Royal, réputé pour son assiduité à l’entraînement, n’a commencé la compétition qu’au début de la vingtaine. Après trois saisons sur le circuit américain sous les couleurs d’Elevate-KHS, une formation continentale (troisième division), il découvre le WorldTour cette année.

« James, il veut que ça arrive tout de suite, observait l’entraîneur montréalais. Il commence à comprendre ce que ça prend [à ce niveau de compétition]. Les chiffres de James sont très, très forts. Mais il a un bout à faire par rapport aux aspects techniques, le positionnement, comment lire une course, toutes ces choses-là. Il est présentement à l’école pour ça. Ça va venir, c’est juste une question de temps, je l’espère. »

Avec les quatre premiers coureurs dans une fenêtre de 35 secondes, le classement général devrait se décanter mardi à l’occasion du seul contre-la-montre de la Vuelta, 33,7 km de Muros à Morado de Ézaro.

PHOTO ANDER GILLENEA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Primož Roglič

Le Slovène Primož Roglič (2e à 10 s), qui a un peu coincé sur l’Angliru dimanche, tentera de réasseoir son autorité sur la Vuelta, dont il est le tenant du titre. Et d’effacer, si possible, le cauchemar du chrono de la Planche des Belles Filles au Tour de France…

L’épreuve de mardi se termine d’ailleurs par un mur de 1,8 km très abrupt, de quoi raviver un mauvais souvenir. Piccoli se contentera de respecter les délais dans le but de reprendre un maximum de force en vue de la dernière semaine, où les kilomètres de plat se feront encore rares.

« Je suis content de mon expérience, même si je ne suis pas dans ma meilleure forme, a-t-il noté. Ça ne pourra jamais être plus difficile que ça. Mentalement, ce sera un gros boost pour l’an prochain. »