Lyne Bessette a eu Justin Trudeau au téléphone la semaine dernière. Le premier ministre du Canada souhaitait s’enquérir de la situation sur le terrain dans Brome-Missisquoi. Et prendre des nouvelles de sa députée recrue.

Au bout d’un moment, l’ex-cycliste s’est interrompue : « Excusez-moi, je ne voudrais pas prendre trop de votre temps. » M. Trudeau a répondu qu’il était tout à sa disposition. Finalement, l’entretien a duré 30 minutes.

« On a eu une bonne discussion. J’ai pu poser des questions. C’est un soutien que j’apprécie énormément », a raconté Lyne Bessette quelques jours plus tard.

Élue le 21 octobre sous les couleurs du Parti libéral, la double athlète olympique et championne paralympique vit tout un baptême politique. Après la crise ferroviaire, le gouvernement minoritaire doit composer avec une urgence sanitaire sans précédent.

Elle compte également sur l’appui de l’équipe de Pablo Rodriguez, lieutenant québécois et leader parlementaire.

« Des fois, tu te sens un peu toute seule dans une crise comme ça, qui est tellement grosse. Ils savent qu’on est de nouveaux députés. Je trouve ça le fun qu’ils prennent le temps de nous appeler. »

Changement de vocation

Depuis la suspension de la session parlementaire le 13 mars, Bessette exerce ses fonctions de sa résidence de Sutton. Assise devant deux cellulaires et deux tablettes numériques, elle répond aux questions de ses citoyens.

« La semaine passée, j’ai surtout essayé de sécuriser les gens qui étaient à l’extérieur et qui essayaient de rentrer. Ça ne fonctionnait pas et les gens paniquaient un peu. Ayant moi-même beaucoup voyagé, je comprenais la situation. J’essayais de les calmer, de les aider et les soutenir dans cette aventure plate-là. »

Elle l’avait déjà fait pour ses parents. Partis l’automne dernier avec leur roulotte, ils étaient à Puerto Vallarta, au Mexique, d’où leur fille les a rapatriés après avoir fait entreposer leur véhicule.

Ces temps-ci, elle a beaucoup de questions sur les programmes d’aide fédéraux. « C’est sûr qu’on n’a pas toutes les réponses. Souvent, on prend des notes et on leur revient avec ce qu’ils avaient demandé. »

Après pratiquement 30 ans dans le sport, Bessette a commencé à penser à un changement de vocation il y a quelques années. Pourquoi pas la politique ? « Je suis quand même assez Germaine, lance-t-elle. Au moins, je le dis ! »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Lyne Bessette au Tour du Grand Montréal en 2004

Elle a d’abord lorgné la mairie de Knowlton. Avec la fermeture du centre de ski alpin du mont Glen, où elle a effectué ses premiers virages, elle trouvait que son village natal manquait de « oumpf ».

Puis, elle a caressé l’idée de devenir douanière. Elle avait commencé ses cours préalables quand une porte s’est ouverte en politique fédérale.

C’est son implication dans le projet de vélodrome couvert à Bromont qui l’a menée sur cette piste un peu par hasard. Siégeant au conseil d’administration du centre national, elle a proposé de faire du démarchage à Ottawa.

« Les gens m’ont reconnue. D’abord comme athlète. Plusieurs m’ont félicitée pour ma carrière. Je ne suis pas arrivée là comme une nobody. […] J’ai trouvé ça super intéressant. Je me suis dit : je pourrais aider ma communauté. »

C’est un défi de vie. En même temps, c’est vraiment pour aider les gens qui m’ont suivie durant toute ma carrière. Ils ont mis des pancartes dans ma ville, sont venus me voir sur grand écran chez mes parents, m’ont suivie dans le journal. Ce serait à mon tour de les aider.

Lyne Bessette

Le projet s’est cristallisé quand le député sortant Denis Paradis, que Bessette connaissait bien, s’est retiré après 25 ans de politique active dans sa communauté. La recrue libérale s’est imposée après une lutte serrée avec la candidate bloquiste Monique Allard.

Première journée, premier mandat

À sa première journée à la Chambre des communes, le 5 décembre, Bessette a été parmi les premiers élus à se lever. Elle avait reçu le mandat de livrer « l’adresse en réponse au discours du trône » prononcé par la gouverneure générale, Julie Payette. Cette allocution traditionnelle d’une vingtaine de minutes est normalement dévolue à un nouveau député d’arrière-ban du parti au pouvoir.

Bessette a ensuite eu à répondre à cinq questions des partis de l’opposition. Ses collègues lui avaient dit de ne pas s’inquiéter.

« J’ai eu des questions quand même assez pointues ! dit-elle en riant. J’avais une liste de réponses, mais je ne l’ai pas du tout utilisée. J’ai juste répondu avec mon intelligence. J’ai ramené ça à mon vécu. Ç’a bien été. »

Elle admet en revanche que les premières sessions de débat traditionnel lui ont demandé de l’adaptation. « Après 30 minutes, je voulais sortir… Je me disais : ça n’a pas d’allure ! […] C’est le bordel, tout le monde s’écœure. » Avec le temps, elle a appris à travailler pendant les échanges en gardant l’oreille ouverte.

Le soir, elle rentrait vannée à l’hôtel. Elle a dû se discipliner un peu pour rester active. « Quand tu as été athlète, tu as cette force de caractère de te botter les fesses et d’y aller. »

Elle a commencé à courir le matin avec quelques collègues députés, dont l’ex-champion olympique de kayak Adam Van Koeverden, qui était avec elle à Athènes en 2004. Elle y retourne le soir lorsqu’elle n’est pas rassasiée.

À Sutton, elle est « équipée comme une professionnelle » : tapis roulant, simulateur de kayak, vélo relié à l’application d’entraînement Zwift. Sinon, elle jogge à l’extérieur sur ses chemins de terre ou les sentiers qu’elle aménage dans sa cour arrière.

Oui, on est députée, on est au service de la population. Mais si on n’est pas en santé physique et mentale, on ne fait pas une bonne job.

Lyne Bessette

Avec la pandémie de COVID-19, Bessette s’attend à devoir mettre une croix sur quelques projets de course, comme le tour du lac Brome, un évènement de vélo de montagne en Colombie-Britannique et un autre dans le Colorado. Pour le moment, l’évènement les 100 à B7, cyclosportive sur routes de terre qu’elle organise, est toujours à l’horaire le 27 septembre.

« Ça va être une année plus tranquille, mais c’est correct, constate la députée. Il faut que je réalise que j’en ai fait beaucoup. Ça va être plus lent pendant quelques années. Je n’ai plus vraiment d’objectif sportif, à part rester en forme. »

Reports des Jeux olympiques : « Je m’adaptais facilement »

Tout en sympathisant à la cause des athlètes touchés, Lyne Bessette pense qu’elle aurait pu composer avec un report d’un an des Jeux olympiques. « Mon entraîneur [Éric Van den Eynde] était toujours capable de ramener ça au positif. Il était tellement bon. Je me dis qu’on aurait trouvé une solution, on aurait changé le plan. […] Je m’adaptais facilement. Physiquement, les changements m’affectaient beaucoup moins [que d’autres]. J’avais toujours une forme à 95 % pour gagner. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas gagné de médaille olympique. Je n’étais jamais à 100 %, mais j’aurais pu compétitionner au niveau mondial n’importe quelle journée de l’année. […] Mais tu ne peux pas te permettre ça dans tous les sports et ce n’est pas tous les athlètes qui sont dans le même bateau. »