Evelyne Ward enfourche son vélo de montagne pour parcourir les 200 mètres qui séparent la maison familiale de son jardin. Quelques légumes, qui ne seront pas consommés, ont résisté au froid mordant du début du mois de novembre. En tout, elle cultive 48 espèces qu’elle distribue à la carte ou dans des paniers depuis quelques mois.

« J’ai travaillé là pendant tout l’été, dit-elle à propos de l’espace de 3000 mètres carrés. Pour une première année, on était vraiment bien équipés et ç’a été exceptionnel. »

Les parents de l’étudiante en gestion et technologies d’entreprise agricole ont acheté la ferme voisine l’an dernier. Ce sont 300 acres qu’ils doivent gérer et développer. Evelyne rêve de planter un verger, de faire son propre pain et de vendre ses produits dans un kiosque à la ferme.

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Evelyne Ward rêve de représenter le Canada aux Jeux olympiques.

Mais ses objectifs dépassent largement le cadre de cette ferme de Lingwick, dans les Cantons-de-l’Est. La « fille de campagne » de 18 ans a aussi participé à des projets avec l’équipe du Québec de vélo de montagne.

Malgré les obstacles qui se sont dressés, elle rêve de compétitions internationales, de championnats du monde et même de Jeux olympiques. D’où la présence de ce vélo identifié à son nom, qui tranche avec le reste des lieux.

« La ferme, ce n’est pas un plan B, distingue-t-elle. Je veux en devenir la gestionnaire. Même quand je vais être partie en compétition et en entraînement dans le Sud, en Europe ou en Australie, je veux toujours être au courant des choses. Ça va toujours me suivre tout au long de ma carrière de vélo et de ma vie. »

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Depuis le début de l’école secondaire, Evelyne Ward est connue comme « la cavalière à deux roues » dans son coin de pays. Le surnom, trouvé par le concierge de l’établissement, témoigne de la passion qu’elle entretient depuis toujours pour les chevaux et le vélo de montagne.

Elle s’est certes parfois éloignée de sa monture à deux roues depuis ses débuts, il y a huit ans, mais elle a toujours fini par y remonter. Sa passion l’a accompagnée dans des moments particulièrement graves.


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Evelyne Ward est étudiante en gestion et technologies d’entreprise agricole.

« Je me suis fait agresser sexuellement quand j’étais jeune et le vélo m’a permis d’en parler, illustre-t-elle. Ça fait juste deux ans que j’en ai parlé. Grâce au vélo, j’ai pu me retrouver et me développer comme personne, autant mentalement que physiquement. Le vélo m’a poussée vers l’avant. »

À ce propos, ses parents disent que leur fille possède neuf vies. L’été 2017, « vraiment lourd » pour l’Estrienne, n’a fait que valider cette affirmation et montrer sa capacité à aller de l’avant.

Lors d’un entraînement sur la route 108, au mois de juillet, elle a été heurtée par un véhicule utilitaire sport. Dans les circonstances, elle s’en est très bien sortie malgré les nombreuses séances de physiothérapie qui ont suivi.

« J’ai quitté l’hôpital la soirée même, mais je n’étais pas capable de bouger. J’étais très, très raquée. Le lendemain, au réveil, j’ai dit à ma mère : “Je ne pensais pas que les nuages étaient aussi durs.” Je ne croyais pas être encore vivante.

« Après mon accident, ça m’a pris au moins deux ou trois semaines avant de retourner sur la 108. Mais j’y vais maintenant avec mes lumières et tout le reste. Ça ne m’a pas arrêtée de faire du vélo, même si c’est une route remplie de camions. »

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« Le vélo m’a poussée vers l’avant », dit Evelyne Ward.

Un mois plus tard, la douleur émotive a succédé à la douleur physique. Sa marraine (« Une personne très significative pour moi ») a été retrouvée morte dans une chambre d’hôtel à Cayo Largo (Cuba). « Avec toutes ces péripéties, je n’avais plus de batterie. Ma forme s’était dégradée, mes performances et mon classement n’étaient pas bons. Ça n’allait plus bien », raconte-t-elle.

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Après son année 2017 difficile, la jeune femme a eu besoin de faire une pause. Elle l’a prise le printemps suivant après avoir disputé, coup sur coup, la Coupe du Canada en Colombie-Britannique et la US Cup chez les juniors, en Californie. Durant cette parenthèse, elle a tout de même continué à faire un peu de vélo, en plus de la course à pied et du CrossFit. Elle est aussi entrée au cégep de Sherbrooke.

« Je suis restée active, mais cette pause m’a permis d’avoir une année plus relaxante. Finalement, c’est revenu tout seul. »

Ce sport fait partie de qui je suis, et lorsque je le pratique avec intensité, je me sens entière et animée. Ma vie prend tout son sens et l’équilibre se révèle.

Evelyne Ward

Cet été, après une compétition à Sherbrooke, elle a recommencé à s’entraîner sérieusement sous la supervision d’un entraîneur personnel. Rapidement, elle s’est lancé le défi de participer aux Championnats du Québec, au Mont-Saint-Anne, au début du mois de septembre.

« Ça faisait un an et demi que je ne m’étais pas entraînée, mais ma forme a triplé en l’espace de quelques semaines. La première journée [au Mont-Saint-Anne], j’ai gagné la médaille d’argent à l’épreuve de XCE, soit des sprints. Le lendemain, j’ai pris la cinquième place de celle de XCO. Ces résultats ont été magiques. »

L’année 2020 sera aussi particulièrement importante dans le cheminement de la jeune femme, qui rêve de faire sa place sur la scène nationale et internationale.

« Mes objectifs, ce sont le championnat québécois, le championnat canadien, les Coupes Québec et les Coupes Canada. Je souhaite être ajoutée sur la liste des athlètes identifiés, ce qui me permettrait d’être reconnue par l’équipe nationale du Canada. J’espère ensuite participer aux Jeux du Canada en 2021, puis représenter le pays aux Championnats du monde et aux Jeux olympiques. »

La cavalière devenue « fermière à deux roues » voit loin, très loin, sans perdre de vue son jardin…