La journée à vélo est déjà bien entamée, plus d'une centaine de kilomètres, lorsque le premier ravitaillement se profile à Frelighsburg. Jessica Bélisle ne s'y arrête que cinq minutes et remonte sur sa selle afin de poursuivre son troisième brevet qualificatif pour la course d'ultradistance Paris-Brest-Paris.

L'épreuve de 1200 km, qui a lieu tous les quatre ans, la fascine depuis longtemps. Mais au coeur de cet aller-retour entre Longueuil et Sutton, la jeune femme dit stop. Stop à la pression qu'elle s'inflige, stop aux multiples contraintes de la discipline et stop aux itinéraires à suivre scrupuleusement dans un temps déterminé. À cet instant, elle comprend qu'elle a perdu l'essence qui la poussait à rester des heures et des heures sur un vélo. Elle a perdu sa motivation et sa liberté, en quelque sorte.

« Le point de ravitaillement n'est pas sur le tracé GPS. En repartant, il faut savoir par où se diriger. Je suis donc allée dans une direction et je n'ai jamais vu que mon GPS était hors circuit, raconte-t-elle. En n'ayant aucun signal sonore quand je roulais, je me disais qu'on n'avait pas à tourner. »

« À un moment donné, j'ai vu que ça faisait un bout que je n'étais plus sur la bonne route, mais je trouvais ça de valeur. J'avais beaucoup de fun, je ne réfléchissais plus à rien, à part pédaler et m'amuser. »

- Jessica Bélisle

Elle fait demi-retour, revient au point de contrôle et appelle ses parents. Elle explique la situation et la réflexion qu'elle « n'osait pas faire » même si le sujet était plusieurs fois revenu sur le tapis. Les signes avant-coureurs étaient bel et bien là. Chaque fois, elle se disait : « La prochaine, c'est la dernière. » Mais au fond d'elle, la flamme pour l'ultracyclisme, de façon contrôlée, s'était déjà éteinte. Le Paris-Brest-Paris ? Elle n'a même plus envie de passer au travers du processus.

« J'ai dit à mes parents que j'étais vraiment tannée et je leur ai posé la question : "Est-ce que je peux abandonner ?" Ils m'ont dit : "Ben oui, pourquoi tu ne pourrais pas ?" La pression est vraiment retombée à ce moment-là. »

Elle remonte sur sa monture, traverse la campagne montérégienne et retourne à Longueuil après une balade de 225 km. « J'ai profité de la belle journée », résume-t-elle.

Une passion intense

Jessica Bélisle a découvert le vélo et l'ultracyclisme à la mi-vingtaine. Au fil des années, elle a multiplié les aventures et les défis. Elle a, par exemple, traversé le Canada à plusieurs reprises et terminé l'Ultra Revival Tour, dont le parcours de 2400 km suivait celui de la première édition du Tour de France. Sur son vélo stationnaire, elle a également battu plusieurs records d'endurance.

Mais, c'est bien connu, chaque médaille a son revers. Ces réussites s'accompagnent de longues d'heures d'entraînement et de sacrifices en tout genre. Il fallait caser cette activité dans un horaire chargé qui comprend, entre autres, un poste d'enseignante à temps partiel au cégep et au secondaire. Elle espère également écrire un livre.

« On est un peu dans la glorification du surmenage et ça m'a frappée, récemment, quand j'ai lu un article sur ce que je faisais. Il y avait le travail, les études et l'entraînement... »

- Jessica Bélisle

« J'étais essoufflée à le lire et je ne pouvais pas croire que je faisais tout ça en même temps, reconnaît-elle. C'est vu d'une façon positive d'être occupé, mais à un moment donné, j'avais le sentiment de perdre l'essentiel. »

L'essentiel, c'est le plaisir et l'atteinte d'un certain équilibre qu'elle a perdu au fil du temps. Elle rêve d'exploiter ses temps libres et de ne plus culpabiliser quand elle ne roule pas 1000 km par semaine. Elle rêve de diversifier ses activités : « En écoutant ce que je veux faire et non pas ce que je devrais faire. »

Elle s'est découvert un intérêt pour le triathlon il n'y a pas si longtemps et participera d'ailleurs au TriMemphré au mois de juillet. Avant cette échéance, elle s'élancera sur l'Ultra-Trail Trans Percé 50.

« J'ai dû mettre de côté d'autres passions pour faire le plus de kilomètres à vélo. En parlant avec d'autres participants, je me suis rendu compte que la plupart n'avaient que le vélo comme passion. Moi, quand je pédalais, je me disais que j'aimerais peut-être ça, aller courir, nager ou même ne rien faire. Je me culpabilisais de cette situation-là. »

Jessica Bélisle a fait part de sa réflexion sur sa page Facebook mercredi après-midi. Les messages ont commencé à affluer sous sa publication et dans sa messagerie privée. Elle ne s'attendait pas à autant de réponses positives.

« J'ai beaucoup d'amis qui m'ont écrit ou ont commenté et j'ai compris qu'ils étaient préoccupés que je sois toujours à 110 % partout. Là, je me donne enfin le droit de respirer et de me laisser guider sans savoir ce qui s'en vient. »

Et sans tracé GPS à suivre...