(Drummondville) Le cycliste Hugo Houle dispute cette semaine le Critérium du Dauphiné, la grande épreuve préparatoire au Tour de France. La Presse l’a rencontré chez lui à Drummondville le mois dernier pour parler de vélo, de course et de la vie.

À notre dernière visite, en 2015, Hugo nous avait reçus à la résidence familiale de Sainte-Perpétue, son village natal à la croisée de deux rangs, près de l’autoroute 20, à la hauteur de Notre-Dame-du-Bon-Conseil.

« L’an prochain, je serai au Tour de France », avait-il affirmé d’un ton convaincu en gonflant les pneus de son vélo. Il portait alors un maillot AG2R La Mondiale, équipe française avec laquelle il venait de signer une prolongation de contrat de deux ans.

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À 28 ans et à sa neuvième saison professionnelle, Hugo Houle a pris part à presque toutes les épreuves de prestige : Jeux olympiques, championnats du monde, Tours d’Italie et d’Espagne, Milan-San Remo, Tour des Flandres, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège.

Près de quatre ans plus tard, Hugo Houle nous accueille à Drummondville, où il vit maintenant avec sa copine dans un quadruplex qu’ils se sont fait construire.

Le quartier est neuf et les immeubles se ressemblent tous. Dans le stationnement, la voiture du cycliste, gracieuseté d’un concessionnaire local, se distingue avec ses quatre supports à vélo sur le toit et sa peinture aux couleurs d’Astana, sa nouvelle formation kazakhe depuis l’an dernier.

Dans l’entrée, au pied de l’escalier, on doit contourner le rutilant vélo Argon 18 qui attend son propriétaire pour sa sortie d’entraînement quotidienne. Dans la salle à manger, Houle conclut une rencontre avec son conseiller en placements. Il vient d’acheter un quintuplex et vérifie les possibilités d’assurance vie et invalidité.

« Je prépare ma retraite, annonce-t-il. C’est bien beau, le vélo. À 35 ans, ça va être fini. Après, je devrai vivre. Je ne connais pas l’avenir, mais si ma retraite est organisée et que j’ai juste à me nourrir, ça fera ça. »

Barista à ses heures, Houle sert l’expresso avant de s’attabler pour l’entrevue. Sujet principal : le Tour de France. Malgré sa conviction de 2015, il n’y a pas encore participé.

Le rêve du Tour de France

À 28 ans et à sa neuvième saison professionnelle, il a pris part à presque toutes les épreuves de prestige : Jeux olympiques, championnats du monde, Tours d’Italie et d’Espagne, Milan-San Remo, Tour des Flandres, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège. Sans en faire une obsession, il sait cependant que sa carrière ne sera pas complète tant qu’il n’aura pas posé les roues à la plus grande course cycliste du monde. Surtout aux yeux des non-initiés, pour qui le maillot jaune fait foi de tout.

À l’adolescence, Houle ne rêvait pas du Tour de France. Chaque matin du mois de juillet, il suivait l’étape du jour avec son frère Pierrik dans le salon à Sainte-Perpétue. « J’écoutais ça avec ma passion, mais je ne me voyais pas là », se souvient-il.

Luis Leon Sanchez figurait parmi les cyclistes favoris des deux frangins : « C’était un coureur agressif. Je me rappelle encore ses échappées de fou chez Rabobank. Mon petit frère et moi, on criait : “Envoye, Luis Lé !” »

Au retour d’une course, Houle a pu raconter l’anecdote au vétéran espagnol, un coéquipier chez Astana. « Il trouvait ça drôle ! Luis, c’est comme un modèle. Il est tellement discipliné, travaillant, minutieux. Le genre à manger un bol de pâtes blanches et trois morceaux de poulet pendant trois semaines. Et le poulet aura toujours le même poids. Il y a un respect dans l’équipe pour un gars comme ça. »

Si tout se déroule comme prévu, Sanchez et Houle disputeront le Tour de France ensemble en juillet. Le Danois Jakob Fuglsang, récent vainqueur de Liège-Bastogne-Liège, les frères espagnols Ion et Gorka Izagirre, Omar Fraile et Magnus Cort, gagnants d’étape l’an dernier, et le champion kazakh Alexey Lutsenko sont les autres candidats pressentis pour Astana, selon le Québécois. Tous des poids lourds, pratiquement indélogeables.

« Je sais qui va aller chercher les bouteilles ! s’esclaffe Houle, qui se fait une fierté de servir avant tout les intérêts collectifs. Les leaders savent que je ne vais pas essayer de leur voler la vedette en allant prendre une étape ou en faisant mes échappées parce que ça me tente d’être vu à la télé. »

Cette abnégation a rapidement retenu l’attention des patrons d’Astana, qui le connaissaient très peu quand il s’est amené l’an dernier. De prime abord, il pouvait être perçu comme une caution locale pour les partenaires québécois Argon 18 et Premier Tech.

« C’est sûr que les attentes n’étaient pas élevées », reconnaît Houle, qui en a reçu la confirmation de la bouche même du manager Alexandre Vinokourov au cour d’une rencontre en marge du Tour des Flandres, au début d’avril. Les deux hommes en ont profité pour jeter les bases d’un nouveau contrat de deux ans qu’ils devraient sceller en août.

« Par la nature de mon travail, ce n’est pas moi qui flashe sur les fiches de résultats. Une fois entré dans une équipe, c’est : “Ah oui, il fait ça, lui, il ne fait pas de vagues, mais il fait sa job.” J’ai bien plus de valeur auprès de mes pairs que ce qu’on peut penser de l’extérieur. »

Grégaire de nature, le Canadien a tissé des liens avec plusieurs de ses coéquipiers dont Fuglsang, le chef de file annoncé d’Astana pour le Tour. Ça aussi, ça compte.

« On a des affinités, on partage des passions. À table, pendant trois heures, on parle d’autre chose que de bicycle. On discute de ce que j’ai lu dans La Presse le matin, de bouffe, de n’importe quoi. C’est le fun de côtoyer des gars qui ont un peu de culture. Jakob, c’est un vite. »

En mission

Sans être dans les plans l’an dernier, Houle est passé à un cheveu d’obtenir l’invitation tant attendue pour le Tour. Cette année, son programme est construit en fonction de la Grande Boucle. Il sort d’un stage en altitude à Tenerife, aux îles Canaries, avec le reste de l’effectif d’Astana prévu pour le Grand Départ à Bruxelles, le 1er juillet. En 11 jours, il a parcouru 1450 km et grimpé 31 357 m.

Cette semaine, il s’aligne sur le Critérium du Dauphiné pour renouer avec Fuglsang, avec qui il n’avait pas encore couru cette saison.

« Je pars en mission jusqu’au Tour ! », a annoncé Houle avant d’enfourcher son vélo pour aller rouler dans «  [s]es champs de blé d’Inde » autour de Drummondville. Plus que jamais, il touche à son but.

Aux portes de l’histoire

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Hugo Houle

La participation de David Veilleux au Tour de France en 2013 a presque « normalisé » cet exploit. Le cycliste de Cap-Rouge n’était que le deuxième Québécois à y accéder depuis Pierre Gachon en 1937.

Veilleux avait scellé sa place en remportant en solo la première étape du Critérium du Dauphiné et en portant le maillot jaune de meneur pendant trois jours.

« On parle beaucoup du Tour, mais ce qu’il a fait au Dauphiné, on n’est pas près de revoir ça, souligne Hugo Houle. Gagner dans une échappée comme ça, il faut être costaud. Il y en a qui n’ont pas compris ! Il a lâché Tony Martin à la pédale. C’était du grand David. Respect pour ce qu’il a fait. »

Depuis, seul Antoine Duchesne, coloc de Houle dans le sud de la France, s’est joint au groupe des cyclistes québécois au Tour en 2016.

Marquer l'histoire

Si son souhait se réalise en juillet, Houle deviendra donc le quatrième. Il serait cependant le tout premier Québécois à s’aligner sur les trois grands tours puisqu’il a déjà couru le Giro à deux reprises (2015 et 2016) ainsi que la Vuelta l’an dernier.

« On est tellement peu dans le vélo qui avons réussi, relève-t-il. Ça démontre que ce n’est pas facile. Tant mieux si je peux marquer l’histoire. Mais au bout du compte, je le fais pour moi. »

Houle s’estime « très chanceux » de pouvoir compter sur l’appui d’une copine « très généreuse », qui parfois ne le voit pas pendant trois mois.

Stéphanie Matteau travaille comme comptable à Drummondville. Elle-même athlète accomplie, elle s’adonne aux triathlons demi-Ironman. D’où le vélo de contre-la-montre et le tapis roulant qui occupent une pièce du condo.

« Elle s’entraîne fort, autant que moi, dit Houle, soulignant qu’elle était partie nager à 5 h 30 ce matin-là. Elle comprend mieux quand je vais rouler six heures un dimanche. Elle fait quatre heures avec moi, ça fait qu’elle m’attend moins longtemps ! »

Programme intensif

Après l’interview et les photos, le cycliste d’Astana s’est lancé pour une séance de cinq heures, direction Richmond, en Estrie, où le terrain est plus ondulé. Son nouvel entraîneur espagnol Arritz Arbera lui avait prescrit une jolie série de six efforts de six minutes, découpés comme suit : 40 secondes à 390 watts, 20 secondes à 490 watts et un sprint de 10 secondes. Et rebelote. « C’est une tuerie, ça ! », a résumé Houle.

Malgré le temps maussade, il est parti avec sa bonne humeur habituelle. Ces longues heures sur son vélo, il les chérit : « Quand je suis en Europe, loin de ma famille, je fais six heures dans la pampa, personne ne sait où je suis. Un col, deux cols, trois cols, à me parler tout seul, c’est cet effet de liberté, de tranquillité, que je recherche. »

Une quiétude qu’il est prêt à mettre en veilleuse pour trois semaines de folie en France le mois prochain.

« Pendant un an, je n’étais pas moi-même »

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Hugo Houle

Le 21 décembre 2012, Hugo Houle revenait de son premier camp d’entraînement avec AG2R La Mondiale quand son frère Pierrik, 19 ans, s’est fait heurter mortellement par un chauffard ivre pendant qu’il joggait dans le village de Sainte-Perpétue.

Malgré la tragédie, Hugo a trouvé la force de disputer sa première saison en Europe. « Pendant un an, je n’étais pas moi-même, précise-t-il. J’allais m’entraîner, mais je n’avais plus envie de pousser. Pourquoi je fais ça ? »

Il évoque une « mini-dépression » dont il a souffert des conséquences autant physiques que morales.

« J’avais très mal au visage. Comme une sinusite. Je me levais le matin et ça me faisait mal tout le tour des yeux. Ça a duré presque six mois. »

Les médecins n’ont rien décelé. « Ça fait partie de la game. »

« Quand tu es en dépression, tout est dur. Tranquillement, tu te refais. Mais c’est un choc. Je n’ai jamais rien vécu d’aussi intense de toute ma vie. » — Hugo Houle

« Je suis un gars bien simple, tout le temps heureux, ajoute Hugo. Tu me mets dans un champ à ramasser des carottes, je trouve mon bonheur. J’apprécie les belles choses et mon confort de vie, mais aujourd’hui, je trouve mon bonheur dans la simplicité. »

Persévérer

Il a appris à composer avec l’absence de son frère. Les anniversaires et Noël sont des moments plus difficiles à passer. Il est aussi plus sensible aux drames rapportés dans les médias.

« Ça te change à tout jamais. Ta perspective de la vie n’est plus la même. Ça te fait réfléchir. Tu en sors plus fort, mais il faut que tu passes au travers. Il y en a que ça détruit, qui ne s’en remettent pas. Ma famille et moi, on vit bien avec ça. Mais ça casse son homme, c’est certain. La seule chose que je peux dire aux gens, c’est qu’il faut persévérer, comme pour tout dans la vie. À un moment donné, le soleil revient. »

En course, Houle porte toujours une croix que lui a offerte l’ex-coureur et homme d’affaires Louis Garneau. Elle avait été bénie à l’époque par feu le père Jean-Marc Boulé, ancien directeur général du séminaire Saint-François. En 2007, ce dernier avait présidé aux funérailles d’Alexandre Morin, ce jeune cycliste-joggeur retrouvé mort dans la neige au bas d’une falaise à Québec.

« Chaque fois que je prends le départ, je pense à ma croix et je dis : garde-moi sur le bike ! »

Six ans et demi après la mort de Pierrik, Hugo Houle rêve de remporter une étape en son honneur au Tour de France. En souvenir « des moments où on était ti-culs à le regarder à la télé dans le salon à Sainte-Perpétue ».