Les lilas ne sont pas encore sortis ici, mais le 96e Tour d'Italie commencera quand même aujourd'hui à Naples. Premier cycliste canadien gagnant d'un grand tour, Ryder Hesjedal s'élancera avec le dossard 1 dévolu au champion en titre. Ce qui n'en fait pas le favori pour autant. «Je pourrais peut-être courir mieux que l'an dernier et ne pas gagner», prévient-il, réaliste. Peut-il encore causer la surprise et se draper du maillot rose à Brescia dans trois semaines? Entretien avec un athlète très confiant à quelques jours du départ.

Il manquait un chiffre au numéro de téléphone que m'avait transmis la relationniste. La confusion a entraîné un retard de 15 minutes pour le rendez-vous téléphonique pris avec Ryder Hesjedal. Il était en plein Tour de Romandie, à une semaine de partir à la défense de son titre au Tour d'Italie. Je m'attendais à un peu d'irritation, sinon une certaine impatience. Finalement, non.

Difficile de trouver plus détendu dans les circonstances. Gagner la deuxième course cycliste en importance n'a manifestement pas changé Hesjedal. Toujours aussi poli, pas plus loquace.

Le cycliste originaire de Victoria s'en tient aux faits. La pression? Bof. «Je suis relax, heureux de ce que j'ai accompli, se contente-t-il de noter. J'ai déjà gagné le Giro. Je présumerais que ceux qui courent après, qui se placent dans cette situation, ressentent plus de pression.»

Une allusion à peine voilée à Bradley Wiggins. Après sa démonstration écrasante au Tour de France, l'été dernier, il débarque en Italie avec le statut d'immense favori. Le Britannique a la pression de gagner, mais aussi celle de démontrer à ses patrons de l'équipe Sky qu'il ferait un meilleur leader que son dauphin et coéquipier Chris Froome au prochain Tour. Wiggins a déjà foutu le bordel avec une déclaration à double sens en début de semaine.

Hesjedal, lui, est bien en selle chez Garmin-Sharp, dont il est l'un des huit membres originaux. Il connaît bien Wiggins pour l'avoir épaulé sur le Tour 2009. Après s'être révélé avec une quatrième place, Wiggins avait claqué la porte de Garmin pour joindre la Sky en devenir.

Hesjedal ne voit pas d'avantages particuliers à bien connaître son principal rival. «Il sait ce que ça prend pour gagner un Grand Tour et je crois qu'on a un grand respect mutuel comme coureurs sur la route, dit-il, circonspect. Mais ça ne change pas grand-chose que je le connaisse comme coureur. Je fais ce que j'ai à faire pour le battre, mais il n'y a pas que lui.»

Il y a également Vincenzo Nibali, grand espoir des tifosi, ancien gagnant de la Vuelta, troisième sur la Grande Boucle l'an dernier.

Dans les médias, il n'y en a presque que pour Nibali et Wiggins. Hesjedal est inclus dans le lot des prétendants, mais on sent une réserve. Comme si sa victoire de l'an dernier, devant le numéro un mondial Joaquim Rodriguez (absent cette année), avait été une sorte d'accident provoqué par l'incurie de ses rivaux, qui ne se seraient pas méfiés à temps.

«Je ne me soucie pas vraiment de ce que n'importe qui peut dire», rétorque le cycliste de 32 ans, sixième du Tour de France 2010. «J'ai gagné le Giro l'an dernier. Je suis certain que mes rivaux en sont conscients et me respectent. On ne peut pas vraiment contrôler ce que pense la presse ou ce qu'ils veulent dire. Au nombre de fois où le favori unanime de la presse gagne la course, on voit que ça n'a pas d'influence sur le résultat.»

Confiant et relax

Discret en Romandie, où il a abandonné la veille de l'arrivée comme il l'avait prévu, Hesjedal est conforté par sa performance précédente dans les Ardennes, où il a été constamment au premier plan. Il a été particulièrement impressionnant à Liège-Bastogne-Liège, où son attaque solo a ouvert la voie à la victoire de son coéquipier Dan Martin.

«Ça m'a gonflé à bloc. Je courais contre des gars qui étaient pratiquement au sommet de leur forme», a souligné celui qui se dit plus léger de 2 kg. «Quand je suis à l'avant comme ça, avec un but plus important cette année, c'est clair que je suis satisfait. Je suis en avance sur l'an dernier à bien des égards.»

Gage de son état d'esprit, Hesjedal s'est même laissé pousser une «barbe des séries». «Ah, ça, c'est juste être moi-même... J'avais envie d'être relax. Un peu de poil au visage n'a jamais fait mal à personne.» Il se promettait quand même de se raser de près pour le départ aujourd'hui.

L'Espagnol Miguel Indurain est le dernier gagnant de deux Tours d'Italie consécutifs (1992 et 1993). Hesjedal sera-t-il le prochain?

«Je me concentre seulement à être le meilleur coureur possible et puis ne pas vraiment me soucier du résultat, soutient-il. Ce n'est pas mon style. Ça ne veut pas dire que je ne veux pas gagner. Je pense l'avoir démontré l'an passé. Au bout du compte, ça reste seulement de la course à vélo. Ce n'est pas la fin du monde si ça ne tourne pas de la bonne façon.»