À le voir, comme ça, il a l'air plutôt sympa. Il sourit tout le temps, se montre affable et vous tape même dans le dos. Mais il ne faut pas s'y fier. Charles Bernard Ecclestone- dit «Bernie» - dirige la F1 avec une poigne de fer. Clairvoyant, brillant, souvent cassant, on réalise vite qu'il vaut mieux ne pas compter parmi ses ennemis.

Q - Tout le monde se demande ce qui se passera quand vous ne serez plus là. Avez-vous préparé votre succession ?

R - Je ne crois pas que quelqu'un me remplacera et fera ce que je fais. Je suis parti de rien et j'ai monté tout le système, morceau après morceau, en créant plusieurs sociétés. Je présume qu'il y aura donc plusieurs personnes responsables de ces sociétés, qui viendront avec leurs propres idées. Et qui feront probablement mieux que moi, qui sait ?

Q - Normand Legault affirme payer l'un des tarifs les plus faibles que vous ayez jamais accepté. Pourquoi paie-t-il moins cher que d'autres pour un Grand Prix ?

R - C'est vrai, c'est le contrat où nous gagnons le moins d'argent. En fait, j'essaie de monter des saisons avec des Grands Prix qui ont une importance stratégique pour les constructeurs, pour les commanditaires ou pour n'importe quelle autre bonne raison. Le Canada, c'est un pays intéressant pour nous. C'est pourquoi je tiens à avoir un Grand Prix au Canada. Et c'est pour m'assurer de l'avoir que j'accepte un prix moins élevé.

Q - Avez-vous des projets pour organiser un Grand Prix ailleurs qu'à Montréal ? Par exemple à Toronto, ou à Vancouver ?

R - Je n'en sais rien. Pour ça, il faut que vous posiez la question à Normand. C'est son problème, pas le mien.

Q - Et les États-Unis ? On arrête pas d'entendre des rumeurs à propos d'un Grand Prix à Las Vegas, par exemple.

R - Oh, Las Vegas. Je vois passer des projets depuis des années, peut-être même depuis le dernier Grand Prix à s'être tenu là-bas, en 1982... Le problème avec les Américains, c'est qu'avant toute chose, ils veulent la garantie de réaliser un bénéfice. C'est un point de vue et, après tout, ça ne me pose aucun problème. Nous avons un produit et nous le vendons. S'ils pensent qu'ils ne parviendront pas à en tirer un bénéfice, que puis-je y faire? Vous savez, les États-Unis, c'est un drôle de pays. Le produit des ventes de billets, d'une manière générale, y est nettement plus faible qu'en Europe et c'est même l'un des plus faibles du monde. Les commanditaires, eux aussi, paient des montants nettement moins élevés qu'ici. Et ils ont beaucoup de courses de toutes sortes, là-bas. Leur marché est à peu près le même que le marché européen, mais ils sont en quelque sorte dans leur propre monde. Leurs courses peuvent être fantastiques, mais nous avons plus de gens qui regardent le Grand Prix d'Allemagne, par exemple, qu'eux n'ont de téléspectateurs lors de leur meilleur audience de la saison. Nous avons plus de monde pour chacune de nos épreuves. Alors je ne sais pas, vraiment je ne sais pas. Les États-Unis, c'est vraiment un pays difficile à comprendre.

Q - Ces patrons d'écurie qui vous critiquent vous doivent pourtant beaucoup...

R - Oui. Les millionnaires en F1, c'est moi qui les ai fait. Tous.

Q - Revenons au Canada. L'avenir du Grand Prix est-il assuré sur le long terme ?

R - Mmmh, à vrai dire, Montréal, c'est l'un de ces circuits qui commencent à montrer des signes de vieillesse. Le centre de presse, comme vous le savez, est une antiquité. Ils essaient de rester dans la course en adaptant leur circuit par petites retouches, année après année. Mais ce que nous allons peut-être devoir faire, c'est les forcer à faire un grand saut pour s'aligner sur les standards actuels.

Q - Apparemment, le contrat avec Normand Legault court jusqu'en 2011, mais il ne précise pas que le Grand Prix du Canada doit avoir lieu à Montréal...

R - C'est exact.

Q - Et comment voyez-vous la F1 dans 10 ou 20 ans ?

R - Mais je n'en sais absolument rien. Si vous m'aviez posé la question il y a 10 ans, j'aurais été incapable de vous décrire ce qu'elle est aujourd'hui. J'essaie simplement d'améliorer les choses, de retoucher chaque détail, l'un après l'autre. Je ne pense pas qu'il y aura de révolution.

Q - Le conflit qui vient de se terminer avec les constructeurs ne visait, finalement, qu'à prendre votre place. Du coup, quels sont vos rapports avec les patrons d'écurie qui menaient le putsch ? Flavio Briatore, par exemple ?

R - Flavio, ça va. Il ne me critique pas trop...

Q - Vraiment ? Il dit que vous êtes trop vieux et que vous devriez partir...

R - (Il rit) Oh, ce n'est rien, ça. Flavio et moi, nous sommes bon amis.

Q - Lesquelles ?

R - Ne comptez pas sur moi pour vous le dire (petit sourire en coin).

Q - Est-ce que vous aimez la F1 telle qu'elle se présente aujourd'hui ?

R - Bien sûr que je l'aime et que j'aime ce boulot! Je n'ai pas besoin de faire ce que je fais pour gagner ma vie. Si je suis là, c'est que j'aime ça. Je n'ai aucun hobby. En dehors du travail, je me consacre surtout à ma famille, à ma femme et mes deux filles. Cela dit, pour répondre à votre question... évidemment, la F1 d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a 30 ans. Le paddock est moins sympa, il y avait plus d'ambiance, plus de filles. Mais que puis-je y faire?

Q - Quand vous regardez une course à la télévision, le spectacle vous convient-il ?

R - Bof. Oui et non. Ce que nous devons vraiment faire, et vite, c'est produire tous les programmes nous-même. Aujourd'hui, nous n'en produisons qu'une partie, mais il faudrait que nous ayons partout le même producteur, qui connaisse bien la F1. Parfois, la réalisation n'est pas extraordinaire...

À le voir, comme ça, il a l'air plutôt sympa. Il sourit tout le temps, se montre affable et vous tape même dans le dos. Mais il ne faut pas s'y fier. Charles Bernard Ecclestone- dit «Bernie» - dirige la F1 avec une poigne de fer. Clairvoyant, brillant, souvent cassant, on réalise vite qu'il vaut mieux ne pas compter parmi ses ennemis.

On sait peu de choses de son passé. Il est né le 28 octobre 1930, dans une modeste famille de pêcheurs. Pilote amateur, il se lance dans le négoce de motos d'occasion avant de racheter, par pure passion, l'écurie Brabham de Formule 1, en 1971, pour 25 000 livres sterling.

Il se rend alors vite compte que les écuries ne savent pas se vendre- à l'époque, la F1 n'est pas retransmise à la télévision. Après des dizaines d'années de travail, il en fait un show à l'aura mondiale. La F1 lui doit tout et l'oublie souvent.

Il y a six mois, Bernie a vendu les parts de sa société à un fond d'investissement, CVC Capital qui, désormais, détient les droits commerciaux de la F1 jusqu'en 2099. Bernie n'est plus que leur exécutant. Ce qui n'entame en rien son pouvoir.

Il y a un peu plus d'un mois, il remportait ainsi une nouvelle victoire en convaincant les grands constructeurs impliqués en F1 (BMW, Honda, Mercedes, Renault et Toyota) de prolonger leur contrat avec lui pour cinq années supplémentaires - jusqu'en 2012 -, alors qu'ils avaient menacé, six ans durant, de le quitter pour fonder leur propre championnat. Ils voulaient obtenir davantage de Bernie, accusé de ne ristourner aux écuries qu'une part ridicule des droits publicitaires. Une guerre politique terriblement complexe, dont Bernie est sorti vainqueur, comme toujours. Interview.

Q - Pourquoi avoir vendu votre société à CVC Capital ? Et pourquoi ces gens l'ont-ils acheté ?

R - En fait, j'avais vendu ma société familiale, il y a longtemps déjà, à une société qui a été reprise par le groupe de média Kirch et qui est ensuite revenue à CVC. Tout ça est un peu compliqué, mais tout au long de ce processus, j'avais conservé 25 %. C'est cette part que j'ai vendue. Et je suppose qu'ils l'ont acheté parce qu'ils pensent que c'est un bon investissement...

Q - Ils parlent désormais d'améliorer le spectacle. Comment comptez-vous y parvenir ?

R - Pour être franc, ces deux ou trois dernières années, je n'ai peut-être pas fait tout ce que j'aurais pu pour le sport. En fait, j'ai passé mon temps à me battre contre les autres (contre les grands constructeurs, ndlr). Ils voulaient davantage d'argent de notre part, ils n'étaient plus satisfaits avec ce qu'ils avaient pourtant eux-mêmes signé... C'est toujours la même histoire. Le problème, c'est que beaucoup de gens, dans ce monde, préfèrent avoir 90 % de 100 millions que 50 % de 500 millions... La bêtise humaine, vous savez. Mais maintenant que tout est terminé, je vais faire beaucoup pour améliorer le show. Prenez les qualifications: on a déjà réglé ce point, et ça n'a pas été tout seul. Mais j'ai beaucoup d'autres idées, et il y en a énormément qui sont prêtes à être appliquées.