Vingt ans après la mort tragique d'Ayrton Senna, Ron Dennis a toujours autant de mal à parler de la relation privilégiée qu'il partageait avec le grand champion.

Dennis, dont les McLaren ont permis à Senna de remporter trois championnats du monde, aborde rarement publiquement ses souvenirs d'un homme qui «était si bon pendant le temps qu'il a vécu sur la planète.»

La mort de Senna a dévasté Dennis et le directeur général de McLaren la considère toujours comme une affaire privée et complexe, préférant garder ses émotions pour lui. Mais, comme le 20e anniversaire de la mort de Senna est célébré cette semaine sur le circuit d'Imola où il a été victime de son accident mortel, le 1er mai 1994, Dennis s'est rappelé l'une des collaborations les plus fructueuses de l'histoire du sport.

Dennis a mis Senna sous contrat chez McLaren en 1987, une journée qu'il n'oubliera jamais. Alors que les négociations approchaient de leur conclusion, Senna et le patron de McLaren ne parvenaient pas à s'entendre sur l'aspect monétaire.

«Nous nous disputions à propos de plus d'un demi-million $. Je suis venu avec l'idée de tirer à pile ou face, a déclaré Dennis dans une entrevue en profondeur sur le site de l'équipe McLaren Mercedes. Mais l'anglais d'Ayrton n'était pas très bon à l'époque, il a donc fallu discuter des détails pendant cinq minutes. Il m'a fallu dessiner sur une feuille de papier. Je voulais trouver une façon d'avancer. La pièce a été lancée en l'air, virevoltant. Elle est retombée et est partie comme une fusée! On pouvait entendre le cliquetis jusque sous les rideaux, je l'ai ramassée et j'ai gagné le pari!»

Cet épisode en dit long sur la relation entre Dennis et Senna. Il a également ponctué le début d'une relation de cinq ans, parfois ponctuée de querelles et de désaccords, mais principalement faite de joie. Pendant son séjour chez McLaren, Senna a remporté 35 Grands Prix.

Senna a quitté McLaren à la fin de 1993 pour se joindre à Williams et il s'est tué à sa troisième course seulement avec sa nouvelle équipe lorsque le Brésilien de 34 ans a été victime d'un accident au septième tour du Grand Prix de Saint-Marin.

Des années de Senna chez McLaren de 1988 à 1992, Dennis garde précieusement dans son coeur les moments de plaisir qu'il a connus avec un homme qui n'était pas exactement connu pour son côté espiègle. Dédié à la course automobile, Senna aimait pourtant rire avec les gens qu'il connaissait intimement.

Interrogé sur son meilleur souvenir de Senna, Dennis a mentionné un pari qu'il a gagné.

«Une fois, il m'a donné une enveloppe, je l'ai encore à la maison, a précisé Dennis. Il y avait 10 000 $ à l'intérieur, résultat d'un pari que nous avions pris que je ne pouvais pas manger un plat de chili au Mexique. Avant qu'il ne puisse faire marche arrière, je l'ai dévoré. C'était la quatrième fois qu'il perdait un pari, et un gros. Et je me souviens que, quand il m'a donné l'enveloppe, il m'a dit qu'il n'allait jamais plus parier, que je l'avais eu et que ce n'était pas une bonne chose à faire!

«C'est un bon souvenir, car soutirer un sourire d'Ayrton n'était pas facile, mais lui soutirer de l'argent était encore plus difficile.»

Dennis soutient que l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de gens considèrent Senna comme le plus grand, c'est qu'il est mort trop tôt.

«Je ne vois rien de positif au fait qu'il a eu un accident et a perdu la vie, mais cela signifie que nous ne l'avons pas vu sur son déclin, a confié Dennis. Il y a beaucoup de pilotes qui restent dans le sport trop longtemps et ternissent leur réputation.»

Sur la piste, Senna était impitoyable et il contrariait beaucoup ses rivaux, en particulier son rival français Alain Prost. Senna et Prost ont passé deux ans chez McLaren en 1988-89 et Dennis était aux premières loges pour témoigner de leur inimitié. À Imola en 1989, Prost a accusé Senna d'avoir rompu un accord conclu avant la course, mais Dennis dit que les deux pilotes étaient à blâmer.

«Ils ont brisé le lien de confiance entre eux, a-t-il dit. Ils ont tous deux pris des engagements envers l'autre à plusieurs reprises. Il y avait beaucoup de tension et de colère. Ils se valaient l'un l'autre en terme de sournoiserie.»

Le conflit a atteint son paroxysme l'année après l'avant-dernière course de l'année au Japon, quand Senna a percuté le Français au premier tour, s'assurant son deuxième titre mondial. Le geste a déçu Dennis.

«Je me souviens d'avoir examiné toutes les traces - la pédale de frein et l'accélérateur - et vous n'avez pas besoin d'être Einstein pour comprendre ce qui s'est passé, a déclaré Dennis. Quand il est revenu au garage, je lui ai dit que j'étais déçu de lui. Je ne pense pas qu'il était particulièrement fier de ce qui s'est passé.»

Mais selon Dennis, ce n'était qu'un moment de faiblesse dans une carrière par ailleurs impeccable.

«On se souvient de lui parce qu'il était incroyablement compétitif, a dit Dennis. C'était un grand, mais il avait de bonnes valeurs humaines.»