Il faut remonter à 1994 pour voir au départ de chaque Grand Prix de F1 au moins trois pilotes français. Charles Pic, Romain Grosjean et Jean-Éric Vergne découvrent le circuit Gilles-Villeneuve cette semaine. Portrait de trois jeunes qui ont le même objectif: vaincre et convaincre.

ROMAIN GROSJEAN

"Je vais encore acheter ma baguette le lundi matin"

Le 22 avril dernier, Romain Grosjean s'élance au septième rang dans le désert de Bahreïn. Quelque 3,6 millions de Français sont scotchés à leur téléviseur. Trois des leurs sont sur la ligne de départ, mais c'est bel et bien lui qu'ils suivent du regard.

Juste avant le départ de la course, sa 11e en F1, le pilote de 26 ans est gagné par le stress. Il s'assoit devant La Grande Vadrouille. Bourvil et Louis de Funès le font rigoler, l'aident à relaxer l'espace d'un instant. Puis vient le moment de gagner la piste.

Les moteurs rugissent. Après un départ canon, Grosjean dépasse Daniel Ricciardo, Jenson Button, Nico Rosberg et Mark Webber. «Et quand je me rends compte que Lewis Hamilton commence à souffrir avec ses gommes et que moi, derrière, je suis super bien, je me dis que je peux doubler une McLaren! Finalement, ça l'a fait.»

Romain Grosjean termine au troisième rang. Il s'agit de son premier podium en F1 et du premier pour un Français depuis Jean Alesi, en 1998. Est-il au courant de l'exploit? «Bien sûr, lance-t-il. Maintenant, je veux effacer Monaco 1996.» Il veut devenir le premier Français à remporter un Grand Prix en 15 ans. Rien de moins.

Le pilote Lotus pourrait paraître arrogant. Mais il suffit de s'asseoir à ses côtés après les courses pour constater l'inverse. Souriant, posé, généreux de son temps avec les journalistes, Grosjean apporte une touche de cordialité dans un peloton trop souvent froid et hautain - à l'image de son coéquipier Kimi Raikkonen.

Certains murmurent que le parcours tortueux du pilote franco-suisse lui a ancré les pieds bien sur terre. Car son premier passage en F1 a eu l'effet d'une douche froide.

En août 2009, l'écurie Renault cherche un pilote pour remplacer Nelson Piquet fils et repêche Grosjean en GP2, l'antichambre de la Formule 1. Sans grande préparation, parachuté en pleine saison, il dispute sept courses et ne récolte aucun point. Snobé par les écuries à l'entre-saisons, il se résigne à retourner dans les ligues mineures.

Une seconde chance

Deux ans plus tard, l'écurie Lotus lui a offert une seconde chance. «Je pense qu'il a aujourd'hui la maturité nécessaire qu'il n'avait peut-être pas forcément en 2009», explique le directeur de Lotus, Éric Boullier.

Les résultats ont donné raison à Boullier. Romain Grosjean est à l'heure actuelle 8e au classement des pilotes. Il a amassé 35 points, et lui et Raikkonen permettent à Lotus d'occuper le 4e rang chez les constructeurs. Un résultat rêvé.

«J'ai fait sixième en Chine, troisième à Sakhir. Me voilà quatrième, affirme-t-il après le Grand Prix d'Espagne, où il a fini au pied du podium. Franchement, il y a six mois, j'aurais payé pour de tels résultats. Mais voilà, quand on a goûté au podium, on a envie d'y remonter. Je suis content pour l'équipe, car nous ramenons des points importants. Mais je ne suis pas satisfait, car je n'ai pas réalisé le week-end parfait.»

Le week-end parfait permettrait à Romain Grosjean de sabler le champagne tout en haut du podium. L'exploit en ferait une star en France, où déjà ses succès lui valent une certaine notoriété.

«Ça fait du bien de rentrer avec de bons résultats, c'est certain. Maintenant, la vie n'a pas changé. Il faut toujours aller chercher sa baguette de pain le lundi matin, racontait Grosjean à la fin mai. Mais c'est certain que de croiser un gamin au supermarché qui dise: "Hey, c'est Romain Grosjean!", ça fait super plaisir.»

Autour, des journalistes en grand nombre, du jamais vu pour lui. L'un d'entre eux, d'une radio française, cligne de l'oeil et répond du tac au tac: «Et d'avoir le sourire de la boulangère!»

Il s'agit clairement d'une blague de «mononcle». Mais Romain Grosjean sourit. Il est léger et heureux. Il a enfin fait sa place en F1.

JEAN-ÉRIC VERGNE

Son chien s'appelait Villeneuve!

Jean-Éric Vergne était encore haut comme trois pommes quand on lui a mis pour la première fois un volant entre les mains. Le petit garçon de 4 ans s'est assis dans un kart et a filé à toute allure sur la piste construite par son père au nord de Paris.

Car Vergne est né sous le signe de la course dans une famille de passionnés. «Mon chien s'appelait Villeneuve. C'était pour Gilles, raconte le jeune pilote. Mon père en parlait tout le temps. C'était son pilote préféré.»

Le petit Vergne a vite montré des dispositions pour ce sport qui consiste à aller plus vite que les autres. Il est devenu champion de France de karting à 10 ans. Son parcours victorieux s'est poursuivi dans les circuits mineurs, jusqu'à remporter le très respecté Championnat de F3 britannique.

La formule reine s'est logiquement intéressée à lui. Vergne a d'abord complété quelques essais avec Toro Rosso, puis l'écurie lui a offert un volant en décembre dernier. Le pilote est devenu, à 21 ans, le plus jeune Français à courir en F1 et le premier - parmi les trois que compte cette année le peloton - à engranger des points, grâce à sa huitième place en Malaisie.

Le grand saut n'a pas dépaysé le jeune homme. «C'est peut-être un peu plus stressant, mais en définitive, c'est toujours la même chose: il faut remporter la course, être le meilleur», a récemment noté le grand brun, qui traîne aux quatre coins du monde sa barbe de trois jours.

Son début de saison n'a pas été aussi marquant que celui de Romain Grosjean. Mais Vergne a une voiture moins rapide que la Lotus. De toute façon, il a surtout besoin de se comparer à son coéquipier, l'Australien Daniel Ricciardo, aussi jeune que lui.

Vergne a un court avantage à ce chapitre avec la 16e place au classement des pilotes, alors que Ricciardo y est 17e. La hiérarchie est importante. Toro Rosso est une écurie coupe-gorge et les pilotes en dégomment souvent très vite, comme l'atteste le congédiement l'hiver dernier des deux pilotes 2011, Sébastien Buemi et Jaime Alguersuari.

La pression est aussi énorme que la possible récompense: une place de pilote dans l'écurie mère, Red Bull. L'objectif peut paraître immense, mais le pilote y croit. «Travailler en F1 est mon rêve, c'est un plaisir énorme, alors rien n'est impossible, dit-il. Tout ce qui paraît compliqué, au final, est surmontable.»

Photo Reuters

Jean-Éric Vergne.

CHARLES PIC

Une affaire de famille

Le père a un peu touché à la piste. Le frère cadet est promis à un bel avenir en course automobile. L'aîné, Charles, fait ses débuts en F1 cette année. À 22 ans. Chez les Pic, le pilotage est une affaire de famille.

«À 15 ans, Charles partait des week-ends entiers au fin fond de l'Italie du Sud pour disputer des courses de kart. [...] Il n'a pas eu de vraie jeunesse, mais il ne s'est jamais plaint.»

C'est ainsi que se résume la détermination du jeune Français, expliquée par nul autre que son père, Jean-Christophe Pic, dans une entrevue accordée au quotidien français La Croix en décembre dernier.

Charles Pic vient alors d'intégrer l'équipe Marussia, condamnée à faire de la figuration dans ce championnat du monde 2012.

Qu'importe. La préparation d'avant-saison a beau avoir été extrêmement laborieuse pour sa formation, Charles Pic ne s'est apparemment pas démonté. À Bahreïn, il a fait mieux que son coéquipier Timo Glock en qualification.

Pic possède un cursus classique de pilote. C'est assis dans un kart qu'il s'est éveillé à la course automobile. C'est au sein de la filière française qu'est l'Académie du sport auto qu'il fait ses classes. Et c'est dans la série GP2 - antichambre de la Formule 1 - qu'il s'est affirmé.

Le pilote natif de Montélimar découvre Montréal cette semaine. Gageons que celui qui veille à ses intérêts sera là pour le guider. Son mentor? Un certain Olivier Panis, dernier vainqueur français d'un Grand Prix.

Photo AFP

Charles Pic.