«Il y a toujours un moment d'angoisse à chaque départ. On se rend compte qu'il peut arriver un énorme malheur à chaque fois.»

En retrait du monde de la Formule 1, mais jamais bien loin des paddocks, Normand Legault éprouve encore aujourd'hui ce sentiment de peur inhérent aux risques pris par les pilotes de Formule 1 sur la grille de départ et en course. Une angoisse qui remonte à plus de 30 ans.

Au printemps 1982, le sport automobile canadien vit la période la plus noire de son histoire. «Une période maudite pour le Canada», comme la qualifie l'ancien promoteur du Grand Prix de Montréal.

L'épreuve montréalaise se tient en juin cette année-là. Legault et son équipe ont convaincu Bernie Ecclestone de déplacer la course du week-end de l'Action de grâce au printemps. Cette première se déroule ironiquement sous un temps glacial et gris. L'ambiance à Montréal est «particulière». Gilles Villeneuve s'est tué sur le circuit de Zolder cinq semaines auparavant.

Une première funeste

Pour Riccardo Paletti, ce dimanche 13 juin 1982 est également une première. L'Italien de 23 ans s'apprête à prendre son premier véritable départ sur la grille en peloton. Il débute dans le championnat du monde de Formule 1 avec la modeste équipe italienne Osella. Et il n'est pas verni. Non qualifié lors de cinq manches de la saison, contraint à l'abandon à Imola, il est victime d'un accident lors du réchauffement matinal du Grand Prix des États-Unis.

«Certains se demandaient s'il était prêt pour la Formule 1», se souvient Normand Legault.

Au moment du départ, Didier Pironi, en position de tête, cale sur la grille. Les voitures qui suivent derrière l'évitent sans trop de peine. «En fond de grille, Elio De Angelis donne un coup de volant, évite de peu Pironi, raconte Normand Legault. Paletti, lui, voit Pironi au dernier moment, il n'a pas le temps de freiner. À 215 km/h, en troisième, à 13 500 tours. Il percute l'arrière de la voiture. L'avant est à l'époque la partie la plus vulnérable sur une F1. Il est mort sur le coup.»

Sous les yeux de ses parents.

Photo Michel Gravel, archives La Presse

Après l'impact, la monoplace de Riccardo Paletti s'est embrasée. Mais il était déjà trop tard.

Le souvenir de Villeneuve

Riccardo Paletti est à ce jour le seul pilote à périr sur le circuit Gilles-Villeneuve.

Gilles Villeneuve est mort le mois précédent. Deux morts en un mois, cela fait beaucoup. Trop.

Lorsque la mort du pilote québécois est confirmée le 8 mai 1982 en marge du Grand Prix de Belgique, c'est un choc «immense». Villeneuve est le pilote local, vainqueur à Montréal quelques années plus tôt pour son premier Grand Prix dans la métropole. Fait inusité de nos jours, il est à l'époque le porte-parole de la course.

«Gilles était très présent dans la campagne de marketing du Grand Prix. À l'époque, le Grand Prix était une filiale de Labatt, qui était le commanditaire personnel de Gilles depuis ses années en Formule Atlantic. Gilles était d'une très grande loyauté envers le Grand Prix», témoigne Normand Legault, directeur général de l'épreuve à ce moment-là.

La mort du pilote bouscule tout le monde. Le surlendemain devait marquer le lancement de la campagne promotionnelle du Grand Prix du Canada. «Il a fallu tout refaire, des billets aux napperons.»

Mais Normand Legault a d'autres priorités au lendemain du décès. «Dès le dimanche, je me suis rendu chez les parents de Gilles à Berthierville avec madame Parent, l'épouse de Gaston Parent, le gérant de Gilles, pour faire les arrangements pour les funérailles. Le lundi, j'allais choisir le cercueil. Ses parents n'étaient pas jeunes et ils étaient dépassés par les évènements. Joann, la femme de Gilles, était à Monaco à ce moment-là.»

Rapidement, le maire de Montréal, Jean Drapeau, veut rendre hommage au pilote en baptisant le circuit de l'île Notre-Dame à son nom, circuit qui n'était officiellement jusque-là qu'une rue.

Le Grand Prix de Montréal ne sera pas annulé. «Ce n'était même pas une option que l'on avait. Cela revenait à la Fédération internationale. Cette décision ne nous appartenait pas. Et la mort de pilotes était fréquente à l'époque», précise M. Legault.

L'histoire retiendra qu'à la suggestion de Pierre Lecours, journaliste au Journal de Montréal, un «Salut Gilles» a été peint sur la grille de départ. Un geste spontané, dans la nuit précédant la course du 13 juin 1982.

«On voulait saluer Gilles sans que ce soit funèbre.»

Le départ du lendemain le sera. Paletti mourra. «Une période maudite pour le Canada.»

Sur le podium du Grand Prix du Canada de 1982, on avait voulu souligner la mémoire de Gilles Villeneuve, décédé quelques semaines auparavant, en invitant son père Séville (à gauche du vainqueur de la course, Nelson Piquet). La mort de Riccardo Paletti en début de course a ajouté au drame.