Alors que des groupes étudiants promettent de perturber le Grand Prix la fin de semaine prochaine à Montréal, un livre qui vient de paraître rappelle à quel point ce rendez-vous annuel est prisé par les villes.

«La Coupe du monde de soccer est l'événement sportif le plus regardé sur la planète. Ensuite viennent les Jeux olympiques, puis la F1. On parle, en cumulé, de 50 milliards de personnes qui regardent l'ensemble des Grands Prix de la saison», explique Éric Mottet, directeur de l'Observatoire de géopolitique de la chaire Raoul-Dandurand. M.Mottet est l'un des coauteurs de Géopolitique et virages de la Formule 1, un nouvel ouvrage qui dresse un portrait géopolitique de l'empire de Bernie Ecclestone.

Car la Formule 1 a connu dans les 50 dernières années une transformation radicale. De son berceau en Europe, elle a conquis le monde. Près de la moitié des Grands Prix sont aujourd'hui disputés en Asie ou au Moyen-Orient, et les villes se livrent une guerre sans merci pour obtenir l'une des 20 étapes du calendrier, perçues comme la marque d'une métropole moderne et cosmopolite. De sport mécanique, l'épreuve reine de la course automobile est en fait devenue «un cirque médiatique et économique».

Bien sûr, cette carte postale à l'attention de la planète peut facilement voler en éclats. Comme dans le cas du Grand Prix de Bahreïn, où des manifestations ont volé la vedette en avril. Ou comme l'ont compris, au Québec, les divers groupes étudiants qui menacent de perturber les festivités pour protester contre la hausse des droits de scolarité et la loi 78.

«Tout le monde tremble. Pas plus tard que ce matin (hier), le maire Tremblay s'est dit très inquiet de la rupture des négociations avec les étudiants. La ministre du Tourisme, elle, est très inquiète également, affirme Éric Mottet. François Dumontier, promoteur du Grand Prix, se montre un peu moins alarmiste dans ses déclarations. Mais je crois savoir qu'il est aussi très inquiet.»

Une cible de choix

Mais la F1 est une cible de choix pour d'autres raisons. C'est son essence même qui est ici attaquée. «Derrière les Jeux olympiques, même s'ils sont devenus très commerciaux, il y a des valeurs d'universalité, de fraternité. Dans la F1, il n'y a rien de tout ça», explique l'un des auteurs de l'ouvrage, Sylvain Lefebvre, directeur du Groupe de recherche sur les espaces festifs (GREF).

«La F1, c'est les gros sous, c'est le luxe, c'est le panache, c'est le jet-set cosmopolite et les villes aiment avoir cette clientèle, poursuit-il. Alors, c'est la cible parfaite pour des groupes comme Anonymous, parce qu'elle représente le capitalisme dans ses pires dérapages.»

Mais malgré ses dérapages - l'un d'entre eux étant les frais grimpants que les gouvernements doivent payer pour un Grand Prix -, la F1 reste payante pour les villes. M.Lefebvre estime que les retombées économiques à Montréal oscillent entre 75 et 80 millions par année.

«Ce sont des retombées considérables en termes de tourisme, mais aussi d'image. Pour Montréal, perdre un Grand Prix, c'est catastrophique, avance M.Mottet. Présenter une campagne de publicité à travers le monde coûterait beaucoup plus cher que ce que coûte le Grand Prix, soit à peu près 15 millions par année que l'on paye à Bernie Ecclestone.»

Une publicité relativement bon marché lorsqu'on la compare au coût d'une Coupe du monde de soccer ou de Jeux olympiques, mais néanmoins assez coûteuse pour que les autorités frémissent à entendre, repris depuis des semaines dans les manifestations étudiantes, ce slogan lourd de menaces: «Charest, tu ris, mais check ben ton Grand Prix.»