Le gourou britannique de la Formule 1, Bernie Ecclestone, a claironné hier dans un magazine suisse que le Grand Prix du Canada reviendra au circuit Gilles-Villeneuve en 2010. De leur côté, Montréal, Québec et Ottawa tempèrent ces propos.

Un fait est toutefois acquis: on est vraiment dans la dernière ligne droite des négociations, à quelques mètres d'un drapeau à damier qui annoncerait le grand retour de la Formule 1 à Montréal. «En 2010, on retournera au Canada, je sais que tout le monde dans le milieu de la F1 aime ce Grand Prix», a dit Bernie Ecclestone, un peu repentant, au magazine suisse Motorsport Aktuell.

 

Le 23 juillet, La Presse a annoncé que le ministre fédéral des Travaux publics, Christian Paradis, le ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, et le maire de Montréal, Gérald Tremblay, s'apprêtaient à faire une offre à Bernie Ecclestone pour récupérer la course, rayée du calendrier 2009-2010 en octobre dernier.

L'offre ressemble à celle du mois de novembre: c'est moins que les ambitions de M. Ecclestone à ce moment-là, mais assez bien ficelé pour qu'il soit alléché par le nouveau montage financier, compte tenu de circonstances qui ont changé en neuf mois.

Si l'on en croit le magazine suisse, le président de Formula One Administration Limited a bien accueilli l'offre. M. Ecclestone a dit à Radio-Canada, hier, que l'annonce officielle d'une entente pourrait même se produire «d'ici à quelques semaines» alors que Montréal sera en pleine campagne électorale. M. Ecclestone a ajouté que le trio et lui-même se sont «entendus financièrement». «L'entente de principe prévoit que nous allons avoir un Grand Prix du Canada pour les sept prochaines années», a-t-il dit.

Faut-il se réjouir?

L'enthousiasme n'est pas au menu de ce côté-ci de l'Atlantique. «Nous discutons avec nos partenaires et M. Ecclestone, a dit à La Presse Bernard Larin, attaché de presse du maire Tremblay. Il n'y a pas d'entente. Nos discussions se font sur la base de notre proposition de l'automne dernier, qui est une bonne proposition pour Montréal et qui respecte la capacité de payer des contribuables.»

L'administration Tremblay est donc prudente. «Nous tenons à avoir le Grand Prix, mais pas à n'importe quel prix, a dit le conseiller Marcel Tremblay, responsable du parc Jean-Drapeau. Trois ordres de gouvernement discutent pour arriver à trouver la meilleure solution pour ramener le Grand Prix à Montréal.»

Dans les mêmes mots, Ottawa cherche à réduire les attentes. «La réalité, c'est qu'aucune entente n'a été conclue, a dit Mark Quinlan, porte-parole du ministre Christian Paradis, responsable fédéral de la région de Montréal. Des discussions sérieuses ont lieu. Mais le ministre Paradis a toujours été très clair dans ce dossier. Il a toujours dit qu'il souhaitait que le Grand Prix soit à Montréal, mais pas à n'importe quel prix.»

Le gouvernement Charest ne sable pas non plus le champagne. «Les discussions se poursuivent et vont bon train. Ça se présente bien, mais ce n'est pas bouclé», dit Catherine Poulin, attachée de presse de Raymond Bachand.

Mme Poulin confirme que, au cours des dernières semaines, Ottawa, Québec et Montréal ont soumis au patron de la F1 une proposition de 15 millions par an pour cinq ans, comme La Presse l'a indiqué le 23 juillet. Cela dit, les chiffres pourraient avoir changé au cours des négociations.

Catherine Poulin refuse de commenter l'hypothèse selon laquelle Bernie Ecclestone a fait ces déclarations afin de gonfler les attentes des Montréalais et d'augmenter un peu la pression sur les trois ordres de gouvernement.

Une saison insatisfaisante

Selon nos sources, l'ex-ministre Michael Fortier, qui représente le trio canadien, négocie serré avec Bernie Ecclestone. C'est son mandat: convaincre M. Ecclestone d'être raisonnable et de reconnaître que Montréal est une vraie ville de Formule 1.

Aux plans de la popularité, de la visibilité et des ressources financières, la saison 2009-2010 n'a pas satisfait à 100% Bernie Ecclestone. Ni les constructeurs. Le marché nord-américain représente beaucoup d'argent pour les BMW, Honda ou Toyota. La Ville et les gouvernements ont donc de bonnes cartes en main contre un joueur qui sait qu'il a gaffé en supprimant l'épreuve de 2009.

Dans cette partie de poker, Michael Fortier fait donc une offre diversifiée dont les éléments ont franchement de quoi apaiser l'appétit d'un Bernie Ecclestone finalement revenu sur Terre.

M. Ecclestone réclamait plus du double des 15 millions qui sont actuellement sur la table. Mais, comme dans toute entente financière, ce sont les annexes qui font la différence. Les retombées économiques de l'événement (75 millions) sont revues à la hausse: les gouvernements, intéressés par les revenus fiscaux, pourraient donc lâcher un peu de lest et ajouter aux 15 millions les pleins revenus du Grand Prix, soit sûrement autour de 30 millions en 2010.

Cela fait donc un total assuré de 45 millions par an dans la besace d'Ecclestone. Ce n'est pas un gain net. Il y a, bien sûr, les coûts d'organisation, énormes. Mais comme Bernie Ecclestone sera le promoteur de la course, il pourrait même être admissible à une subvention pour créer l'organisation locale de l'épreuve.

Par ailleurs, même le différend qui oppose Ecclestone à l'ancien promoteur Normand Legault, à l'origine de l'annulation du Grand Prix 2009 - le Britannique réclame 12 millions à M. Legault - pourrait se régler à l'amiable.

Et puis Montréal a des bonbons pour M. Ecclestone: tous les services municipaux nécessaires à une manifestation bien encadrée seront fournis gratuitement, policiers et pompiers compris. Tout comme les lieux, d'ailleurs.

Les milieux d'affaires montréalais pourraient aussi devoir faire leur part. Le maire Tremblay sera-t-il tenté de recourir à une taxe sur les chambres d'hôtel pour financer une partie du Grand Prix? La loi 22 le lui permet. Même dans une année électorale. Il pourra y penser l'an prochain... si, bien sûr, il est réélu le 1er novembre. Mais si Bernie Ecclestone met assez d'eau dans son vin, ce ne sera même pas nécessaire. Un bras de fer est en cours.

Avec la collaboration de Karim Benessaieh, Malorie Beauchemin et Tommy Chouinard