De nombreux Québécois ont été sacrés « champion du monde », en sports d’hiver notamment, mais le titre de Jacques Villeneuve dans le Championnat du monde de Formule 1 de 1997 est sûrement l’un des plus remarquables.

Aucun pilote canadien n’avait réussi l’exploit avant lui, aucun ne s’en est approché par la suite. Et le triomphe d’un athlète d’ici aura rarement été accueilli avec un tel enthousiasme.

Pensez : le mercredi 5 novembre, 10 jours après son sacre en Espagne, pas moins de 11 000 amateurs étaient réunis au Centre Molson pour une conférence de presse de Villeneuve. Ils auraient été 20 000 n’eût été un problème dans la distribution des billets.

Et en soirée, avant le match de hockey, la foule lui a accordé une ovation de plus de cinq minutes avant que le capitaine Saku Koivu lui remette un chandail du Canadien et que tous les joueurs les rejoignent au centre de la glace pour une photographie !

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Villeneuve avec Saku Koivu au Centre Molson, le 5 novembre 1997

C’est ce soir-là que la carrière du coureur automobile a atteint son zénith.

« Je m’en souviens comme si c’était hier », a d’ailleurs confié Villeneuve, l’été dernier, en marge du Grand Prix du Canada où on a souligné le 25e anniversaire de son sacre. « J’étais mal habillé devant tous ces gens ! »

J’ai vraiment été soufflé par toute cette attention, tout cet amour. Jusque-là, je ne réalisais pas vraiment ce que ça représentait pour les autres ; mais à ce moment-là, j’ai compris l’ampleur de ce que j’avais accompli.

Jacques Villeneuve

Rappel

Revenons justement sur ce titre, acquis de haute lutte lors du dernier Grand Prix de la saison au terme d’un long duel avec l’Allemand Michael Schumacher. En 1997, l’équipe Williams était la plus performante du plateau avec une série de quatre titres mondiaux des constructeurs en cinq saisons.

Embauché la saison précédente, Villeneuve avait longtemps été dans la course au titre avant de s’incliner devant son coéquipier Damon Hill. Ce dernier parti chez Arrows, le Québécois était le premier pilote de Williams en 1997 et le favori pour devenir champion du monde.

Face à lui, le double champion du monde Michael Schumacher rêvait d’offrir à la Scuderia Ferrari un premier titre en 20 ans et l’Allemand était réputé pour être prêt à tout pour atteindre ses objectifs. En 1994, alors qu’il était chez Benetton, Schumacher avait causé une collision et provoqué l’abandon de Hill, son rival pour le titre, lors du dernier Grand Prix de la saison...

Dominant en début de saison, avec cinq positions de tête en six courses, Villeneuve est toutefois victime d’ennuis mécaniques et, à la mi-saison, il est devancé au classement par Schumacher. Plus constant à partir de l’été, avec une nouvelle coiffure décolorée, le Québécois reprend graduellement l’ascendant, mais une disqualification au Japon permet à son rival de le devancer d’un point avant la dernière épreuve de la saison.

Tout va donc se jouer à Jerez, en Espagne, lors du Grand Prix d’Europe.

Parti de la position de tête, Villeneuve voit toutefois Schumacher prendre les devants et ce n’est qu’après son deuxième arrêt aux puits qu’il est en position d’attaquer son rival.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Villeneuve au Grand Prix d’Europe de 1997 à Jerez, en Espagne

Au 47e tour, Villeneuve plonge à l’intérieur à l’épingle et Schumacher braque le volant de sa Ferrari vers la Williams. Les deux voitures se touchent et subissent des dégâts ; Villeneuve poursuit quand même sa course, mais Schumacher reste enlisé dans le gravier. Sa course est finie et sa conduite dangereuse et antisportive lui vaudra d’être exclu du classement de la saison.

Regardez les faits saillants du Grand Prix d’Europe de 1997 (en anglais)

Superbe palmarès

Villeneuve, lui, n’a plus qu’à gérer les derniers tours et, comme il lui suffit de terminer quatrième, il laisse passer les McLaren de Hakkinen et Coulthard, assure sa troisième place et devient champion du monde ! À 26 ans, après une victoire aux 500 Milles d’Indianapolis et un titre dans la série ChampCar en 1995, le Québécois a déjà un superbe palmarès.

Plus personne ne pourra dire qu’il n’est que « le fils de Gilles Villeneuve », une étiquette qu’il portait comme un fardeau.

« Le problème n’était pas d’être considéré comme le fils de Gilles, j’en étais fier », a expliqué Jacques en 2019 en entrevue à la télé italienne.

Le problème était qu’on m’en a voulu quand j’ai dit que je ne courais pas pour continuer le rêve de mon père. J’ai donc cessé d’en parler, car c’était impossible de dire la vérité.

Jacques Villeneuve

« Mes succès à Indianapolis, mais surtout en Formule 1 m’ont permis de me débarrasser de cette étiquette, ajoute-t-il. Après mon titre, les gens ont commencé à voir les deux Villeneuve, alors qu’ils n’en voyaient qu’un auparavant. »

Est-ce à tout cela que le jeune champion du monde pensait, le 5 novembre 1997, au milieu de la glace du Centre Molson pendant qu’on l’ovationnait ? Et est-ce parce que, en plus de son titre sportif, il venait de s’affranchir de certains fantômes qu’il a géré la suite de sa carrière comme il l’a fait ?

Jacques Villeneuve ne gagnera plus un Grand Prix après 1997 et si son passage dans la nouvelle équipe BAR lui a valu une petite fortune, sa réputation de pilote en prendra un coup.