Au début de la vingtaine, Andrew Ranger était perçu comme une vedette montante du NASCAR. Une quinzaine d’années plus tard, le rêve américain est éteint. Ou presque. Il ne nie pas une certaine amertume. Mais le pilote se sent bien dans la série canadienne. Entretien.

« Quand je regarde la télévision et que je vois les top 10 en Cup Series, des gars contre qui j’ai couru, que j’ai dépassés… J’ai gagné contre eux ! C’est ça qui devient un peu frustrant. »

Le pilote de Roxton Pond – à quelques minutes de Granby – ne respire pourtant pas le ressentiment. Malgré le cambriolage dont sa conjointe et lui ont été victimes il y a deux semaines, Ranger semble même de fort belle humeur au téléphone.

À 34 ans, celui qu’il faut désormais qualifier de vétéran vient de connaître une belle fin de saison en NASCAR Pinty’s, le circuit canadien. Après un solide dernier week-end, il a conclu le calendrier au deuxième rang, huit points derrière Louis-Philippe Dumoulin. Infime écart. En 2019, Andrew Ranger avait remporté le championnat. L’an dernier, il n’a pas participé à la saison pandémique très écourtée.

Ranger compte trois championnats en NASCAR canadien – dont le tout premier de l’histoire de la série, en 2007 – et 30 victoires, un record. De ce côté-ci de la frontière, il n’a plus grand-chose à prouver.

Justement, à l’origine, c’est au sud de la frontière que se dessinait son parcours en NASCAR, après des débuts en monoplace.

En 2009 – année de son deuxième titre canadien –, il a disputé cinq courses en série Nationwide, ancêtre de l’actuelle Xfinity, deuxième en importance du NASCAR américain. Même chose en 2011.

Mais depuis 2013, hormis quelques évènements éparpillés aux États-Unis, sa carrière, c’est le NASCAR canadien.

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Andrew Ranger en piste au Grand Prix de Trois-Rivières 2021

L’exemple de Raphaël Lessard

Le talent n’a jamais fait de doute dans le cas d’Andrew Ranger. Mais comme plusieurs autres avant et après lui, il s’est heurté au mur financier.

Le téléphone n’a jamais totalement cessé de sonner, affirme-t-il. Mais les conditions, à ses yeux, étaient inacceptables.

« Quand on m’appelait pour me dire qu’au lieu de me coûter 100 000 $ pour une course, ils m’en feraient pour 30 000 $, déjà là, pour moi, c’était une insulte. Je leur disais : “Si tu veux m’avoir, c’est pour gagner et je ne suis pas un pilote payant, je suis un pilote que tu paies pour y aller.” J’ai du mal à croire qu’une grosse série aux États-Unis n’est souvent pas capable de payer ses drivers. »

En Pinty’s, il est rémunéré pour prendre part aux épreuves, expliquait-il. Ce qui surprenait parfois les voisins du Sud.

Amer ? « Oui, oui… »

Avec les années qui passent et une compréhension accrue du milieu et de ses ficelles, la déception s’efface peu à peu. N’empêche.

C’est très dur financièrement d’aller là. La preuve : Raphaël Lessard. Il a un talent incroyable, le jeune. Il parle bien, il paraît bien, c’est un bon driver. Mais il a amené à peu près 1,6 million dans les équipes aux États-Unis et il n’est même pas capable de rester. Ça n’a pas de bon sens. C’en est frustrant.

Andrew Ranger

Xfinity, ARCA, K&N. Les séries nord-américaines, Ranger les a pratiquement toutes expérimentées.

« Et c’est vrai que la Cup et l’Xfinity, c’est à part des autres, côté spectateurs, visibilité. C’est sûr que c’est le top. Mais quand tu parles du camionnette [Camping World Truck Series, celle où courait Lessard] et que tu descends dans les autres séries, que ça coûte des millions et qu’il n’y a presque pas de monde dans les gradins, ça me fait capoter », laisse-t-il tomber.

Alors, thème récurrent en course automobile, il y a l’argent, les fonds que peut drainer le pilote.

Mais outre cet aspect, est-ce qu’autre chose a manqué à Ranger ? Une certaine aptitude à l’autopromotion, disons. On pense ici, par exemple, au bagou d’un Alex Tagliani qui, à 48 ans, tient encore son bout dans le monde du NASCAR.

« Tag, c’est un très bon pilote, mais il a la chance de se vendre… Il est incroyable. Moi, je me vois plus comme un Patrick Carpentier, compare-t-il. On fait notre travail et on a peut-être un peu plus de difficulté à se vendre comme drivers. De ce côté-là, peut-être que oui, que ç’a été un petit quelque chose qui m’a manqué. Mais j’avais un agent [Alan Labrosse] qui faisait vraiment sa job. Sauf qu’à un moment donné, c’est difficile pour un agent de trouver des millions de dollars. »

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Andrew Ranger possède une académie de pilotage au complexe de Sanair.

Heureux

La porte américaine n’est pas fermée à double tour pour Ranger, qui possède une académie de pilotage à son nom, au complexe de Sanair. En concluant en force sa première saison avec Rick Ware Racing, il a peut-être marqué des points plus importants que ceux au classement.

Le propriétaire possède des voitures dans chacune des trois principales séries NASCAR aux États-Unis. Donc, sait-on jamais.

« Je pense qu’il y a encore des possibilités. Si Rick dit qu’en fin de semaine, il veut avoir Andrew en Xfinity, on y va. Ce n’est pas plus compliqué que ça. »

Mais, sur une base permanente, Ranger semble en douter fortement. Il y a plus, en fait. Les priorités changent en vieillissant. Il est papa d’un garçon qui aura 10 ans sous peu.

« Je vise vraiment le NASCAR Pinty’s, pour être honnête. Je suis super heureux là-dedans. Je me concentre là, ma famille est au Québec. Je suis vraiment heureux où je suis. On ne sait jamais ce qui peut arriver, mais pour l’instant, je ne pense pas vraiment faire une saison complète aux États-Unis », souligne-t-il.

Son contrat pour la prochaine saison n’est pas encore signé, mais c’est de bon augure, assure-t-il. Le patron était « vraiment satisfait » de son deuxième rang au championnat.

Puis, de son propre chef, Andrew Ranger ressent le besoin d’insister sur la qualité de la série Pinty’s. Il nomme Tagliani, Marc-Antoine Camirand, les frères Dumoulin, D.J. Kennington.

« Ce sont tous des top drivers. Donc, je n’ai pas à dire que je suis “juste en Pinty’s”. Non. La compétition est tough. Ce n’est vraiment pas facile et c’est l’fun. »

Le défi et le plaisir sont présents, et le revenu est bon. Les meilleurs gagnent bien leur vie en NASCAR canadien, affirme-t-il.

Contrairement à ce qu’il vivrait aux États-Unis, l’argent entre dans la poche plutôt que d’en sortir.

« Donc, à un moment donné, un plus un… »

Domicile cambriolé

La maison d’Andrew Ranger et de sa conjointe a été la cible de cambrioleurs, à Shawinigan, il y a deux semaines, alors que le couple avait décidé de prolonger le week-end de l’Action de grâce au chalet familial. Au moment de l’entretien, mercredi dernier, il tâchait encore de rassembler les informations nécessaires pour les assurances. « Ils ont viré pas mal tout à l’envers. Personne n’a besoin de ça », lâche-t-il. Au-delà des finances, il y a la perte d’objets qui avaient une valeur sentimentale. Une bague de championnat, des souvenirs donnés par les grands-parents, des magnums de vin en guise de trophées et des bouteilles qu’il avait stockées depuis des années – notamment, certaines qu’il avait rapportées de l’Ouest canadien, introuvables ici –, lui qui, de son propre aveu, affectionne particulièrement le vin. « C’est dégueulasse de voir que du monde rentre chez toi comme ça. »