L’Autodrome Granby présentait samedi soir le premier évènement sportif au Québec depuis le début du confinement.

(GRANBY) Une centaine de bolides, leur bruit assourdissant et leur forte odeur de carburant. La projection de terre battue jusque dans les premières rangées. Les mécanos juchés sur les roulottes qui applaudissent les bons coups de leurs protégés, puis qui s’affairent avec empressement entre les qualifications et les courses. Bref, c’était une soirée comme les autres, samedi, à l’Autodrome Granby. Ou presque.

Parce qu’en face des puits grouillants d’activité, les vétustes gradins bleu-blanc-rouge, eux, étaient déserts. Il y avait bien quelques bouteilles d’eau, des poubelles déposées sur le flanc, des caméramans pour la webdiffusion. Mais aucun des quelque 3000 amateurs qui se déplacent habituellement pour voir les pilotes tourner sur l’ovale de la piste de course granbyenne.

L’Autodrome présentait le premier évènement sportif depuis le début de la pandémie : le COVID Destroyer 50. Aucun doute, le coronavirus n’y a pas été éradiqué. Au mieux, il ne s’y est probablement pas propagé vu la très forte prévalence du port du masque et du plexiglas dans les puits. Au contraire, certains craignent que ce soit plutôt la COVID-19 qui détruise leur passion.

« Je suis inquiet comme promoteur, admet Yan Bussière, à la fois pilote et promoteur de l’Autodrome Drummond. Si ça se règle parce qu’on a un vaccin pour 2021, on va avoir un bon début de saison. Mais on ne peut pas commencer une autre saison comme ça. Une autre comme ça et c’est la faillite. Ça nous donne un bon coup dans les jambes.

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Yan Bussière, pilote et promoteur de l’Autodrome Drummond, en compagnie de son fils Xavié

« On va perdre des commanditaires en 2021, c’est sûr. On va voir ce qui se passe dans les prochains mois, mais c’est une année scrap, a-t-il aussi déploré. À deux mètres de distance, je ne pense pas que les gens viendraient. C’est peut-être correct pour des shows d’humour ou de musique, mais pas pour la course. De toute façon, à Drummondville, ça voudrait dire environ 500 personnes. Je ne le ferais pas, je perdrais trop d’argent. »

En contrepartie, Bussière, qui, comme plusieurs autres pilotes, a couru à Cornwall il y a deux semaines, s’est dit « choyé de pouvoir faire des courses » dans le contexte actuel.

Ses sentiments mitigés semblaient partagés par les autres pilotes rencontrés. Heureux d’avoir la chance d’assouvir leur passion, de retrouver la camaraderie des puits, mais un peu préoccupés à l’idée que des commanditaires s’envolent de leur milieu. Et un peu en manque des fans, aussi.

« C’est surtout avant et après les courses que ça fait très différent. Habituellement, les fans viennent nous voir, voir les autos, ils aiment jaser, raconte Michael Parent, entrepreneur général lorsqu’il n’est pas au volant de sa monture. Oui, pendant les tours sous le drapeau jaune, c’est bizarre ! Mais après, on est dans notre bulle. »

« On est juste plus rouillés ! », lance Bussière, pendant que son fils Xavié, 14 ans, contribue à la préparation de la voiture.

Redémarrer la machine

Les conditions d’opération de Dominic Lussier, propriétaire et promoteur de l’Autodrome Granby, sont différentes de celles du pilote-promoteur Bussière. Et ces conditions font en sorte qu’il ne craint pas véritablement pour son produit, bien qu’il partage avec lui certaines inquiétudes, celles concernant les commandites, par exemple. « Parce qu’il y aura une deuxième vague économique aussi », explique-t-il.

« On est équipés pour passer la tempête, mais ça va être ardu, a dit M. Lussier en entrevue téléphonique deux jours avant l’évènement. L’économie est sur le respirateur artificiel. Il va falloir être imaginatifs. On le sait, on est dans le trouble, donc j’ai essayé d’attacher de la viande pour faire un peu de sous. »

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Dominic Lussier, propriétaire et promoteur de l’Autodrome Granby

Une double portion de viande, en fait. D’abord, la course était webdiffusée. Et pour ceux qui avaient envie de se rapprocher de la piste même s’ils ne pouvaient s’asseoir où ils l’auraient souhaité, elle était également projetée sur un écran géant dans le terrain vague derrière les gradins. Il y a eu récemment l’annonce de 2 Frères, donc vraiment, la vocation des écrans géants ne cesse de se diversifier.

Et alors, une expérience rentable ? La webdiffusion a rallié 360 acheteurs, un peu en deçà des attentes du promoteur, qui en anticipait de 400 à 500.

« Il va falloir se retrousser les manches s’il y a une prochaine fois », a-t-il analysé dimanche. Il n’avait pas fini le bilan des dépenses, mais ne pensait pas avoir perdu d’argent dans l’aventure.

Je ne me ferai pas une nouvelle piscine creusée avec ça, mais l’objectif était de repartir la machine. C’est une question de passion.

Dominic Lussier

Anthony Marcotte, annonceur maison à l’Autodrome, était aux commandes de la webdiffusion. Il en avait déjà l’expérience avec le Rocket de Laval, lui qui est également animateur au 91,9 Sports, mais aux courses, c’était une première, qu’il a bien appréciée.

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Anthony Marcotte, annonceur à l’Autodrome Granby

« Quand il y a des gens dans les gradins, on joue avec ça. Ça ne peut pas être dépassé, on a besoin des spectateurs. Mais on a démontré qu’on peut faire quelque chose de bien. »

« Oui, je suis assez malade pour ça ! »

Un peu comme la webdiffusion, le ciné-parc n’a également pas suscité l’engouement espéré. Peut-être en raison de la météo, davantage favorable à l’air climatisé et à la baignade. On pouvait accueillir un maximum de 100 voitures, il y en a eu une trentaine.

Mais, évidemment, ceux qui s’y sont pointés étaient de vrais mordus. Certains se seraient plutôt retrouvés dans les puits avec leur pilote, n’eût été la limitation du nombre de personnes admises dans les équipes en raison de la COVID-19. D’autres étaient simplement des fans de course qui auraient nettement préféré leur siège habituel, mais qui se satisfaisaient de ce qui leur était offert.

Comme ce groupe de six hommes, quelques-uns vêtus du maillot de leur pilote préféré ou équipés d’écouteurs pour ne rien manquer de la retransmission audio de la course, un autre ayant déjà lui-même couru à la fin des années 90. Originaires de quatre villes différentes, certains d’entre eux ne se connaissaient même pas à leur arrivée à l’Autodrome.

C’est aussi ça, la course. On rencontre du monde.

Un spectateur présent au ciné-parc de l’Autodrome Granby

« Ça nous ramène un peu, c’est un début. Parce que c’est sûr que ça nous manque, c’est nos week-ends », a confié un autre, qui se déplaçait régulièrement avec son ami pour voir aussi les courses de Drummondville, de Saint-Marcel et de Saint-Guillaume… quand il y en avait.

Un peu plus loin, Patrick Lepage, de Sorel, se tapait le pli du coude de l’index et du majeur pour imager son amour de la course automobile. Dans les veines.

Et puis, il y avait ce couple, Ghislain et Nicole Larivière, venu de Drummondville. Elle, s’adonnant à ce qui semblait être un cahier bien garni de mots-mystères. Lui, ne manquant rien de l’action.

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Ghislain et Nicole Larivière

S’ils répètent l’expérience, vous reviendrez ? « Oui, je suis assez malade pour ça ! », a-t-il lancé en riant.

À l’entracte, avant les finales des trois principales catégories, les 12 plus hauts qualifiés en modifié, l’épreuve-reine, sont venus procéder au tirage au sort de la grille de départ devant l’écran géant.

Après avoir choisi au hasard une casquette qui cachait leur rang, ils la remettaient à l’un des amateurs qui s’étaient tous avancés, mais pas trop, en direction des pilotes. À ce moment, aucun d’entre eux ne semblait avoir en tête ce virus qui chamboulera leur été.

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