Le 8 octobre 1978, Gilles Villeneuve est entré dans la mémoire collective du Québec. Il avait gagné le premier Grand Prix de sa trop courte carrière, lors de la toute première épreuve de l'histoire disputée à Montréal. Impossible d'écrire un tel scénario.

C'est pour cette raison, sans doute, que de voir la Ferrari dans laquelle il a gagné la course impressionne tant. Il y a une aura qui entoure l'artéfact, installé depuis hier matin à l'entrée du Casino de Montréal. Il y restera toute la semaine. Il a fallu retirer les pneus pour faire passer la voiture, de peur de l'esquinter. On prend le plus grand soin de la pièce de collection.

C'est le prêt d'un homme d'affaires torontois, qui a acheté la voiture à Nick Mason, ancien batteur de Pink Floyd. La veuve de Gilles, Joann Villeneuve, est celle qui a travaillé d'arrache-pied pour rapatrier la voiture. Un processus de près d'un an, précise-t-elle.

L'idée lui est venue l'année dernière lorsqu'elle a assisté à une course historique de F1 à Mosport, le circuit de Bowmanville, en Ontario. « C'était une autre voiture de Gilles, mais chaque fois que je la voyais, j'avais une émotion énorme. Toutes ces années plus tard, je ressens encore cette émotion. De là est venue l'idée de l'avoir à Montréal et j'ai contacté le propriétaire. »

Une coquille de noix

On est d'abord frappé de constater à quel point la structure, qui atteignait les 290 km\h, est sommaire. Quelques minces plaques d'acier, un habitacle de protection qui se calcule en millimètres, bonbonnes et moteur à la vue de tous. La F1 de 1978 est à des années-lumière de celle de 2018. « C'est là qu'on voit à quel point c'était dangereux », dit Mme Villeneuve.

La présence de ce véhicule de légende n'est pas innocente. Le promoteur François Dumontier et Mme Villeneuve rêvent de revoir la voiture en piste, à Montréal. Avec au volant un certain ancien champion du monde.

« Si c'est celui auquel je pense, je crois que je pourrais lui en parler ! », a dit Joann Villeneuve en riant. Elle parlait bien sûr de son fils Jacques, qui atterrira à Montréal tard ce soir.

À coup sûr, de faire conduire la voiture du père par le fils frapperait dans le mille.

« Pour moi, Gilles et Jacques sont les hommes de ma vie. C'est avec une grande émotion que je revois Jacques dans la voiture de Gilles. »

- Joann Villeneuve

Il reste encore toutefois quelques détails à régler : trouver le moment, dans un week-end planifié jusque dans les moindres détails, la logistique, les assurances. Dumontier rencontrera Formula One Management dès qu'ils débarqueront en ville pour régler les problèmes.

Mais les nouveaux propriétaires de la F1, Liberty Media, ont cette ouverture d'encourager les initiatives du genre. Pas plus tard qu'à Monaco la semaine dernière, Keke et Nico Rorberg ont partagé la piste, chacun à bord de leur monoplace championne du monde.

À tout le moins, la Ferrari 1978 est fonctionnelle et a été testée avec succès sur piste la semaine dernière.

Joann Villeneuve est un peu la royauté du Grand Prix du Canada. La famille Villeneuve a beaucoup fait pour le sport motorisé au Canada, et le public le lui a bien rendu. Pour Dumontier, aucun doute que sans la victoire de Gilles Villeneuve, le Grand Prix n'existerait plus à Montréal 40 ans plus tard. Les années de grâce de Jacques Villeneuve ont aussi donné un nouveau souffle à l'événement.

Inquiétudes d'épouse, inquiétudes de mère

Pour Mme Villeneuve, la magie de cette étape montréalaise vient du fait qu'elle se déroule devant tous ceux qui ont connu Gilles et Jacques. Tous ceux qui se souviennent de la motoneige, de la Formule Atlantique, de la genèse des pilotes qu'ils sont devenus.

Il reste que Mme Villeneuve est toujours forcée de ressasser année après année les mêmes souvenirs douloureux de la mort de son mari, survenue en piste il y a 36 ans. Elle parle avec encore beaucoup d'émotion de cette histoire d'amour figée dans le temps.

« Ce n'est pas difficile [d'en parler], plutôt émouvant. Surtout quand c'est quelqu'un qui a fait partie de ta vie à ce niveau-là, avec cette intensité-là, même si ç'a été pour un court temps [ils ont été mariés durant 12 ans]. Ça reste très présent. D'autant plus que Jacques a fait sa carrière dans le même monde.

« Ça m'a replongée un peu dans les mêmes émotions, les mêmes inquiétudes, le même stress. C'est sûr que ça a survécu parce que c'était moi qui me souvenais de Gilles, de notre vie ensemble, de tout le travail qu'on avait accompli pour arriver là où on est arrivés. Et ensuite parce que Jacques était dans la voiture, ça me ramenait à cette intensité de vie. Ce n'est pas gênant pour moi. »

Elle dit avec la même émotion que Gilles est resté vivant grâce au Grand Prix. Il le sera plus que jamais quand Jacques, celui-là même qui a complété le parcours inachevé de son père, montera dans la voiture mythique.