« Quand il était en karting au Canada et aux États-Unis, Lance a gagné beaucoup de courses. On est arrivé en Europe, il y avait 30 pilotes comme lui dans la même série. Dans le week-end, ils coupent jusqu'à ce qu'il y ait le nombre pour les finales. Et en finale, il y a 30 pilotes en quelques dixièmes de seconde. Là, il y a de put... de bons pilotes. Quand on se retrouve à travailler là, tu commences à comprendre que ça va être difficile d'arriver à la Formule 1. Là, il ne faut plus seulement de l'argent ou des contacts. Il faut travailler, performer, s'entraîner. »

C'est encore frais dans son esprit. Cela date d'il y a quelques années, 2011 plus exactement. Cette année-là, Hugo Mousseau accepte de déménager à Genève. Pour accompagner, encourager et entraîner Lance Stroll. Le gamin de Mont-Tremblant doit faire ses valises pour l'Europe. Définitivement. 

« La première et la meilleure chose à faire, pour un jeune pilote en Amérique qui souhaite atteindre la F1, c'est d'aller en Europe. Le niveau de performance y est plus élevé », explique celui qui est le mentor, le confident et l'ami de ce jeune homme de 18 ans qui a réalisé cette semaine, à Barcelone, ses premiers essais officiels à bord d'une monoplace de l'écurie Williams.

Sa première saison de F1 commence dans trois semaines, à Melbourne.

LA RENCONTRE QUI CHANGE TOUT

On est loin de Mont-Saint-Hilaire, du circuit de SH Karting. C'est là qu'Hugo Mousseau rencontre un gamin de 8 ans, qui a eu son kart à son anniversaire, qui est accompagné d'un mécano et qui a manifestement besoin d'un coup de main. Hugo est alors coach dans une équipe de karting. La prise de contact est facile, naturelle. Et Hugo commence à entraîner Lance. Un peu.

« En premier lieu, on entraîne les jeunes à bien conduire, à prendre les lignes de course, détaille l'instructeur. C'est expliquer les données, préparer l'équipement, expliquer comment ça fonctionne, faire les stratégies. Je mettais les mains dans la mécanique aussi. [...] En 2008, je supervisais Lance, c'était sa première année. Il ne faut pas trop imposer la première année. Le gamin doit s'amuser, voir comment on fait. Il ne faut pas créer de malaise ou de peur. »

À compter de cet été de l'année 2008, Mousseau entre en scène aux côtés du jeune Stroll. Et ils ne se quitteront plus : Québec, Floride, Nouvelle-Zélande, Italie, Suisse. Leur relation est si étroite que le fils du milliardaire Lawrence Stroll n'envisage pas un départ en Europe sans Hugo. Ce dernier assumera pleinement ce rôle d'entraîneur jusqu'en 2012. Jusqu'au grand saut. Le premier du genre.

DE COACH À MENTOR

« Quand on est passé à la voiture, je n'ai plus fait le coaching de Lance, précise le natif de la Rive-Sud. Je suis seulement resté son assistant et son mentor, je suis alors celui qui l'accompagne partout, gère son horaire, ses entraînements. Je voyageais avec lui, je supervisais ses rapports qu'il devait faire aux équipes. Quand on est passé à la monoplace, je suis devenu assistant personnel. En Formule 4, en 2014, c'est là que j'ai changé de titre. Il y a plus de monde autour de la voiture, il y a des ingénieurs, il y a d'autres coachs de ligne de course qu'il faut utiliser, ils connaissent plus les circuits que moi. »

Entre-temps, leur relation de travail est progressivement devenue une relation amicale. Et l'homme devenu père de famille découvre un ado calme et détendu en dehors de la piste. « Lance est actif, il aime aller faire du sport, il est très compétitif. On va jouer au tennis, c'est la finale de Roland-Garros. Il est comme ça de nature, comme ça sur la piste. Mais il est assez amical. C'est un chouette type, il est cool. Il est encore jeune aussi. Quand on est jeune, on est un peu libre dans la tête, on ne se soucie pas de grand-chose. »

Comme tous les athlètes professionnels en devenir, le jeune Lance acquiert rapidement une grande maturité. « Tu n'as pas le choix parce que dans tout le processus qui mène au sommet, le sommet étant de se rendre en F1, tu n'as pas le choix que d'avoir pris plusieurs responsabilités et d'avoir fait certains sacrifices, certains choix », dit celui qui l'a vu gagner partout où il est passé : Formule 4 en Italie, Toyota Racing Series en Nouvelle-Zélande, Formule 3 en Europe.

Mousseau assure qu'il n'a rien prémédité au travers de cette rencontre et de cette vie commune longue de neuf ans : « Ce n'est pas comme si j'avais dit il y a 10 ans : ce jeune-là je vais l'entraîner, l'emmener en Europe et l'amener à la F1. Je ne l'ai pas vu comme ça, le projet. Il s'est écrit au fur et à mesure, de lui-même. Un rêve, ça se voit et se partage. Il faut aussi le savourer. Tout au long, avec Lance, on y a cru. On se disait : on est capables. Et là, tout d'un coup, on a une demi-saison de faite, une, deux, trois, quatre saisons et on arrive à la F1. »

PRENDRE SES DISTANCES

L'automne dernier, le père de deux petits garçons a décidé de s'effacer. Il n'a pas renouvelé son contrat avec son poulain. Pour des raisons personnelles et familiales. Lance lui a bien demandé de rester en Europe, mais Hugo a préféré le suivre de loin, être présent à quelques Grand Prix et s'entretenir au téléphone pour parler de tout et de rien. 

« Lance est déjà prêt, plus personne ne lui montre où tourner à gauche ou à droite. Il sait comment faire, répondre aux médias, respecter son entraînement, garder sa concentration. [...] On faisait 200, 220 jours par année sur la route. En F1, on passe à presque 300 jours sur la route. Je ne peux pas faire ça. Et puis en F1, dans une journée de huit heures, Lance va rencontrer une trentaine de personnes.

« J'aime beaucoup plus former et travailler avec des jeunes, des amateurs, et les amener jusqu'au niveau professionnel. Elle est là ma force, et non pas de suivre un professionnel. »

Devant la progression fulgurante de son poulain, Hugo se montre humble et modeste. Malgré son rôle, dans l'ombre, essentiel. « Je n'en ai pas beaucoup parlé, je suis très en arrière-scène. C'est Lance, la star. »

Même s'il est probablement celui qui a été le plus présent. Et même s'il n'est pas le seul à avoir contribué à cette éclosion, comme il tient à le préciser.

À 34 ans, le coach va rentrer définitivement au Québec à la fin de l'année. Avec bien des projets en tête. Il a mis un gamin sur la glace. À lui de patiner à présent.

« J'ai accompli ma mission. J'ai fait neuf ans à entraîner Lance, à être son mentor, à le pousser, à le supporter. Je crois que j'ai fait ma part. Il va vraiment en F1, ce n'est pas un pilote de réserve. Je ne peux pas être plus heureux. Lance le sait. On est en symbiose. L'évolution avec Lance est faite. L'autre partie de l'histoire, ça ne me concerne pas. Je m'efface. Je suis très content de ça. »

Lance vu par Hugo

La préparation

«Il est un peu nerveux ces temps-ci parce qu'il a besoin d'aller briser la glace, il est en attente, c'est difficile, le niveau de stress monte et il est un peu plus tendu que la normale, je crois. (...) Il est très concentré sur son travail, ses entraînements, son alimentation. Il fait beaucoup de simulateurs. Mais surtout présentement, c'est de l'entraînement. Il doit bâtir une plus grosse endurance musculaire, surtout au niveau du cou et du cardio.»

La progression

«Peut-être que s'il n'avait pas eu la chance que Williams le prenne cette année, je crois qu'il serait allé en GP2 et cela aurait peut-être juste été une autre halte avant la F1. Le cheminement n'arrive pas par hasard. Il y a le soutien financier de son père dont on parle toujours mais Lance a fait de bons résultats. (...) Naturellement, il a du talent. Je l'ai vu et j'en ai vu d'autres : il a sa place. Et il y a le timing. Lance est arrivé au bon moment.»