Le soleil se couchait sur Mirabel. Jacques Villeneuve était avec François Dumontier près de leurs karts. Les yeux brillants, le sourire éclatant, je n'avais jamais vu Jacques Villeneuve aussi jeune. Même quand il s'amenait avec sa queue de cheval au circuit pour gagner les 500 milles d'Indianapolis.

Cette jeunesse dans le regard, Villeneuve la doit au bonheur. Et comme toujours à la course. Il venait de rouler avec son gros kart sur le magnifique circuit de Mirabel et ça suffisait à son bonheur.

«Je vais mourir pilote. C'est dans mes gènes», lance-t-il en riant.

La passion semble se transmettre puisque Jules, son fils aîné de 4 ans, a commencé à piloter un kart. «Il me l'a demandé, je ne l'ai pas poussé, je ne voulais pas être un de ces parents de hockey qui enrôlent leurs enfants. Mais il tient le volant et contrôle les pédales et il conduit. Il a du plaisir et c'est ce qui compte», de raconter Villeneuve.

Depuis son divorce, Jacques Villeneuve est un père célibataire. Et il adore son statut. Il fait ce qu'il aime, il pilote un peu partout dans le monde, en Argentine ou en Australie, en NASCAR quelques fois par année ou sur glace en France. Que ce soit dans une formule, en prototype, dans un kart ou aux commandes d'un motocross, Villeneuve pilote.

Il voyage beaucoup et traîne souvent ses deux fils, Jules et Joakim. «J'en profite avant qu'ils ne commencent à fréquenter l'école régulièrement», dit-il.

Il les emmène en Suisse, où ils ont commencé à faire du ski. «Ils sont doués. C'est extraordinaire pour eux. Ils me l'ont demandé. Je veux qu'ils découvrent le plus de choses possibles. Qu'ils s'ouvrent. Le ski, ça nous accompagne toute la vie. Et ça donne l'occasion de leur faire découvrir la compétition. Je veux qu'ils sachent que terminer premier ou deuxième, c'est différent. Ils ont déjà cet esprit compétitif et c'est sain. D'ailleurs, je n'ai pas l'intention de les faire étudier dans le système québécois. Je trouve qu'on nivelle par le bas et qu'on n'est pas assez exigeant. Je préfère le baccalauréat français. J'y suis passé et on sait ce qu'on vaut et où on se situe. Et les millions d'enfants qui y sont passés ne se sont pas suicidés. Ils ont appris à travailler pour réussir et à se mesurer. C'est ce que je souhaite pour mes enfants», dit-il.

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Depuis quatre ou cinq ans, Jacques Villeneuve paye ses impôts au Québec. Il vit à Westmount dans une maison qui permet à ses enfants de jouer dans la cour. Il voulait qu'ils aient de l'espace. «J'ai connu la campagne, enfant, et j'ai toujours eu besoin d'espace», dit-il.

Il a toujours son fabuleux terrain à Huberdeau sur lequel il a fait construire un chalet: «Cet achat a été le coup de coeur typique d'un Européen quand il pense au Québec. Acheter un terrain comme celui-ci en Europe, c'est infaisable. Mais je ne l'ai pas encore vraiment aménagé. Je n'ai pas le temps», dit-il.

La vie est bonne pour Jacques Villeneuve. C'est un jeune «40 ans». Dans le fond, c'est la première fois qu'il n'est pas concentré sur une carrière. Il a vécu pensionnaire dans un collège suisse pendant cinq ans et après, la course automobile a pris tout son temps et toute son énergie. «On n'a pas idée de ce qu'est la Formule 1. Je gagnais des fortunes, mais à la fin, mes frais d'opération en Formule 1 atteignaient 2,5 millionsde dollars par année. Je payais le préparateur physique, les spécialistes des communications, les avocats, les fiscalistes et comme j'étais concentré à 100% sur la course, je payais pour tout ce qu'il y avait à faire dans ma vie. Quand j'ai cessé de faire de la Formule 1, j'ai dû tout réapprendre, j'ai dû m'ajuster et faire moi-même ce que d'autres faisaient à gros salaire. Je peux dire que maintenant, j'ai les contrôles de la manette bien en main», dit-il en souriant. Il ajoute en souriant toujours: «Il y a moins de dépenses... mais il y a moins de revenus. Mais c'est pas grave, je peux travailler, c'est tout».

Il a évidemment vendu son jet. Il en était le propriétaire. Une dépense exorbitante: «Je sais. Mais en même temps, j'avais calculé que ça me permettait de passer 42 jours de plus à la maison par année. C'est peut-être rien 42 jours pour certains, mais quand on passe sa vie à l'étranger, ces 42 jours n'ont pas de prix», explique-t-il.

Il a eu son jet une dizaine d'années. Ça lui aura donc donné une année de plus dans ses affaires personnelles avec ses blondes. Ça se peut que ça vaille quelques dizaines de millions.

Mais Villeneuve ne voulait plus porter le poids de ce petit empire personnel. C'est pour cette raison qu'il a vendu le Newtown, son magnifique restaurant au centre-ville: «Le déclencheur, c'est quand Montréal a perdu son Grand Prix. Pour le Newtown, les quatre jours du Grand Prix représentaient des ventes de 500 000$. L'équivalent d'un bon mois d'opération. À un moment donné, j'avais 120 employés. C'était trop. Au début, je rêvais d'un petit bistrot sympathique et finalement, comme l'immeuble était à vendre, je me suis retrouvé avec une véritable entreprise. Mais l'expérience a été très bonne et je ne regrette rien», dit-il.

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Donc, Jacques Villeneuve est heureux, souriant, célibataire. Et en passant, même s'il a beaucoup investi pour tenter un retour en Formule 1, il est loin d'être ruiné. Il y a encore beaucoup de zéros derrière les premiers chiffres.

Heureux, souriant, père célibataire... et toujours animé par la passion de la course. «À part les enfants, la priorité, c'est la course. C'est ma vie. Je vais mourir pilote. C'est plus fort que moi, j'essaie d'aller plus vite, de gagner du temps en piste quelque soit la piste. J'ai l'impression de piloter mieux», dit-il.

Mais il a fait ses adieux au rêve de la Formule 1: «Ça ne donne rien de toujours frapper le mur. Quand t'es obligé de t'expliquer pour obtenir un volant, t'es déjà perdant», dit-il.

Ses vrais efforts sont tournés vers le NASCAR. Villeneuve va courir pour Penske à Elkhart Lake à la fin du mois et il continue son travail de «vente»: «J'ai le goût. Quand tu commences à voir plus envie de rester sur le bord de ta piscine, c'est le temps de la retraite. Mais ce n'est pas mon cas. Quand je sautais 40 pieds dans les airs en motocross, je me disais que c'était quand même pas pire», raconte-t-il en souriant.

«Il ne faut jamais lâcher. On rencontre des obstacles et il faut chercher comment les contourner et les surmonter. Il faut être aussi réaliste et se mettre des objectifs raisonnables selon les circonstances. Mais je veux courir, j'aime ça».

Il est visiblement bien dans sa peau. Il se considère privilégié: «J'ai certainement fait le bon choix de carrière. J'ai fait ce que j'aimais, c'est précieux dans la vie. Et je continue même si c'est différent», dit-il.

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Quand il va en Suisse, il croise parfois son ancien mentor et confident Craig Pollock. Après une rupture d'amitié et d'affaires douloureuse, les deux hommes sont capables d'avoir des relations courtoises. «On peut prendre un café et c'est civilisé. C'est bien correct», de dire le pilote.

Il vit cette même courtoisie avec Joana, la mère de ses deux fils. Elle vit à Montréal et les parents s'entendent bien quand il s'agit des enfants.

La semaine prochaine, il va assister au Grand Prix du Canada. Pour encourager François Dumontier et pour retrouver ses connaissances de la Formule 1. Mais Villeneuve étant Villeneuve, si on lui demande son opinion sur la saison de F1, il la donne. Drue et franche: «L'an dernier, j'ai aimé la saison. Cette année, ça ne m'intéresse pas. Tous ces gadgets de jeux vidéo dénaturent la course. Les résultats sont faussés, la course est faussée. C'est rendu qu'on s'énerve quand on pèse sur le bon piton ou qu'on active un gadget quelconque pour modifier les ailerons. Les dépassements sont tellement faciles qu'ils ne veulent plus rien dire. Au début, les gens vont aimer ce spectacle, mais ils vont se lasser parce que la course est dénaturée», affirme-t-il avec cette conviction de... Villeneuve.

Il regarde aller les choses et fait la moue. Au moins, Bernie Ecclestone est encore en poste. On peut dire ce qu'on voudra de tonton Bernie, il a encore de la poigne: «Voyons! Sans Bernie, il n'y a plus de Formule 1! C'est un groupe d'enfants gâtés et tous ont besoin d'un grand-papa qui a de la poigne. Après Bernie, la F1 va aller dans toutes les directions», dit-il.

Dans le fond, c'est du Villeneuve tout craché. Un homme qui croit à la discipline, à un encadrement dans la société et à une ligne d'autorité.

Quitte, comme il l'a fait tant de fois, à défier l'encadrement et la ligne d'autorité.

DANS LE CALEPIN Pendant ce temps, sur deux roues, Marcel Aubut et Line Burns travaillent à préparer la Randonnée du courage Pat-Burns. Les deux sont présidents d'honneur de ce rassemblement de motos, le plus grand au Québec. Jean Pagé, porte-parole de Procure, a eu l'idée de cette manifestation qui aura lieu à Québec le 18 juin, fin de semaine de la Fête des pères. Les gens vont rouler jusqu'au Centre sportif de Sainte-Foy et commenceront à défiler dans les rues de Québec à 11 h. Et c'est sur les plaines d'Abraham que le bluesman Bob Walsh va donner son spectacle pour les 2000 motards attendus.