C’était beau de voir Patrick Roy, ému et souriant, après la victoire de ses Remparts en finale du hockey junior québécois. Cette image a fait remonter en moi un souvenir inoubliable, celui du match où il a coulé le socle de sa légende.

C’était le 5 mai 1986, jour du troisième affrontement de la demi-finale de la Coupe Stanley entre les Rangers de New York et le Canadien. Après avoir subi deux revers au Forum, les « Blue Shirts » devaient absolument gagner.

L’ambiance au Madison Square Garden est électrique. Ce soir-là, c’était encore plus fou. Dix minutes avant la mise en jeu initiale, le niveau de décibels était déjà hallucinant. Les hymnes nationaux ? Je ne me souviens pas d’en avoir entendu les paroles tant le bruit était assourdissant.

Dans l’espoir de briser la concentration de Roy, les fans des Rangers scandaient « Rou-ahh, Rou-ahh » à répétition. Compte tenu de ses 20 ans et de son peu d’expérience, on aurait compris qu’il craque un peu. Ce ne fut pas le cas. Il a plutôt multiplié les miracles, spécialement en prolongation. Les Rangers ont outrageusement dominé le jeu… jusqu’à ce qu’ils commettent une erreur qui a mené au but vainqueur de Claude Lemieux.

PHOTO ARMAND TROTTIER. ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Roy (33) garde les buts contre les Rangers de New York, le 5 mai 1986.

J’étais alors jeune journaliste au Soleil et j’ignorais que, près de 40 ans plus tard, je considérerais encore cette performance comme une des plus exceptionnelles dont j’ai été témoin dans ma carrière, tous sports confondus.

Je me souviens de ce match, mais aussi du lendemain. Je vois encore Roy, endossant un veston blanc, assis dans le hall de l’hôtel où résidait le Canadien durant son séjour new-yorkais. Un roman d’Agatha Christie en main, il tentait de lire un peu. Peine perdue. Il était entouré de journalistes lui posant mille questions. D’autres clients de l’hôtel tendaient le cou en se demandant qui était ce jeune homme manifestement célèbre malgré ses airs de gamin.

« Les cris de la foule ? J’ai aimé ça, ils m’ont permis de me mettre dans le match », avait-il dit après la rencontre, pas du tout ébranlé par ce traitement spécial. Cette déclaration énoncée d’un ton calme révélait l’athlète qu’il était : un gagnant, un vrai de vrai.

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Le parcours de Roy n’a pas été un long fleuve tranquille. Des controverses ont fait la manchette. Mais on ne pourra jamais remettre en cause son amour profond du hockey.

Indépendant de fortune, il aurait pu se retirer au lieu de se lancer dans une longue carrière de gestionnaire dans le hockey junior. Il l’a fait dans « sa » ville, Québec, où il a grandi en fan de Daniel Bouchard, le meilleur gardien que les Nordiques ont aligné durant leurs saisons dans la LNH.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Champion de la Coupe Stanley, en juin 1993

Il a joué son hockey junior à Granby et Serge Savard, alors DG du Canadien, a eu le flair de le repêcher en troisième ronde en 1984. Ce fut un choix heureux ! Roy a remporté quatre Coupes Stanley (deux avec le Canadien, deux avec l’Avalanche du Colorado) et demeure le seul joueur dans l’histoire de la LNH à avoir été choisi joueur par excellence des séries éliminatoires à trois reprises, un exploit considérable.

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J’ai grandi à Québec et je me souviens de la réaction de joie lorsque les Remparts d’une autre époque, guidés par Guy Lafleur, ont remporté la Coupe Memorial en 1971. C’est pourquoi leur victoire de dimanche dernier m’a fait autant plaisir. Ce fut un grand moment de réjouissances et de fierté qui, je l’espère, conduira à d’autres.

La relation de Québec avec le hockey n’a pas été facile au cours des 30 dernières années. Le départ des Nordiques pour le Colorado en 1995, précédé par un interminable feuilleton à propos de la construction d’un nouvel amphithéâtre, a constitué un moment de rupture.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En 2014, alors qu’il était de passage à Montréal avec l’Avalanche du Colorado

Aujourd’hui, les jeunes grandissent le plus souvent en partisans du Canadien, ce qui aurait été impensable – ou presque ! – pour les gens de ma génération. La construction du Centre Vidéotron a, pendant un temps, alimenté le rêve du retour des Bleus. Mais la dure réalité a repris ses droits.

La LNH ne veut pas vraiment de Québec sauf, peut-être, en solution d’ultime recours. Malgré les incertitudes à propos de l’avenir des Coyotes de l’Arizona, rien n’a changé à ce chapitre. Le gouvernement Legault a beau avoir son ministre informel des Nordiques (Eric Girard, des Finances), les chances du retour de l’équipe, sans être nulles, sont peu élevées.

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C’est bizarre. Malgré son palmarès et son engagement, aucune équipe de la LNH n’a fait de l’œil à Roy depuis sa démission de l’Avalanche en août 2016. En quittant son poste peu avant le début du camp d’entraînement, il a placé l’organisation dans une position difficile. On ne lui a pas encore pardonné.

C’est dommage parce que Roy, gagnant du trophée Jack-Adams remis au meilleur entraîneur de la saison dans la LNH en 2013-2014, mène ses équipes avec panache. Et il ne se débrouille pas trop mal comme directeur général !

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Patrick Roy totalise 13 saisons à titre de directeur général et entraîneur-chef des Remparts de Québec. Il est de retour derrière le banc depuis la saison 2018-2019 et a déjà fait savoir qu’il en était à sa dernière année.

Un triomphe des Remparts durant le tournoi de la Coupe Memorial qui s’ouvre ce vendredi à Kamloops, en Colombie-Britannique, changerait-il la donne ? Les Remparts et lui ont conquis le trophée en 2006, lors de son premier séjour à la barre de l’équipe. Une nouvelle victoire pourrait avoir un impact sur la suite des choses.

Roy est aussi un vendeur né, qui sait générer de l’attention envers son équipe. Il constitue aujourd’hui la principale carte de visite du hockey junior québécois. Des organisations de la LNH auraient sûrement avantage à s’intéresser à lui.

Oui, on peut reprocher des choses à Roy. Mais combien de gens de hockey ont autant prouvé leur amour à leur sport ? Combien ont accepté de revenir dans le junior avec avoir goûté à la LNH ?

On a souvent dit de Roy qu’il était un brin arrogant. Ses démêlés avec le Canadien, sa démission de l’Avalanche et certains autres épisodes ont alimenté avec raison cette théorie. Aujourd’hui, à l’âge de 57 ans, je pense plutôt qu’il est une vedette humble, toujours prête à servir son sport. Parce qu’il en est profondément passionné.

Cette passion l’a porté le 5 mai 1986 au Madison Square Garden de New York. Et même si le Sandman Centre de Kamloops est moins prestigieux, même s’il sera derrière le banc plutôt que devant le filet, cette passion débordante l’animera de nouveau durant le tournoi de la Coupe Memorial.