Pierre Karl Péladeau rêvait des Nordiques, il doit se contenter des Alouettes. Le retentissement n’est pas le même, mais il s’agit néanmoins d’une excellente nouvelle pour Montréal et tout le Québec.

En achetant les Alouettes à titre personnel et en mettant la machine marketing de Québecor à leur service, M. Péladeau accomplit un geste civique qui l’honore. L’interminable feuilleton à propos de la propriété des Oiseaux est enfin réglé. L’organisation se développera sous les guides d’un propriétaire québécois aux poches profondes, agissant dans une perspective à long terme.

En confirmant la transaction vendredi, M. Péladeau était d’excellente humeur. Ce n’est pas étonnant : les gens d’affaires qui aiment le sport rêvent de détenir un club professionnel. Parce que les équipes créent des liens émotifs avec les fans. Elles suscitent une passion que leurs autres entreprises ne développent pas avec leurs clients.

M. Péladeau l’a d’ailleurs expliqué à sa façon. Dans sa vie, a-t-il rappelé, il en a acheté, « des affaires » : imprimeries en Belgique, journaux en Colombie-Britannique, agences web au Chili… Mais depuis que le quotidien Montreal Gazette a dévoilé son intérêt pour les Alouettes, il a reçu de nombreux messages. Les gens, a-t-il dit, sont heureux de retrouver à Montréal un « propriétaire local, quelqu’un qui n’hésitera pas à s’investir, quelqu’un qui est fier de son équipe, qui est fier de l’environnement dans lequel il évolue depuis de nombreuses années ».

Non, ce n’est pas comme obtenir une concession de la Ligue nationale de hockey (LNH). L’impact est moins grand, mais le risque financier à court terme aussi. La Ligue canadienne de football (LCF) fonctionne avec un budget minimaliste par rapport aux grands circuits professionnels nord-américains. Elle fait néanmoins partie de notre patrimoine sportif et mérite d’être soignée.

M. Péladeau l’a bien compris. C’était d’ailleurs sympathique de l’entendre parler de Sonny Wade, quart-arrière vedette de l’équipe quand il était enfant.

L’achat des Alouettes n’est pas un gros « deal » financier pour lui. Et les perspectives de profits sont minces, comme l’illustre sa décision de ne pas intégrer cet actif à Québecor. Pas question d’ajouter cette « distraction » à une entreprise publique.

Voici donc l’ancien chef du Parti québécois, qui a brandi le poing en appui à la souveraineté en annonçant sa candidature dans la circonscription de Saint-Jérôme en 2014, engagé à fond dans la plus canadienne des ligues professionnelles. « Je ne suis plus en politique », a-t-il rappelé.

M. Péladeau a vanté les grandes villes canadiennes, rappelant ses voyages à Vancouver, Toronto, Calgary… Et il dit avoir été bien accueilli par les autres propriétaires d’équipe.

Le contraire aurait été étonnant. La LCF a besoin d’une équipe en santé à Montréal et d’une nouvelle dose d’énergie. S’il trouve le ton juste, M. Péladeau contribuera à dynamiser le circuit.

Évoquant ses futurs liens avec la personne qu’il nommera bientôt à la présidence des Alouettes, M. Péladeau a précisé : « Malgré des fois la réputation surfaite qui m’est faite, moi je m’entends bien avec le monde, je m’entends bien avec mes collaborateurs et mes collaboratrices quand on participe à un projet commun, quand on participe à un projet d’avenir, un projet qui nous plonge vers le succès. »

On verra si les relations de M. Péladeau avec les autres propriétaires d’équipe seront aussi sereines. Il ne faut pas se le cacher : c’est un test pour lui. Un test que suivra attentivement, de New York, le commissaire Gary Bettman si, d’aventure, la LNH se montrait un jour intéressée par Québec. Cela ne semble cependant plus dans les cartes.

Québecor et Bell Média sont des concurrents acharnés. Or, les droits de télédiffusion des matchs des Alouettes et de toutes les équipes de la LCF appartiennent à Bell Média (RDS et TSN) pour au moins trois saisons. Ironiquement, si Québecor réussit à faire mousser l’intérêt envers les Alouettes grâce à sa machine marketing, cela devrait augmenter les cotes d’écoute… de Bell Média !

D’ailleurs, quelle place TVA Sports accordera-t-elle aux Alouettes dans ce qu’on appelle les « émissions d’appoint » ?

Durant les nombreuses années où Québecor a détenu les droits sur les matchs du CF Montréal/Impact de Montréal, l’entreprise a fait rayonner le produit avec éclat à l’antenne. Assisterons-nous au même phénomène ? Dans un premier temps, TVA Sports a entièrement diffusé la longue conférence de presse de M. Péladeau vendredi.

Autre question : M. Péladeau se contentera-t-il de bien superviser l’équipe sur les plans sportif et budgétaire ou voudra-t-il transformer l’organisation ? Ce sont deux défis différents.

Dans le premier scénario, il s’assurerait que l’encadrement sportif ait les moyens financiers de ses ambitions, tout en exerçant une pression salutaire sur la haute direction, afin de combler les attentes des fans sur le terrain et de leur offrir une belle expérience client.

Le deuxième scénario comprend tous les objectifs du premier. Mais il suppose une vision plus ambitieuse. Comme, par exemple, examiner la possibilité de disputer les matchs ailleurs qu’au stade de l’Université McGill. Joey Saputo et lui auront-ils le goût de développer un projet commun de nouveau stade ?

M. Péladeau a répété qu’il est trop tôt pour évoquer ces enjeux et cela est parfaitement compréhensible. Mais les choses roulent vite dans le sport professionnel.

Peu importe l’avenir à moyen terme, l’acquisition des Alouettes par M. Péladeau est un développement inespéré. L’équipe ne sera plus le parent pauvre de notre écosystème sportif.

Le fait que les Alouettes soient toujours debout après des années éprouvantes démontre l’attachement des fans. Et permet d’envisager la suite avec optimisme, sous une gouverne québécoise. Les Oiseaux volent de nouveau dans un ciel bleu.

L’auteur de cette chronique collabore au 98,5 et à RDS.