Le Lightning de Tampa Bay a cédé cinq choix au repêchage, cette semaine, pour acquérir l’attaquant Tanner Jeannot.

Cette transaction a suscité de fortes réactions. Pas juste chez les partisans et les commentateurs. Au sein des équipes de la Ligue nationale, aussi. « J’attends toujours qu’on me dise que c’est une erreur d’impression », a confié un dirigeant d’équipe à The Athletic.

C’est que la plupart des directeurs généraux – et encore plus, les recruteurs en chef – aiment accumuler les choix au repêchage. « Plus tu as de dards, plus tu as de chances d’atteindre la cible », imageait Marc Bergevin, dans ses années avec le Canadien. La beauté de l’affaire ? Si tu touches la cible une seule fois avec un choix lointain, les partisans t’encenseront et te pardonneront les autres choix malheureux.

Pendant des années, le Canadien a martelé que tous les choix au repêchage étaient importants. Des preuves ? Brendan Gallagher, sélectionné au cinquième tour. Ou Jake Evans, au 207e rang. Ce sont d’excellents coups, c’est vrai. Mais on oublie volontiers que pour un joueur de la trempe de Gallagher, il y a eu des dizaines de choix tout simplement perdus, comme Joe Stejskal, Nikolas Koberstein et Casey Staum.

Ce réflexe est bien connu en psychologie. Il s’agit de l’oubli de la fréquence de base. En gros, parfois, on valorise une donnée qui frappe l’imaginaire, plutôt que l’échantillon total.

Le directeur général du Lightning, Julien BriseBois, a pris ce pas de recul, lui, par rapport au repêchage. Depuis sa nomination, il n’a pas hésité à échanger des choix, du premier au dernier tour, pour renforcer son équipe immédiatement. Avec succès, d’ailleurs. Il a aussi sûrement noté que de tous les joueurs repêchés par le Lightning, depuis cinq ans, aucun n’a encore disputé 20 parties dans la LNH.

C’est pourquoi pour lui, échanger un choix de 1er tour, un de 2e tour, un de 3e tour, un de 4e tour et un autre de 5e tour pour Jeannot avait un sens. « Aucun de ces choix ne nous aurait aidés cette année, l’an prochain ou la suivante. Notre décision était assez facile », a-t-il expliqué à la presse locale.

« Il y a une certaine perception de la valeur de ces choix. La nôtre diffère. Compte tenu de la [faible] probabilité d’acquérir des joueurs de qualité avec ces choix, nous préférons obtenir un bon joueur immédiatement, pour aider notre noyau à gagner. »

Quelles sont ces probabilités, justement ? Quelle est la valeur de chaque choix au repêchage ?

J’ai déjà écrit sur la valeur des choix des deux premiers tours.

Lisez la chronique sur les choix de premier tour Lisez la chronique sur les choix de deuxième tour

Mais qu’en est-il des choix subséquents ? Ceux du troisième, du cinquième ou du septième tour ?

Pour établir une valeur, il nous faut d’abord un échantillon solide. Concentrons-nous sur les repêchages entre 2000 et 2016. Pourquoi arrêter en 2016 ? Pour laisser aux joueurs une période suffisante afin de s’établir dans la LNH. Sept saisons, c’est le minimum pour pouvoir atteindre l’autonomie complète.

Divisons ensuite les joueurs en trois groupes.

· Les joueurs d’impact. Plus de 200 points ou 10 000 minutes. On retrouve évidemment des vedettes, comme Sidney Crosby et Carey Price, mais aussi des vétérans établis, comme Jonathan Drouin, Mike Hoffman, Christian Dvorak et David Savard.

· Les joueurs de soutien. Moins de 200 points, entre 1000 et 10 000 minutes. Pensez aux joueurs qui ont passé la majorité de leur carrière sur un troisième ou quatrième trio, comme Joel Armia, Rem Pitlick et Denis Gurianov.

· Les autres. Moins de 1000 minutes. Donc, grosso modo, ceux qui ont joué moins de 75 parties, voire aucune.

Premier constat : après les 60 premiers choix, c’est vraiment difficile de déterrer une pépite. La norme, au troisième tour, c’est une par équipe, par décennie. Au-delà du 100e choix, les chances de réussite chutent de moitié.

Probabilités de repêcher un joueur d’impact

  • 3e tour : 9 %
  • 4e tour : 6 %
  • 5e tour : 4 %
  • 6e tour : 5 %
  • 7e tour : 3 %

Le Canadien se situe dans la moyenne. Entre 2000 et 2016, il a repêché 90 joueurs après le deuxième tour. Seulement cinq sont devenus des joueurs d’impact : Brendan Gallagher, Mikhail Grabovsky, Jaroslav Halak, Tomas Plekanec et Mark Streit. Ça fait un taux de réussite de 5,5 %.

Revenons à Tanner Jeannot. Il ne possède pas encore les statistiques d’un joueur d’impact. Peut-être atteindra-t-il ce statut dans cinq saisons. Peut-être jamais, non plus. Comparons-le donc aux joueurs de sa catégorie, ceux de soutien.

Quelles auraient été les probabilités que le Lightning acquière un joueur d’impact ou de soutien entre le 25e et le 60e choix ? Environ 40 % (11 % d’impact + 28 % de soutien). Avec ses choix subséquents ? Beaucoup plus faibles.

Probabilités de repêcher un joueur d’impact ou de soutien

3e tour : 28 % (9 % + 19 %)
4e tour : 23 % (6 % + 17 %)
5e tour : 18 % (4 % + 14 %)
6e tour : 15 % (5 % + 10 %)
7e tour : 13 % (3 % + 10 %)

Dans les faits, à partir du troisième tour, la majorité des joueurs ne disputera même pas une seule partie dans la Ligue nationale.

Proportion des joueurs qui n’atteignent pas la LNH

3e tour : 48 %
4e tour : 58 %
5e tour : 65 %
6e tour : 69 %
7e tour : 74 %

Alors, était-ce possible, pour le Lightning, d’acquérir un joueur d’impact avec ses choix ? Oui. Probable ? Moins. Aux autres de prendre le risque, en a décidé Julien BriseBois.

Comme quoi un tiens vaut parfois mieux que cinq tu l’auras.