Les députés québécois sont allés à la pêche. Ils n’ont sorti aucun gros poisson du lac.

C’était prévisible. Il n’y avait pas de lanceur d’alerte. Pas de témoin, prêt à faire des révélations chocs sur les initiations dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Pas même un document pour incriminer les dirigeants de la LHJMQ. Tout reposait sur des déclarations sous serment déposées dans une demande d’action collective en Ontario, des témoignages horribles qui impliquent directement des équipes des ligues de l’Ouest et de l’Ontario, mais pas de la LHJMQ.

Difficile de pêcher sans leurre.

Le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a d’abord annoncé l’interdiction des initiations. Il a ensuite affirmé sous serment n’avoir jamais géré de plainte pour bizutage. Qu’avaient les parlementaires pour le contredire ? Rien. Même le député Enrico Ciccone, qui a joué dans la ligue et représenté des hockeyeurs comme agent, n’avait pas de munitions. M. Ciccone a évoqué brièvement sa propre initiation, avant de préciser que « personnellement », ça ne l’avait pas dérangé.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le député Vincent Marissal et le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau

Ses questions, ainsi que celles des députés Vincent Marissal et Pascal Bérubé nous ont permis d’apprendre que la LHJMQ ne possède pas de fonds de réserve pour dédommager les victimes d’agressions sexuelles, et que la ligue a déjà conclu un règlement à l’amiable avec un joueur des Foreurs de Val-d’Or victime de propos inappropriés de son entraîneur. Des informations jusqu’ici inconnues. Mais sur le sujet du jour – les initiations –, nous n’en savons pas plus que la veille.

Je ne suis pas naïf. Je connais très bien la dynamique dans un vestiaire de hockey. L’omerta est forte. La masculinité toxique aussi.

« La maltraitance qui, en dehors du hockey, ne serait pas acceptable est désormais un comportement ancré dans cette organisation hiérarchique, et son degré d’acceptation est grand », écrivaient Danièle Sauvageau, Sheldon Kennedy et Camille Thériault, en 2020, après avoir interviewé 500 personnes liées au hockey junior.

Aucune initiation dans la LHJMQ n’a fait l’objet d’une plainte ? Soit. Aucune initiation dans la LHJMQ ne fut dégradante ? Ce serait franchement étonnant. Surtout dans les années 1990 et au début des années 2000.

Les initiations faisaient alors partie des rites de passage. Pas juste au hockey junior. Dans l’armée, dans les autres sports, dans les collèges et universités aussi. Les journaux rapportaient régulièrement des incidents disgracieux.

Prenez cet extrait d’un article de mon collègue Denis Arcand, publié dans La Presse en 1995. « Pourquoi de loyaux soldats de Sa Majesté estiment-ils utile de manger des excréments dans de vieilles espadrilles en faisant des pushups, flambant nus, avec chacun un collègue sur le dos qui fait semblant de le sodomiser ? »

En 1997, HEC Montréal interdisait les initiations, après des débordements dans un concours de t-shirts mouillés. En 1998, des hockeyeurs de 14 et 15 ans furent forcés de se promener presque nus, à l’aréna de Sainte-Thérèse. Ils n’étaient vêtus que de leur coquille protectrice, ainsi que d’un verre en plastique pour récolter de l’argent.

Dans mes premiers mois à La Presse, en 2000, j’ai couvert une initiation scabreuse ayant impliqué trois joueurs québécois avec l’équipe de hockey de l’Université du Vermont. Les recrues avaient dû faire la marche de l’éléphant. C’est-à-dire marcher à la queue leu leu, sur une bonne distance, en saisissant le pénis du coéquipier devant eux. Les joueurs devaient aussi faire des pushups. À chaque descente, leur pénis trempait dans un verre de bière. Un des Québécois m’avait confié : « Ce n’était pas propre, propre. Mais j’ai déjà vu pire dans le junior. »

Ces rites barbares n’étaient pas si exceptionnels. Lorsqu’un footballeur de première année de l’Université McGill s’est plaint d’avoir été sodomisé par ses coéquipiers avec un manche à balai, en 2005, mon collègue Jean-François Bégin a écrit sur l’ampleur du bizutage dans le sport universitaire. Il citait une étude, menée en 1999 auprès de milliers d’athlètes, entraîneurs et directeurs sportifs d’universités américaines. Un athlète sur cinq affirmait avoir été victime de rites inacceptables, et potentiellement illégaux.

Un. Sur. Cinq.

C’est difficile de croire que ces rites, qui avaient cours dans le sport junior et universitaire aux États-Unis, dans l’Ouest canadien, en Ontario et dans nos universités, n’ont jamais atteint la LHJMQ. Comme l’a fait remarquer Patrice Brisebois à Radio-Canada la semaine dernière, il est possible que la ligue n’ait tout simplement jamais été mise au courant.

« C’est à l’interne que ça se passait, nos affaires. Les victimes de ça ne vont jamais s’en vanter. Penses-tu que ça te tente d’avouer que tu t’es fait rentrer un bâton de hockey dans l’anus ? »

Lisez l’article de Radio-Canada

J’évoquais plus tôt l’omerta dans une équipe sportive. C’est puissant. Très puissant. Rares sont les joueurs – actifs ou retraités – qui acceptent de parler de leur initiation. Quand un journaliste ou un avocat en trouve un, c’est une prouesse. Alors, imaginez l’exploit du chercheur Curtis Fogel, qui a recueilli les confidences de dizaines de footballeurs canadiens !

Ses constats, publiés dans l’essai Game-Day Gangsters (2013), nous donnent une bonne idée de ce qui s’est passé dans les équipes d’élite au Canada après le scandale à l’Université McGill. Cet extrait m’a particulièrement frappé.

« Un joueur de ligne offensive m’a affirmé que “les initiations au hockey sont sauvages”, écrit Curtis Fogel. Un joueur professionnel m’a fait une remarque similaire : je ne sais pas c’est quoi l’affaire avec les hockeyeurs. Il faut toujours que ce soit de nature sexuelle. »

Autre point intéressant : plus un joueur progresse, moins les initiations sont sévères. Il cite un quart-arrière. « [Mon initiation] fut difficile à l’école secondaire, difficile à l’université, mais pas si pire dans la Ligue canadienne. » C’est que chez les pros, souligne un autre joueur, « tout le monde est un adulte. Les gens ont moins de tolérance pour ces gestes. Les joueurs sont sous les projecteurs. Ils ne veulent pas mal paraître, ou faire mal paraître leur équipe ».

Dans ses entrevues, Curtis Fogel a demandé aux footballeurs si le scandale à l’Université McGill avait modifié les initiations subséquentes. La réponse courte : non. « J’ai interviewé plusieurs joueurs de McGill, écrivait Fogel. Aucun ne pensait que la suspension avait influencé les pratiques courantes. » Deux ans après la sortie du livre de Curtis Fogel, McGill devait gérer un nouveau scandale de bizutage. Cette fois, avec ses deux équipes de basketball, et ce, malgré une politique de tolérance zéro.

Le député à l’origine de l’audience de mercredi, Vincent Marissal (Québec solidaire), a proposé aux autres députés de poursuivre les travaux de la commission parlementaire. C’est une bonne idée. Ces interventions mettent de la pression sur nos organisations sportives pour qu’elles révisent leurs politiques internes.

Il reste beaucoup de terrain à couvrir. Pas juste au hockey. Dans les autres sports d’élite, également. Je souhaite seulement que s’il y a une suite, les députés aillent pêcher avec un coffre mieux garni.